Poésie du samedi, 26 (nouvelle série)
Il parait qu’au moment de l’intronisation d’un nouveau pape (oui, je sais, mais tel est mon bon plaisir d’appeler ça une intronisation !), un quidam lui corne aux oreilles « Sic transit gloria mundi », histoire de rappeler au zigue fraîchement mitré et crossé qu’il n’en reste pas moins un mortel en dépit de son éminente fonction de vicaire du Christ… « Ainsi passe la gloire du monde »… Je trouve cette pratique très pertinente et très belle, même si elle reste dans les coulisses et n’est pas visible par la foule de la place Saint-Pierre. J’en ai même rêvé de ce moment là, comme si simultanément une gerbe de lumière me sautait aux yeux en manière de révélation de la toute puissance divine et qu’une voix sonore me beuglait cette maxime latine, histoire de me ramener à ma bête condition humaine… Et puis, à un autre moment, c’était moi la voix et un autre s’en prenait plein les mirettes, de ces étincelles divines…
J’ai retrouvé cette maxime salutaire quand j’ai embarqué sur un drôle de « petit bateau blanc » pour un voyage qui n’est pas sans quelque inspiration baudelairienne mais qui est surtout une quête, celle d’un « vray désir » tel qu’il sera formulé ici. L’auteur(e) m’est inconnu(e) et ce recueil de poèmes en prose, paru chez Denoël en 1939, semble être sa seule œuvre publiée. Du moins sous le nom de Naïra France qui semble tellement bateau qu’il fleure bon le pseudo, associant subtilement le prénom « Naïra » qui signifie « lumière » en arabe et le nom de notre beau pays la France… Car il ne peut s’agir en 1939 d’un clin d’œil au paquebot France, mis à l’eau bien plus tard, en 1960.
Cette croisière commence comme la banale poursuite d’un homme mais l’on sent vite que ce prétexte pour sillonner les mers n’est que l’indice d’une quête plus fondamentale. Du voyage, chaque texte ramène une facette, qu’elle soit moment de spleen, appel, prophétie, oiseau, montagne, oubli, égarement, Djibouti, montagne, mort de Marie-Madeleine, fièvre… Bref, le voyage n’est assurément pas linéaire et on y trouve de belles pépites de lumière comme ce singulier Sic transit gloria mundi dans l’esprit d’un memento mori mais avec l’espoir en plus, l’espoir de la tension d’un certain désir qui serait comme moteur et promesse de joie partagée…
Sic transit gloria mundi
Il me semble parfois sentir sur mes épaules le poids de tous les siècles écroulés, comme une poussière lourde qui devient un fardeau.
D’innombrables nuits se sont posées sur la terre, d’incalculables choses, affaissées sous le poids de toutes ces heures, ont disparu peu à peu.
Le vent a emporté depuis des éternités tant et tant de feuilles mortes.
Et moi ? Je souris, quand je ne puis saisir, en toute conscience, que forcément cela m’arrivera.
Ce n’est pas la réalisation des désirs que nous aimons. Mais l’effort, la lutte, le combat qui mènent à cette réalité désirée.
C’est dans le désir seul que nous vivons pleinement.
« Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front ». C’est vrai, c’est le meilleur pain. Celui que l’on mange en respirant son odeur simple de blé.
Et c’est aussi celui que l’on partage avec le plus de joie.
Naïra France, Le petit navire blanc, Denoël 1939.
PS : Si quelqu'un a des infos sur Naïra France...