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Monsieur le président...

Publié le 12 juin 2011 par Letombe

Quatre ans après l'élection de Nicolas Sarkozy, quel bilan tirer de sa présidence ? Entre haine et admiration, plus rare, les sentiments se partagent face aux promesses non tenues. Quelles en sont les causes, l'échec ou la trahison ?

Nicolas Sarkozy

Je vous fais une lettre, que vous ne lirez pas mais ce n'est pas grave : ça n'est pas vraiment pour vous que je l'écris, en fait.

Cela fait un peu plus de 4 ans maintenant que vous êtes président, et vos amis ont célébré l'événement en se répandant partout sur la flamboyance du merveilleux bilan de votre auguste personne.

Pourtant, même en déployant des trésors de bonne volonté, je ne vois pas ce qui pourrait vous permettre de fanfaronner, tant l'état de mon pays me semble se dégrader chaque jour davantage, tant j'ai le sentiment qu'aucune de vos nombreuses promesses ne s'est concrétisée – à part peut-être celle de ne pas être un "roi fainéant" comme le furent selon vous vos prédécesseurs, qui savaient simplement prendre de la hauteur, là où vous ne savez chercher à vous élever que par la gesticulation et les virils mouvements de menton.

La difficulté qui sera la vôtre dans "La Conquête 2" sera sans nul doute d'avoir à vous présenter devant les Français en vendant un bilan qu'ils ne voient pas. On n'est certes pas réélu sur un bilan, mais il s'agit cependant d'un socle bien utile pour y construire un barnum de campagne.

Aujourd'hui, on se demande où est passé le président du pouvoir d'achat, les Français peinant toujours un peu plus à boucler leurs fins de mois et nourrir correctement leurs enfants. Vous pourriez invoquer la crise, mais préférez nous asséner les statistiques montrant que le pouvoir d'achat progresse de quelques pouillèmes (grâce à la baisse des prix des écrans plats – tiens, c'est sans doute pour ça que les "assistés" en achètent tant : c'est la seule chose dont le prix baisse), et faire croire que vos belles promesses ont été tenues. Mais s'il est un sujet sur lequel de belles statistiques ne convaincront personnes, c'est bien celui-là. Vous pouvez jeter de la poudre aux yeux chiffresque sur la sécurité à des gens qui n'ont jamais vu un délinquant de près. Mais le passage en caisse chez Carrefour, tout le monde le vit sauf vous et vos amis, et peu le vivent bien, quoi qu'en disent les statistiques.

Où est la France de propriétaires que vous nous promettiez, quand se loger est de plus en plus difficile, et que la proportion de Français possédant leur résidence principale a progressé de façon à peine perceptible ?

Que reste-t-il de l'Education Nationale, ce grand service public que vous dépouillez méthodiquement de ses moyens ?

Où est la saine gestion que la droite oppose à une gauche supposée inconséquente et dépensière, quand dette et déficits ont explosé comme jamais auparavant ?

Où en est la sécurité des Français, votre marque de fabrique, votre auto-proclamé point fort, quand les violences aux personnes augmentent pendant que les effectifs de police baissent, quand les prisons débordent et que les conditions honteuses de détention en font le pire creuset de la récidive que vous prétendez combattre ?

Où est cette république que vous nous annonciez tantôt irréprochable, tantôt exemplaire, et dans laquelle des lois d'exception, de circonstance et de confort, sont votées pour prolonger le mandat de tel ou tel fidèle au-delà de la limite d'âge ? dans laquelle le contribuable rembourse à l'université devenue autonome les salaires d'un ancien ministre qui n'y enseigne pas, trop occupé qu'il est à pérorer sur les plateaux de télévision ?

Je ne dresserai pas ici la liste exhaustive de vos promesses non tenues, elle est si longue qu'elle en deviendrait fastidieuse. Je voudrais plutôt m'intéresser aux cause, et personnellement, je ne connais que deux façons de ne pas tenir ses promesses : l'échec, et la trahison.

La logique voudrait que vous plaidiez l'échec : j'en veux pour preuve le nombre de mesures que vous aviez si chevillées au corps que vous nous avez fait comprendre à maintes reprises que vous vivant, elles ne seraient pas remises e cause… et que vous avez abrogées piteusement après vous être arc-bouté si longtemps qu'elles ont fait de véritables ravages : l'intouchable bouclier fiscal, bien sûr, qui vient de rendre l'âme. Ou la déduction des intérêts d'emprunt des impôts, qui permit aux jeunes gens bien nés d'acheter un peu plus grand. Ou la relance subite d'une politique d'emplois aidés, qui étaient jusqu'ici le mal absolu – mais qui vous permettront, joints aux radiations, d'afficher une légère baisse du chômage. Et bien d'autres encore.

La crise vous aurait apporté des circonstances atténuantes qu'il aurait été naturel de vous reconnaître, si vous ne vous étiez pas entêté à maintenir contre l'avis même d'une partie de votre majorité ces mesures en faveur des plus riches tout en demandant des efforts aux autres.

Mais non, bien sûr : votre grandeur ne saurait échouer.


Reste la trahison, et je crains fort pour vous et espère de toutes mes forces qu'elle ne soit retenue contre vous dans l'isoloir par une majorité d'électeurs. Car c'est ce sentiment qui prédomine, dans toutes les conversations que j'entends ou auxquelles je participe : celui que vous avez trahi, comme d'autres avant vous – mais en ayant dit auparavant beaucoup plus distinctement que vous ne le feriez pas. "Je ne vous mentirai pas, je ne vous trahirai pas, je ne vous décevrait pas", avez-vous chanté sur tous les tons pendant votre redoutable campagne de 2007. Si fort que les gens vous ont cru. Si fort que les gens vous en veulent terriblement aujourd'hui.

Car ce qui m'a frappé récemment, c'est d'entendre votre cœur de cible même, vos clientèles fétiches et théoriquement acquises, souhaiter votre disparition du paysage dans des termes parfois d'une extrême violence.

J'ai entendu des retraités très aisés échafauder des stratégies électorales visant à assurer votre absence du second tour de la prochaine présidentielle.

J'ai entendu des commerçants corses (clientèle globalement acquise à la droite + région où votre score a largement dépassé la moyenne nationale, avec 37% au premier tour et 60% au second) souhaiter que vous "preniez une balle" d'ici 2012.

J'ai entendu comme jamais auparavant le désir viscéral d'énormément de gens, pas spécialement engagés jusqu'ici, de vous voir battu, et je les vois chercher un moyen d'y contribuer.

Oh, je ne vous enterre pas prématurément, soyez-en certain. Je sais l'animal de campagne redoutable que vous êtes, et ne ferai pas cette erreur. Mais j'ai acquis la conviction que ces trahisons ont durablement brisé le lien que vous aviez su nouer avec le peuple, qui n'est pas si bête que vous semblez le penser. Un peuple qui ne tombe plus dans tous vos panneaux, qui ne tend plus les mains pour se les faire lier par vos grosses ficelles. Un peuple qui en vient à voir de la manœuvre dans chacun de vos actes, au point de soupçonner que jusqu'à votre paternité annoncée serait calculée.

A titre personnel, je me retiens de souhaiter votre élimination au premier tour, tiraillé que je suis entre l'envie de vous infliger la défaite la plus humiliante possible, et l'absence totale d'envie, pour la santé mentale de mon pays, de voir Marine Le Pen réitérer la performance de son père en 2002 – et la crainte associée du score qu'elle pourrait faire au second tour, tant vous avez rendu poreuse la frontière entre droite et extrême droite.

Dans l'attente impatiente, donc, de vous voir vous prendre un bon 60-40 dans les dents au second tour, je vous prie d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de l'immense respect que je conserve à votre fonction

Par Diego San

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