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Dominique Baudis, ex-jeune loup de la politique française

Publié le 16 juin 2011 par Sylvainrakotoarison

Le Parlement vient d’entériner ce 15 juin 2011 le choix du premier Défenseur des droits. Cette nomination, tant attendue depuis le 1er mai 2011, braque le projecteur sur une personnalité qui aurait pu se situer au premier plan de la politique française.
yartiBaudis01Dominique Baudis a été l’une des jeunes figures du centrisme pleines d’avenir dans les années 1980-1990. Il est aujourd’hui proposé par le Président de la République Nicolas Sarkozy comme Défenseur des droits, une nouvelle fonction constitutionnelle créée par la réforme du 23 juillet 2008, par la loi organique n°2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits et la loi n°2011-334 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits (textes à télécharger ici).
Défenseur des droits
La fonction reprend les prérogatives du Médiateur de la République, du Défenseur des enfants, de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) et de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE). Il aura beaucoup plus de pouvoirs que les quatre précédentes fonctions cumulées, sera capable de se saisir lui-même d’une question, d’être saisi directement par les citoyens, pourra faire des enquêtes, procéder à des auditions, demander des études au Conseil d’État ou à la Cour des Comptes, et même intervenir dans une procédure judiciaire. Le Ministre de la Justice Michel Mercier le confirme d’ailleurs : « Ce sera certainement l’ombudsman le plus puissant d’Europe. ».
Comme le veut la procédure, il a participé aux auditions auprès des commissions des Lois du Parlement dans la matinée du mercredi 15 juin 2011 (devant l’Assemblée Nationale à 9h15 puis devant le Sénat à 11h00) qui ont été suivies d’un vote qui n’a pas été négatif (il faut 3/5e de voix pour s’opposer à la nomination) : 49 voix pour et 17 contre. Plus rien ne s’oppose à sa nomination définitive. Il devrait donc être officiellement nommé au prochain Conseil des ministres.
Devant les députés, Dominique Baudis a défini cinq axes à son éventuel mandat : sauvegarder les acquis actuels et valoriser les expériences concluantes ; utiliser pleinement la capacité juridique que lui confèrent la Constitution et la loi ; assurer un meilleur service aux citoyens sans peser davantage sur les contribuables ; faciliter l’accès de tous au Défenseur des droits en renforçant un maillage territorial de proximité (qui existe déjà) ; faire de sa fonction un facteur de rayonnement des valeurs de la France en Europe et dans le monde.
Il a également affirmé qu’il renoncerait à ses trois mandats actuels : député européen (depuis 2009), président de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (depuis le 12 octobre 2010) et président de l’Institut du monde arabe (depuis 2007), cette dernière fonction étant bénévole, et qu’il appliquerait scrupuleusement les règles de la parité dans la nomination de ses trois adjoints.
Une vie passionnée par la politique
Dominique Baudis est né dans la potion magique de la politique. Son père, Pierre Baudis, était député-maire de Toulouse et l’un des "barons" de la région. Il a vécu dès son enfance dans cette passion de la vie politique. C’est tout naturellement qu’il se tourna vers le métier de journaliste après ses études de Science po. Il fut envoyé au Liban puis après avoir présenté le journal télévisé de TF1, il commenta les séances de questions au gouvernement à l’Assemblée Nationale le mercredi après-midi sur FR3 à l’époque où la gauche venait de gagner sa première victoire électorale sous la Ve République.
Auparavant, en 1965, il était membre des jeunes du Centre démocrate, le parti de Jean Lecanuet issu du MRP, candidat à l’élection présidentielle. Jeune loup plein d’avenir politique, agrégé de philosophie d’une grande intelligence, Jean Lecanuet avait misé sur un look à la Kennedy et avec un quart de siècle de différence, Dominique Baudis aurait pu suivre ce schéma, celui d’un Jean Lecanuet virtuel.
En mars 1983, Dominique Baudis gagna la mairie de Toulouse (succédant à son père, maire de 1971 à 1983). Il fit partie d’une nouvelle génération politique de jeunes élus de l’opposition prêts non seulement à reconquérir le pouvoir détenu par les socialistes mais également à conquérir en interne une opposition meurtrie par les divisions entre giscardiens et chiraquiens.
Très vite, Dominique Baudis cumula les mandats électoraux : député européen en juin 1984, président du Conseil régional de Midi-Pyrénées (le premier élu au suffrage universel) en mars 1986, député en mars 1986. Dominique Baudis était devenu en trois ans le nouveau "baron" incontournable de la Ville rose.
À cette époque, Toulouse gagnait largement en dynamisme la compétition avec sa concurrente du Sud-Ouest Bordeaux enlisée dans l’immobilisme d’un maire historique, certes valeureux mais trop âgé, Jacques Chaban-Delmas (maire de Bordeaux de 1947 à 1995, date à laquelle il passa le relais à Alain Juppé).
Les Trois B
Après la défaite présidentielle de son candidat, Raymond Barre, en avril 1988, Dominique Baudis constitua avec François Bayrou et Bernard Bosson, surnommés "les trois B", la jeune garde du Centre des démocrates sociaux (CDS) prête à tourner la page de la génération précédente symbolisée par Pierre Méhaignerie (président du CDS), Jacques Barrot (secrétaire général) et Bernard Stasi (premier vice-président).
C’est à partir du 6 avril 1989 que cette génération se fit entendre avec l’initiative des douze Rénovateurs inspirée par yartiBaudis03François Bayrou et Philippe Séguin visant à renouveler le leadership de l’UDF et du RPR. Parmi certains rénovateurs, dont Dominique Baudis, l’idée était notamment de réunifier l’opposition UDF-RPR en un seul parti, idée que soutenait également Édouard Balladur et qui vit finalement le jour le 23 avril 2002 avec la création de l’UMP.
Deux personnalités avaient atteint une forte popularité dans ce petit groupe : Michel Noir, qui venait d’être élu maire de Lyon malgré une dissidence, et Dominique Baudis. C’est ce dernier qui fut l’invité d’un journal télévisé à 20 heures pour demander à Valéry Giscard d’Estaing, les yeux droits dans la caméra, de céder la place à la nouvelle génération. Un excès d’audace d’autant plus étonnant que jusque là, Dominique Baudis avait été réputé pour ne jamais prendre de risque, par prudence très démocrate-chrétienne.
Valéry Giscard d’Estaing n’était pas seulement un ancien Président de la République. Il avait repris une certaine importance politique après l’élection présidentielle de 1988 en reprenant la présidence de l’UDF et en se positionnant plutôt favorablement à Jacques Chirac, président du RPR, dans la lutte entre les anciens et les modernes (Alain Juppé et Nicolas Sarkozy avaient également choisi les anciens malgré leur génération).
Cependant, après deux mois printaniers, l’initiative des Rénovateurs cafouilla lamentablement sur le mur européen, à cause de dissensions politiques entre Philippe Séguin et François Bayrou.
Les centristes se rangèrent derrière Simone Veil pour une liste spécifiquement centriste aux élections européennes du 18 juin 1989 (Jean-Louis Borloo, jeune maire de Valenciennes, était son numéro deux, sur la liste). Simone Veil avait mené une liste d’union UDF-RPR aux élections européennes du 17 juin 1984 avec le beau score de 43,0%. Cinq ans plus tard, elle ne recueillit plus que 8,4% (François Bayrou a dirigé cette campagne) et elle se trouvait en concurrence avec la liste menée par Valéry Giscard d’Estaing et Alain Juppé (28,9%) soutenue par le RPR et une partie de l’UDF.
Dominique Baudis sur le point d’être le "patron" des centristes
Une longue période sans aucune élection (entre septembre 1989 et mars 1992) fut l’occasion pour le CDS de se repositionner, avec en particulier un congrès à Saint-Malo du 19 au 21 octobre 1990, sans enjeu de pouvoir et basé uniquement sur l’aspect projet politique, et un renouvellement des instances dirigeantes du 11 au 13 octobre 1991 à Angoulême.

La situation au début de ce congrès était la suivante : un clivage entre les partisans de Bernard Bosson, très impliqué dans la vie interne du parti, et ceux de Dominique Baudis, beaucoup plus médiatique mais peu impliqué dans cette vie interne à tel point qu’il n’a adhéré formellement au CDS qu’à cette date. Beaucoup imaginaient que l’élection de Dominique Baudis à la présidence du CDS lui aurait permis de devenir un présidentiable pour 1995 ou 2002 parallèlement à un Jacques Chirac en perte de vitesse et perpétuel "loser" et un Valéry Giscard d’Estaing trop âgé pour envisager une revanche personnelle.

La solution politique adoptée à Angoulême a été typique de la bienséance démocrate-chrétienne où on ne tue jamais le père : un accord fut conclu pour que l’affrontement interne n’ait pas eu lieu. Pierre Méhaignerie restait président du CDS pour un dernier mandat, Bernard Bosson remplaçait Jacques Barrot comme secrétaire général et devenait le dauphin putatif, tandis que Dominique Baudis devenait président exécutif du CDS, un poste créé pour la circonstance afin de lui attribuer une responsabilité nationale. Finalement, la succession se déroula trois ans plus tard, le 10 décembre 1994 à Vincennes, avec l’élection …de François Bayrou (avec 665 mandats), le troisième des trois B, soutenu par Pierre Méhaignerie et René Monory dans sa confrontation avec Bernard Bosson (490 mandats).

Sur le front européen

Dominique Baudis rata la marche ministérielle lors de la constitution du gouvernement d’Édouard Balladur tandis que Bernard Bosson reçut un grand portefeuille technique (Transports) et François Bayrou l’Éducation nationale (les centristes étaient bien "servis" avec aussi Pierre Méhaignerie à la Justice et Edmond Alphandéry à l’Économie). Je ne m’étendrais pas sur cette absence sinon pour dire qu’il a été l’un des ministrables les plus médiatiques de la Ve République à n’avoir (à ce jour) jamais fait partie d’un gouvernement.

Il fut pourtant choisi (contre Jean-François Deniau) pour mener la liste d’union UDF-RPR aux élections européennes du 12 juin 1994 où il fit un score un peu plus modeste que ses prédécesseurs mais en se maintenant toujours en tête des listes présentes (25,6%), largement devant les maigres 14,5% de la liste socialiste menée par Michel Rocard (arrivée en deuxième position). Ce fut la seule responsabilité politique d’envergure nationale dans sa carrière en dent de scie.

Décennie 2000 : abandon de la vie politique

En mai 2000, il présida le comité éditorial du journal "Le Figaro", héritant d’Alain Peyrefitte, disparu le 27 novembre 1999.

En 2001, il renonça à la mairie de Toulouse (Philippe Douste-Blazy fut élu en mars 2001 pour lui succéder) et également à ses autres mandats politiques pour se consacrer au Conseil supérieur de l’audiovisuel qu’il a présidé du 17 janvier 2001 au 24 janvier 2007, nommé par le Président Jacques Chirac. Au cours de ce mandat, il lança la télévision numérique terrestre (TNT). Il fut ensuite désigné comme président du prestigieux Institut du monde arabe le 1er février 2007.

Entre temps, Dominique Baudis revint dans l’actualité médiatique par une porte dérobée dont il se serait bien passé : mis en cause en 2003 dans la glauque affaire Patrice Alègre à Toulouse, Dominique Baudis a préféré prendre les devants en s’exposant dans le journal de 20 heures du dimanche 18 mai 2003 sur TF1 pour réfuter toutes les accusations très graves portées contre lui (et jamais étayées judiciairement). Il ressortit de l’affaire très éprouvé personnellement avec beaucoup d’amertume sur le manque de soutien de certains proches, comme son successeur à Toulouse devenu ministre, Philippe Douste-Blazy (ce dernier avait été premier ministrable en 2002).

Retour à la vie nationale

Dominique Baudis se présenta en tête de liste UMP du Sud-Ouest aux élections européennes du 7 juin 2009 et arriva en tête avec 26,9%, reprenant pied dans une vie politique qu’il avait quittée pendant près d’une décennie.

À 64 ans, voici maintenant Dominique Baudis, homme mûr, meurtri par l’expérience, qui va s’investir dans une responsabilité très importante pour les pouvoirs du citoyens, le défenseur des petites gens face aux autorités administratives, le protecteur des libertés et de l’égalité.

Probablement que sa personnalité plutôt indépendante sera adaptée à ses nouvelles fonctions. En quelque sorte, celui qui était destiné au leadership politique va se transformer en protecteur de la veuve et de l’orphelin. Espérons qu’il ne prendra pas ce nouveau poste comme un simple placard doré pour retraite prestigieuse et qu’il saura pérenniser une institution naissante devenue essentielle dans une démocratie équilibrée et renouvelée.

Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (15 juin 2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Textes législatifs sur le Défenseur des droits (à télécharger).
La famille centriste en France.

Les Douze Rénovateurs (grandeur).

Les Douze Rénovateurs (décadence).

L’UDF.

yartiBaudis06
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/dominique-baudis-ex-jeune-loup-de-96027


 


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