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Produire et consommer localement : c’était le Moyen-Âge

Publié le 21 juin 2011 par Copeau @Contrepoints

La « démondialisation », retour vers le passéDans ses commentaires sur le livre-programme à deux euro d’Arnaud Montebourg, Daoud Boughezala affirme que le « dernier bastion des défenseurs de la mondialisation » serait constitué, d’après « les sondages », par les « élites mondialisées ». Je m’inscris en faux contre cette allégation. Je ne fais moi-même pas partie de ces fameuses élites mondialisées et pourtant il se trouve que je suis un fervent défenseur de la mondialisation et du libre-échange. Démonstration.

L’idée selon laquelle la mondialisation « désindustrialise » la France est un mythe qui n’a d’existence que dans le discours politique. Si le poids de l’industrie recule dans notre économie – la part de l’industrie passe de 22% du PIB en 1970 à 11% en 2010 –, ce n’est pas du à une baisse de notre production industrielle – elle n’a jamais été aussi élevée que ces dernières années [1] – mais à une croissance plus rapide des activités de services. Si messieurs Montebourg et Boughezala pensent que la mondialisation est à l’origine de ce phénomène, il va falloir qu’ils nous expliquent comment il peut être mondial : la part de l’industrie dans le Produit Mondial Brut est passée de près de 27% en 1970 à moins de 17% de nos jours ; en Allemagne, elle est passée sur la même période de 32% du PIB à 17% [2]. Serions-nous victimes de la concurrence déloyale d’une civilisation extraterrestre ? Nos chantres du protectionnisme mettent-ils aussi la mondialisation en cause dans la réduction du poids de l’agriculture dans notre économie ? Combien d’exploitations agricoles ont-elles été délocalisées en Chine ces dernières années ?

Ce que messieurs Montebourg et Boughezala appellent la « désindustrialisation » est, pour l’essentiel, la conséquence de deux phénomènes : l’externalisation de certains métiers – typiquement le nettoyage des sites de production – qui étaient autrefois comptés comme des emplois industriels et qui sont aujourd’hui comptabilisés dans les « services aux entreprises » mais surtout le progrès technologique. Le fait est que les gains de productivité réalisés dans nos industrie comme dans notre agriculture font que « fabriquer des choses » est devenu une activité à faible valeur ajoutée qui utilise infiniment moins de main d’œuvre qu’il y a 20, 30 ou 50 ans. En d’autres termes, la valeur réelle des biens industriels baisse et c’est précisément ce qui permet à nos concitoyens – et à commencer par les moins fortunés – de disposer d’un pouvoir d’achat plus élevé qu’il ne l’a jamais été dans l’histoire [3].

Pour nous « protéger » de cette « désindustrialisation », on vous propose de mettre en place des politiques protectionnistes. Dans la pratique, pour ceux à qui ça aurait échappé, ça signifie que l’Etat va taxer les produits d’importation afin de pénaliser les entreprises étrangères qui ont le culot de nous vendre des produits bon marché et donc de favoriser les entreprises françaises qui nous vendent des produits plus onéreux. S’il y a une conséquence certaine d’une politique protectionniste c’est que les prix des produits que vous consommez vont monter – soit qu’ils sont importés et donc taxés, soit qu’ils sont produit en France mais ne sont plus contraints par la concurrence étrangère. Cette politique, c’est vous qui la paierez et vous la paierez que vous soyez riche à millions ou pauvre comme Job par une baisse de votre pouvoir d’achat.

Mais, me diriez vous, « ça va créer des emplois en France ! ». Alors voila le plan : en taxant – par exemple – les produits textiles importés, les industriels qui souhaitent nous vendre des chemises viendront relocaliser leur production en France et embaucherons une main d’œuvre française. N’ayant plus à craindre la « concurrence déloyale » des chinois, tunisiens et autres turcs, ils vendront leurs chemises plus cher et comme nous ne sommes absolument pas sensibles au prix des choses que nous achetons, nous consommerons autant de chemises qu’avant. A moins, bien sûr, que nous – et particulièrement les moins riches d’entre nous – ne soient tout à fait sensibles au prix des chemises auquel cas, nous en achèterions moins et cette production nouvellement relocalisée ne serait qu’une fraction de ce que nous importons aujourd’hui… N’est-ce pas ?

Ce que nos apprentis sorciers semblent négliger c’est qu’une partie considérable des biens et services que nous consommons aujourd’hui ne nous sont devenus accessible que grâce à la mondialisation. Fermez les frontières et la production de ces biens ne sera pas relocalisée en France mais elle disparaîtra purement et simplement pour la simple et bonne raison que personne n’aura les moyens de se payer ces produits. Avec les chemises bon marché produites en Chine, nous assisterons donc aussi à la disparition des métiers qu’elles ont créés chez nous : transporteurs, stylistes, vendeuses en boutique… j’en passe. Rajoutez à ça les contremesures inévitables qui seront mises en place par le gouvernement chinois et ce sont des entreprises comme L’Oréal, Legrand et nos producteurs de Cognac [4] qui iront rejoindre les reste de notre économie par le fond.

Finalement, Daoud Boughezala reproche à Arnaud Montebourg de se raccrocher « à l’illusion d’un intérêt général européen ». C’est-à-dire que Montebourg pense qu’il existe une définition de l’intérêt général des européens qui est en contradiction avec celui des non-européens tandis que Boughezala lui oppose qu’il existe un intérêt général des français qui n’est pas compatible avec celui des non-français. Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? N’existe-t-il pas un intérêt général des provençaux qui est en contradiction avec celui des non- provençaux ? Et quid de l’intérêt général des marseillais ? Est-il compatible avec celui des non-marseillais ? Et puisque nous y sommes, pourquoi l’intérêt général des habitants du panier [5] irait-il de paire avec celui des habitants des autres quartiers de Marseille ? Messieurs Montebourg et Boughezala pourraient-ils me dire au nom de quoi l’intérêt général de ma petite famille serait compatible avec celui de ceux qui n’en font pas partie ?

Eh bien non, ils ne peuvent pas. Ils en sont incapables pour la bonne et simple raison qu’admettre que mon intérêt personnel n’est en aucune manière en contradiction avec celui de mes voisins revient, par simple extension, à admettre qu’il n’est pas non plus en contradiction avec celui d’un ouvrier chinois ou d’un agriculteur péruvien. L’idée selon laquelle il existerait, à quelque échelle que ce soit, une définition de l’« intérêt général »qui soit incompatible avec nos intérêts individuels et qui justifierait, dès lors, que messieurs Montebourg et Boughezala fassent usage de la force pour nous obliger à lui sacrifier nos vies constitue le premier fondement de l’Etat totalitaire. La seule conclusion logique de l’idée selon laquelle l’intérêt général des français serait en contradiction avec celui des allemands c’est que nous devrions, comme l’écrit Daoud Boughezala, « envoyer nos chars Leclerc à Baden-Baden ».


[1] Ajustée de l’inflation, la production industrielle française (900 milliards d’euros) était 114% plus élevée en 2010 qu’en 1970 et sa valeur ajoutée (215 milliards d’euros) a doublé (source : Insee).
[2] Données des Nations Unies.
[3] Un exemple : payé au Smic, un français de 1972 devait travailler 2 265 heures pour s’offrir une Renault 5 ; aujourd’hui, 1 000 heures suffisent pour acquérir une Twingo
[4] Pour info, 95% de la production de Cognac française est exportée – notamment en Chine (troisième marché mondial) – et cette industrie fait vivre environ 50 000 personnes et leurs familles.
[5] Le plus vieux quartier de Marseille.

Article repris du site de l’auteur, avec son aimable autorisation


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