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Pauvres paysans !

Publié le 15 juin 2011 par Copeau @Contrepoints

Un article de Jacques Garello pour Libres.org

Je suis plein de sollicitude à l’égard du monde paysan, secoué par une terrible crise née de la conjonction d’évènements malheureux. Je me suis donc mis en peine de trouver une solution qui puisse régler leurs problèmes actuels, et je l’ai trouvée.

Récolte du blé
L’Europe, c’est acquis, va accorder de substantielles subventions et compensations (pour un petit milliard d’euros sans doute) et les Etats ajouteront ce qu’il faut pour répondre aux légitimes attentes des paysans. Avec cet argent, les éleveurs pourront acheter des concombres et autres produits maraîchers, qu’ils donneront en nourriture à leurs bestiaux. Les vaches adorent les légumes et, de plus, le concombre étant gorgé d’eau, l’épuisement de la nappe phréatique s’en trouvera ralenti. On dit aussi que les vaches pourraient rejeter moins de CO2.

Il suffisait d’y penser, cette initiative est de nature à satisfaire tout le monde. Les éleveurs sauveront leurs troupeaux, les céréaliers ne seront pas obligés de fournir gratuitement et solidairement du foin aux éleveurs, les champs pourront être à nouveau arrosés, les producteurs de concombres et autres cucurbitacées trouveront des débouchés nouveaux dans les mangeoires, la santé des familles sera préservée, et les Verts seront contents de la création de cette chaîne écologique, de nature à préserver la biodiversité.

Les esprits chagrins et les ultra-libéraux m’opposeront que ce savant montage a pour origine une ponction non négligeable sur le budget européen. Je leur répondrai, comme l’a fait avec pertinence José Bové, que c’est une excellente occasion de donner enfin au budget européen les ressources qu’il n’a pas, et que réclament en vain les députés de Bruxelles et Strasbourg réunis. Il est temps de réparer une erreur historique : la politique agricole commune (PAC) absorbe le plus clair des recettes fiscales européennes parce que ces recettes sont insignifiantes. Un bon impôt européen : voilà de quoi obtenir les fonds nécessaires à soutenir le courageux combat de la classe paysanne contre les spéculateurs qui manipulent les marchés agricoles.

Ainsi pourrait-on tourner en dérision ces farces que l’on nous sert à propos de la sécheresse, des concombres, du soja, etc. Les marchands de peur ont été à nouveau à l’œuvre, et l’on a vécu le scénario habituel : davantage de contrôles, de réglementation, et d’impôts.

Voilà pourtant des siècles, voire des millénaires, que l’on sait que l’agriculture est soumise aux aléas naturels, et que les aliments peuvent être des poisons. Il est vrai que les hommes ont fait une découverte récente : ils ont inventé le principe de précaution. Une invention qui égale en génie celle du feu ou de la roue. En fonction dudit principe, nul déséquilibre ne peut se créer, nul risque ne saurait être pris.

Il existe bien un autre procédé, volontairement ou involontairement négligé : il s’appelle le marché, il suppose le libre échange et la concurrence, sources d’innovations. Le marché a imposé sa logique avec la vieille idée de l’alternance des années de vaches maigres et de vaches grasses : épargner et stocker pour prévenir les disettes. Au XVII° siècle, la loi de King traduit une autre réalité : les années de bonne récolte sont mauvaises pour les paysans, parce que l’abondance réduit les prix, et les années de disette sont bonnes pour les revenus des agriculteurs. Avec l’édit sur les grains (1774) Turgot met fin à la spéculation qui se nourrissait du cloisonnement de la France en provinces. Le blé ne pouvait circuler des pays en excédent vers ceux qui étaient en manque, parce que les droits (voire les contingents) étaient prohibitifs – pour le plus grand bonheur des gens moins scrupuleux qui se livraient au marché noir. En d’autres termes, le temps et l’espace font naturellement parties de la gestion de l’agriculture.

Pauvres paysans !

Encore faut-il que cette gestion repose sur des prix révélateurs de pénuries ou d’abondances. Or, la gestion s’organise aujourd’hui autour des hommes politiques, et des pressions exercées sur Bruxelles ou Paris pour fixer de justes prix administratifs. Il y a quelques mois les organisations paysannes demandaient que les prix à la production leur soient garantis, pour être protégées contre les caprices des distributeurs. Quand il y a eu ensuite flambée des prix, les mêmes ont refusé de réduire leurs marges : le prix garanti pour le producteur, pas pour le consommateur !

Je ne crois pas que l’on rende réellement service aux paysans en les transformant en clients politiques. Certes la clientèle permet de remporter des victoires, surtout en période préélectorale. Mais à plus long terme, les agriculteurs peuvent-ils confier leur sort au monde politique ? La politique agricole commune n’a pas empêché l’émigration paysanne. Aujourd’hui les exploitants agricoles représentent moins de 5 % de la population active. Ceux qui demeurent ont dû faire de sérieux efforts pour sauvegarder leurs débouchés. Ce ne sont pas les subventions de Bruxelles, mais bien leur créativité, qui les a maintenus en vie. Créativité technique (avec des procédés que les écologistes veulent interdire), mais surtout créativité gestionnaire et commerciale. On a enfin compris que ce que l’on achète ce n’est pas une tomate, mais tous les services qui vont avec la tomate : recherche agronomique, matériel agricole, récolte, conditionnement, acheminement, distribution. Raisonner sur le prix de la tomate n’a aucun sens puisque ce qui s’achète et se vend c’est le « service-tomate ». Il n’y a aucune raison pour que les paysans français soient durablement ignorants de cette évolution. De même qu’il n’y a aucune raison pour que le monde rural soit voué à la seule agriculture, source unique de revenus.

Nos politiciens et nos médias préfèrent nous apitoyer sur les pauvres paysans. Que ne ferait-on pas pour eux !


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