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Rien n’échappe à l’économie. Rien.

Publié le 16 juin 2011 par Copeau @Contrepoints
  • Par Stéphane Geyres

Rien n’échappe à l’économie. Rien.

La place de l’économie dans le libéralisme doit être clarifiée car elle tient en fait un rôle immense et incontournable. Ainsi il ne se fait rien sur Terre qui ne soit en rapport avec la lutte constante de chaque homme entre les ressources limitées qui s’offrent à lui et ses propres objectifs exprimés par la chaîne de ses choix et actions. Rien n’échappe à l’économie, rien, surtout pas les relations sociales. Quand donc la gauche le comprendra-t-elle ?

Une des chances de nos jours à faire la promotion des idées libérales, c’est qu’on rencontre de nombreux autres libéraux. Enfin presque. Nombreux, oui, même si c’est encore trop peu. Mais libéraux, là par contre, on a souvent des surprises. Je discute ainsi avec des libéraux qui croient que le libéralisme n’est qu’à droite, d’autres qui le voient à gauche ou du moins qui veulent l’y pousser. Parmi ces derniers joyeux drilles, beaucoup me semble-t-il, enfin, une en particulier, croient qu’on peut être libéral de gauche car seule la gauche serait vraiment humaniste.

C’est sans doute vrai pour ce qui touche au respect de la personne, au droit à la libre expression ou encore à la séparation du droit et de la morale. Par contre, tous ceux que je côtoie ont un problème avec l’argent, comme beaucoup à gauche, et même un problème avec l’économie en général. On retrouve vite les rengaines socialo classiques selon lesquelles ‘nos vies valent plus que leur argent’, ou du moins que l’économie ne saurait imposer son dictat immonde à la noble volonté humaniste du libéral bobo-isé – je n’ai pas osé « libétomisé » mais presque…

Or c’est là faire montre d’une grande incompréhension de la chose économique, car rien n’est moins vrai, comme nous allons le voir. Comprenons bien les enjeux cependant. Il ne s’agit pas de donner un coup de barre à droite au libéralisme par réflexe lourdaud à un discours de gauche classique. Il s’agit simplement d’être lucide et réaliste sur les modes de fonctionnement sociaux, de manière à promouvoir un libéralisme, humaniste donc, qui soit au mieux compatible, cohérent avec l’organisation humaine, sociale, naturelle et libre. La place de l’économie doit être clarifiée à cette lumière car elle tient en fait un rôle immense et incontournable.

Bien des textes ont été écrits par les grands auteurs libéraux et rien ne sera (ré-)inventé ici, soyez rassurés. Les libéraux se retrouvent en général autour de l’école dite « autrichienne » d’économie et c’est cette référence qui sera également prise ici. L’avantage de l’économie autrichienne est avant tout d’être humaniste, en ce sens qu’elle repose sur quelques principes simples et faciles à aborder, qui sont extrêmement fidèles à la réalité du fonctionnement humain et social. Ici, pas d’équations complexes et incompréhensibles, rien que de la logique et du bon sens. Cette école a été lancée par Carl Menger, elle est aujourd’hui portée par le Mises Institute et Hans-Hermann Hoppe en est un de ses plus grands représentants de nos jours. Mais l’ouvrage qui a sans doute marqué le plus tant il synthétise la pensée économique reste à mon sens « Human Action » de Ludwig von Mises et c’est sur sa base que cet article est construit.

Le point de départ de L.v.Mises est souvent surprenant, à la fois de simplicité et de thème – on se dit qu’il ne s’agit pas d’économie – et pourtant. Mises constate et pose comme axiome de base que l’homme, l’individu, chaque individu armé de son libre arbitre, agit. Il agit constamment, tout au long de sa vie, consciemment ou pas, il vit par l’action. L’action humaine est à prendre dans son sens anglais, c’est-à-dire une action qui résulte d’une décision, d’un choix. La liberté humaine, le libre arbitre, indiscutable pour le libéral, s’exprime spontanément par l’action décidée et choisie de chaque individu tout au long de sa vie. On ne s’intéresse pas aux motivations d’ordre psychologique ou psychique qui pousse à l’action, simplement on constate qu’il y a action.

Le tout premier chapitre de Human Action développe cette idée. Dès le premier paragraphe, il avance d’un pas pour constater que l’action n’est pas aléatoire : « Human action is purposeful behavior. Or we may say: Action is will put into operation and transformed into an agency, is aiming at ends and goals, is the ego’s meaningful response to stimuli and to the conditions of its environment, is a person’s conscious adjustment to the state of the universe that determines his life.» (L’action humaine est un comportement dirigé. Ou nous pourrions dire : l’action, c’est la volonté mise en marche et transformée en un service, elle vise à des fins et des buts, elle est la réponse sensée de l’ego aux stimuli et aux conditions de son environnement, elle est l’adaptation consciente d’une personne à l’univers qui détermine sa vie.)

Rien n’échappe à l’économie. Rien.
Cela semble peu discutable : en dehors des gestes purement réflexes, notre quotidien est bien fait de choix permanents. Aller travailler plutôt que rester au lit, voir un ami plutôt qu’aller à un spectacle, acheter une voiture d’occasion plutôt que neuve, vendre un meuble plutôt que le stocker, etc. Qui que nous soyons, où que nous soyons, quelle que soit notre fortune, notre culture, notre pays, notre naissance ou notre époque, nous « agissons » tous, avons agi hier et agirons demain. Vivre, c’est choisir, décider, agir.

Que cache cette idée qui puisse nous ramener à l’économie, notre sujet ? L’économie est classiquement définie par (Wiktionary – option 5)) : « Discipline des sciences sociales qui étudie l’allocation des ressources rares à des fins alternatives.» Les ressources rares, voilà la clé. En effet, nous sommes dans un monde de ressources rares. A part l’air que nous respirons – et encore, celui-ci se pollue – il n’est rien qui soit disponible à foison, sans limite.

Rien ne nous est offert sans limite, nous ne sommes pas dans le jardin d’Eden où la corne d’Abondance déborde indéfiniment. A commencer par le temps. Vous qui lisez cet article avez choisi de prendre du temps pour cela et donc de rejeter d’autres options, comme lire un livre, aller chez des amis ou simplement dormir, à la place. Mais tout nous est rare, la nourriture, l’eau, la force du travail pour accomplir nos projets, l’argent pour assouvir nos envies. Et parce que les ressources nous sont rares, limitées, difficiles, nous devons agir, faire des choix. Choisir de lire cet article. Choisir entre deux achats. Choisir comment gagner de l’argent. Choisir son mode de vie.

Nous agissons, décidons parce que nous ne pouvons tout avoir, nous ne pouvons assouvir toutes nos envies, ni même nos besoins parfois. Mais cela va plus loin. Car si nous étions au jardin d’Eden, sans souci pour nous nourrir ni pour assouvir nos plus folles envies, alors pourquoi agir ? Pourquoi choisir puisque tout serait possible ? L’action est donc clairement un mécanisme développé par l’homme en réponse à la cruelle réalité d’un monde limité, où tout n’est qu’options mais rien n’est jamais gratuit. Comme le dit Mises, « Action is an attempt to substitute a more satisfactory state of affairs for a less satisfactory one.» (Agir est une tentative pour substituer une situation plus satisfaisante à une situation qui l’est moins.)

On comprend donc que si l’économie traite de l’allocation des ressources, toutes rares, il y a un lien intime entre elle et la « praxéologie » – l’étude de l’action. Il n’est donc pas d’action humaine qui ne prenne sa source dans la lutte permanente que nous menons entre envie et possible, entre pomme ou poire, entre « bien » et « meilleur.» Rien n’échappe donc à l’économie parce que rien n’échappe à l’action humaine dans sa gestion de la relation de l’homme à son environnement.

Le lecteur attentif objectera à ce stade que tout cela est bien beau, mais que cela ne concerne que l’individu, chaque individu certes, mais pas la « société.» Or une fois l’individu en situation d’interaction  sociale, qu’advient-il de cet échafaudage ? Pour Mises, la relation sociale n’est faite que d’échanges. En effet, on parle bien « d’inter-action,» est-ce un hasard ? En interagissant avec autrui, on reste dans l’action, on choisit, on poursuit un but. La rencontre de l’autre, qui lui aussi agit, offre l’opportunité que nos buts se rejoignent ou soient complémentaires. L’échange permet alors à chacun d’avancer dans sa propre chaîne d’actions. Le boulanger qui cherche à gagner sa vie par la vente de pains, rencontre ses clients qui quant à eux cherchent à se nourrir à bas prix. L’échange a lieu, et chaque échange fait avancer boulanger et clients un peu plus vers leurs objectifs propres.

L’échange est donc le prolongement logique de l’action. Mais la relation sociale se limite-t-elle à l’échange ? Une relation sociale suppose plus qu’une simple juxtaposition de deux individus. On imagine a minima des mots, des paroles. On dirait un « échange » de paroles, comme par hasard. Mais même une simple discussion provoque un échange d’information, de sentiments. Une influence verbale, une intimidation, une menace, tout cela apporte de l’information à celui qui les reçoit et influence son action, peut-être au bénéfice de l’intimidateur. La réaction du menacé donne des indices à l’agresseur. On pense plutôt au poète qui se contente de déclamer des vers, sans plus d’arrières pensées ? Est-ce donc si sûr ? Que fait-on de son ego ? Ou de son espoir qu’une âme sensible à son art lui vienne en aide en mécène éclairé ?

On le voit, même la simple parole, vide de toute matérialité, reste un échange. Il ne se fait rien sur Terre qui ne soit en rapport avec la lutte constante de chaque homme entre les ressources limitées qui s’offrent à lui et ses propres objectifs exprimés par la chaîne de ses choix et actions. Cela se confirme, rien n’échappe à l’économie, rien, surtout pas les relations sociales. Quand donc la gauche le comprendra-t-elle ?


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