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Une île (12)

Publié le 11 juin 2011 par Feuilly

A la question qu’elle me posa, je répondis que je préférais essayer le bain chaud, tant cette idée d’être en contact avec une eau qui venait d’être en contact avec le feu central de la terre me fascinait. Avant de me laisser, elle alluma une dizaine de bougies qui se trouvaient sur un rebord de pierre, face à des miroirs disposés en oblique. La pièce s’emplit bientôt d’une lumière magique, car chaque petite flamme était répercutée à l’infini dans ce jeu des miroirs qui se faisaient face. C’était magnifique et j’avoue avoir regardé avec admiration la maîtresse des lieux qui parvenait à créer ainsi cette ambiance particulière par une mise en abyme. Elle me sourit, manifestement satisfaite de l’émerveillement qu’elle avait provoqué chez moi, me souhaita un bon bain et sortit.

Je me déshabillai et m’étendis dans la baignoire. C’était délicieux ! J’avais vraiment l’impression d’être en- dehors du monde. Isolé sur une île, réfugié au centre de la terre, plongé dans une eau à la température de mon corps, je n’étais plus qu’un esprit qui flottait dans une demi-conscience. De plus, toutes ces flammes de bougie qui se répétaient à l’infini me donnaient l’impression d’avoir basculé dans une autre dimension. Derrière moi, j’entendais l’eau qui tombait en cascade dans ma baignoire, rythmant l’espace de son bruit régulier et apaisant. Le temps, ici, n’était pas celui des hommes, mais celui des dieux. Je n’aurais pas été plus étonné que cela si Aphrodite ou quelque sirène s’était tenue sur le bord de la pierre froide. J’étais bien, tout simplement. Je n’étais plus vraiment moi-même en fait. Je ne sentais plus mon corps et j’avais l’impression de me dissoudre dans l’univers. Je n’étais plus qu’un esprit flottant au-dessus des éléments.

C’est alors que la princesse est entrée, vêtue d’un long peignoir. Tout d’abord, j’ai cru que je rêvais. Ce n’était pas possible ! Hors du temps et de l’espace comme je l’étais, la pensée dans les limbes de l’inconscient, j’attribuai cette apparition soudaine à ma seule imagination. Mais non, au sourire qu’elle me lança dans le miroir, sourire réfléchi à l’infini par les reflets, je compris que rien n’était plus réel. « Elle est bonne ?» demanda-t-elle, ce qui me confirma que c’était bien une femme de chair et d’os qui se tenait devant moi et pas un quelconque fantôme sorti des entrailles de la terre.

J’allais répondre affirmativement, mais je n’en ai pas eu le temps. Toujours face au miroir, elle laissa glisser son peignoir d’un geste souple et apparut soudain dans le plus simple appareil. Là, je dois dire que je suis resté époustouflé ! Si je m’attendais à cela ! Moi qui rêvais tout à l’heure de belles sirènes ou même d’Aphrodite en personne, j’étais comblé. Je ne savais plus où regarder et mes yeux allaient de ce dos et de ces hanches généreuses, que je voyais en vrai, à la ravissante poitrine qui apparaissait dans le miroir. Le tout dura peut-être trois secondes, puis nos regards se croisèrent dans la glace. Ce fut un instant délicieux. Il se produisit de part et d’autre comme un choc électrique, puis nos yeux se détournèrent. Mais avant même que la gêne et le trouble ne se soient installés, elle s’était retournée et, avec un aplomb phénoménal, avait franchi la distance qui la séparait de la baignoire. Et voilà qu’elle était maintenant dans le bain avec moi ! Elle avait un large sourire et me regardait par en-dessous d’un regard malicieux.

Cette fille étrange, cette princesse des îles, qui avait grandi en bordure de son âge, hors du monde et du temps, voilà qu’elle était là, près de moi, avec moi, et je sentais la peau nue de ses jambes contre les miennes. « On voit », lui dis-je « que vous êtes, de par votre fonction, habituée à prendre des initiatives... » « Ma fonction n’a rien à voir et si je suis ici, c’est bien à titre privé. » « Ma foi, je m’en réjouis. C’est donc une dame qui me rend visite et pas la reine de cette contrée. C’est tellement plus intéressant. Je dois vous avouer qu’en fait je n’aime pas trop les rapports hiérarchiques. J’ai pourtant envie de vous appeler ‘ma princesse’, allez comprendre. » «Votre princesse ? Ce serait flatteur, mais vous allez un peu vite en besogne. » « Je ne suis pas le seul, il me semble. » Nous éclatâmes de rire.

Et forcément, nous nous sommes mis à parler, afin de faire plus ample connaissance. Je serais incapable de retranscrire toute notre conversation, qui dura bien une heure. Nous avons abordé mille sujets différents, mais franchement je ne sais plus trop lesquels. Tout ce dont je me souviens, c’est que tout cela fut fort agréable. Le ton était plaisant, enjoué même. En fait, nous avons passé notre temps à nous cerner et à tenter de nous comprendre. Et évidemment, derrière cette approche, disons intellectuelle et psychologique, il y avait chez chacun de nous le désir de plaire, qui sous-tend souvent les relations hommes-femmes. Je dois dire que ma visiteuse jouait le jeu à merveille. En fait, c’était une vraie experte, même si elle n’avait jamais rencontré d’homme dans sa vie adulte. Mentalement, je revis la scène de la rivière et la prestance qu’elle avait eue lorsqu’elle nous avait fait face avec un aplomb phénoménal. Cet aplomb, je venais de le retrouver quand elle était entrée dans la salle de bain puis quand elle s’était glissée dans la baignoire. Mais pour le reste, ce que je découvrais maintenant, c’était un être à la fois sensible et enjoué, un être qui m’attirait et que j’avais de plus en plus envie de connaître. Tout cela pour faire comprendre que le courant passait à merveille entre nous. Et après me direz-vous ? Après, ne comptez pas sur moi pour vous raconter ce qui se passa, mais vous pouvez facilement l’imaginer, je suppose. Ce cadre insolite, cette eau chaude qui coulait librement et àvolonté, ces bougies qui se réfléchissaient à l’infini, cette personne charmante et affable qui semblait désireuse de faire ma connaissance, tout cela mis ensemble fit que la nature suivit son cours, tout simplement et que cet homme et cette femme qui s’observaient à chaque extrémité de la baignoire finirent par se rapprocher. Le reste leur appartient.

 

littérature
 

D'après "photos-depôt.com"


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