Rappel de la règle du jeu : Le parcours proposé à la sagacité des blogo-randonneurs ou des rando-bloguistes ne comporte aucun nom de commune. Seuls sont cités les lieux-dits, hameaux et points « remarquables ».
Comme d’habitude, il s’agit d’une boucle dont la longueur totale est d’un peu plus de six lieues de France.
Carte IGN 2621 O
La randonnée d’aujourd’hui tutoie l’Histoire (la grande et la petite), d’où les lieues dont la taille imprécise et l’indubitable antiquité s’accordent bien avec l’itinéraire que je vais vous proposer.
Votre point de départ est situé sur une placette garnie de tilleuls. Elle entoure la vieille église du lieu et vous y garerez votre automobile sans problème ni bourse délier nul horodateur ne projetant ici son ombre maléfique. Situé à l’exact carrefour des départementales 212 et 73, le village que vous allez quitter a le charme de la province profonde. Il en a aussi la mélancolie. Même si une épicerie y était encore ouverte à mon dernier passage, vous ferez bien de prévoir votre pique-nique ou votre casse-croûte sans trop compter sur les ressources locales. Là-dessus, j’en vois qui s’interrogent : Chambolle ne vient-il pas de commettre un pléonasme ? Pique-nique et casse-croûte c’est du pareil au même, blanc bonnet et bonnet blanc et kif kif bourricot! Ignorantus, ignoranta, ignorantum ! Casse-croûte et pique-nique se ressemblent, mais ne s’assemblent point. Malheureusement nous n’avons pas le temps de discuter cette grave question car, si vous voulez pique-niquer ou casser la croûte dans des conditions de confort minimales, il est temps de vous mettre en route (étant admis que cette randonnée débute entre 8h30 et 9h00, heure légale).
Vous quitterez donc la placette qui gît, approximativement par 3°20’ de longitude est, et 47°33 de latitude nord, par une petite route. Elle s’en va vers le sud-ouest en direction des Guillons d’en bas et des Guiton d’en haut. Sagaces comme vous êtes, cette indication toponymique suffit à vous faire deviner qu’il y a du dénivelé à l’horizon. Exact, mais n’oublions pas que nous sommes en Basse Bourgogne, les altitudes atteintes ne nécessiteront pas l’usage du masque à oxygène.
Après avoir traversé les champs de la Michonnerie, de la Trière et du Cul du Loup, la route vire ouest-sud-ouest et un beau chemin s’ouvre à votre gauche. Il file tout droit, en montant, vers le bois des Usages. Tendez l’oreille. Un piétinement sourd se fait entendre. Aucun doute ! C’est celui des légions en marche ! Vous êtes, en effet sur une ancienne voie romaine dont vous allez suivre facilement le, presque rectiligne, tracé sur la carte.
Commencez à grimper. Bientôt, à votre gauche, vous verrez béer l’ouverture de très anciennes carrières. Revenu à l’état sauvage, l’endroit a quelque chose de mystérieux bien propre à faire passer sur les échines imaginatives un agréable frisson d’inquiétude. Pas besoin de se forcer beaucoup pour y deviner l’entrée de labyrinthes à minotaures ou de cavernes hantées de créatures démoniaques. Ceci étant, le dernier occupant des lieux était, il y a une bonne dizaine d’années, un fort pacifique producteur de champignons de Paris. Faites un détour pour contempler le décor, mais avec prudence. Il serait dommage qu’une chute interrompe ici votre randonnée
Après les carrières, la côte se poursuit. Vous devez, en effet, atteindre l’inimaginable altitude de 358 m point culminant de la Montagne aux Alouettes dont vous êtes en train de gravir la face nord-est. Ayant escaladé la colline de Vézelay par la vire de la Cordelle et le Mont Beuvray par une départementale nivernaise, vous en avez vu d’autres. La difficulté ne vous fait pas peur et vous avez bien raison car vous voilà sur une crête d’où vos yeux, à la fois étonnés et ravis, peuvent contempler (sous réserve que le temps le permette) :
- à gauche et au sud, les premières ondulations de ce qui, trente kilomètres plus loin, va devenir le Morvan
- à droite et au nord, la Puisaye veuve de son bocage mais à laquelle on a laissé quelques bois.
Justement, au nord nord-est, vous en voyez un (de bois), perché sur une éminence. Sans atteindre les hauteurs où vous êtes parvenu, cette butte n’en dépasse pas moins de quelques toises la barre des trois cents mètres. Son nom ? – Le Roichat !
Les apparences sont trompeuses et ce toponyme ne fait pas référence à un alter ego domestique et réduit du Roi Lion, cher à la maison Disney. Le Roichat, c’est le roi Charles le Chauve. En effet, vous avez la chance, que vous ne soupçonniez pas au départ, de contempler le site d’une des plus gigantesques peignées européennes de tous les siècles. Devant vous, s’étend le site de la bataille de Fontenoy (en Puisaye) au cours de laquelle le Chauve, déjà cité, allié à son frère Louis le Germanique flanqua à Lothaire, leur aîné à tous deux, une si mémorable dégelée que, 1270 ans après, on en parle encore. On ne fait pas d’omelette, surtout guerrière, sans casser d’œufs. Le massacre fut d’une telle ampleur que les traces ne s’en effacèrent jamais de la mémoire locale ce qui explique le nom donné à ce monticule d’où Charles mena ses troupes à une victoire que, nous autres Bas Bourguignons nous commémorons d’autant plus volontiers que nous étions du côté des gagnants. On connaît la suite : traité de Verdun, division de l’Empire en trois avec, à ma droite (côté des élus) le Royaume de France, à ma gauche, la Germanie et, entre les deux, le reste attribué au perdant, d’où la Lotharingie. On sait moins que le Verdun en question n’est pas Verdun, Meuse, mais Verdun-sur-le-Doubs, Saône et Loire, coquet chef-lieu de canton, confluent le Doubs et la Saône et capitale de la pauchouse. Ce plat divin fut d’ailleurs créé à l’occasion de la signature de ce traité, à laquelle il contribua, par Déodat, de son état cuisinier à Saint Germain d’Auxerre. Voici l’histoire : Charles, outre ses fonctions royales, était abbé de cet établissement religieux, il appréciait les talents du moine. Il l’emmenait partout avec lui et, quand il se rendit à Verdun (sur le Doubs), le cuisinier était du voyage. Les discussions entre les trois frères traînaient en longueur, compliquées qu’elles étaient par les discours prononcés, en latin, par les membres de leurs délégations respectives. Pour en finir, Charles eut l’idée d’organiser un déjeuner de travail où ne seraient présents que Louis et Lothaire : « On appellera ça un G3, déclara-t-il à son chancelier, ça fera moderne et dynamique ! ». Puis il appela Déodat auquel il recommanda « de soigner la tortore » (cette expression d’origine, bavaroise , on sait que Judith la mère de Charles venait des environs de Munich, peut se traduire par « faire en sorte que la chair soit irréprochable ») car, ajouta-t-il « Je les connais, quand ils s’en seront mis jusque-là, j’en ferai ce que je voudrais ». Il accompagna ces dernières paroles d’un mouvement de la main droite placée brusquement au-dessus de la tête et il conclut en espérant que Déodat ne décevrait pas la confiance qu’il lui faisait « sinon… » (En bavarois, l’expression « sinon… » peut se traduire par « après qu’on t’ait arraché la langue et coupé la main droite, tu seras jeté dans la plus proche rivière, enfermé dans un sac lesté de plusieurs grosses pierres. »). Ces encouragements inspirèrent au cuisinier l’idée d’implorer l’aide du grand Saint Germain. Ce ne fut pas en vain. Saint Germain, ne refuse jamais son secours aux Auxerrois. L’évêque lui apparut dans un halo de lumière et il lui dicta la recette de la pauchouse. Ce plat paradisiaque fut servi le soir même, aux membres du G3. Louis, Lothaire et Charles n’en laissèrent pas une miette. Comme ils l’avaient arrosé d’un nombre respectable de flacons en provenance directe de la grand-côte d’Auxerre,( qui est la boisson des rois) le traité fut signé le lendemain matin.
D’accord, tout ça est un peu long, mais avouez qu’on n’a pas tous les jours l’occasion de s’extasier devant un site à ce point imprégné d’histoire. J’ajoute que, si vous avez été prévoyant, vous avez dans votre sac une petite bouteille de Chitry et qu’un verre d’aligoté vous aidera sans doute à imaginer les divers épisodes de l’empoignade carolingienne évoquée ci-dessus.
Bon, il est temps de continuer. Ignorez les constructions qui se dressent à quelques centaines de mètres devant vous et quittez la voie romaine en prenant, à gauche, un sentier qui dévale à travers la forêt vers le Gros Teureau. Là, engagez vous à droite dans un chemin qui, entre bois et champs va vous amener à la petite route qui relie le hameau de Vellery à celui de la Sauvin (je signale aux amateurs que de la fin de l’été aux premiers jours d’automne, on peut, si le temps s’y prête, trouver là de délicieux champignons de rosée).
Juste avant la Sauvin, il vous faut suivre à droite, une large piste. En longeant le Champ de l’Aveugle, les Vaux de Naison et les Lapinières, arrive à la Croix Rouge (inutile de chercher ce monument, il a disparu). Là, on tourne à angle droit vers la gauche et vous débouche sur une petite route.Quelques mètres sur la droite et, une fois de plus, à gauche pour prendre le chemin de la Garenne (suite logique des Lapinières) lequel vous mènera au viaduc de l’ancienne ligne de chemin de fer d’intérêt local où vous pourrez, au choix, casser la croûte ou pique-niquer en contemplant les restes imposants du Château de Druillet les Belles Fontaines. L’ancienne résidence des comtes d’Auxerre domine le village serré autour de son église et les sources qui lui ont donné son nom. Comme j’ai conscience d’en avoir un peu trop fait avec la bataille de Fontenoy, je ne dirai rien de Pierre de Courtenay qui faillit devenir Empereur de Constantinople, ni de Jean-Roch Coignet, rescapé des campagnes napoléoniennes qui finit épicier et mémorialiste, place Saint Eusèbe à Auxerre. De toute façon, j’ai une autre randonnée sous le coude qui me donnera l’occasion de parler de ces deux braves garçons.
Pour le moment, les fourmis de service emportent vers leurs réserves, les miettes tombées de votre pique-nique ou de votre casse-croûte. Un coup de rein pour charger votre sac, considérablement allégé, et en route. Pas d’erreur possible ! Si, ce matin, vous suiviez la voie romaine, cette après-midi il vous faut rester sur la voie ferrée. Cela n’a rien de désagréable, le ballast a depuis longtemps disparu et, n’étaient les ouvrages d’art qui subsistent ici ou là on pourrait se croire sur un de ces anciens chemins ligures, chers au cœur de feu Gaston Roupnel. Courbes à peine accentuées, déclivités imperceptibles, calme garanti, la marche s’apparente ici à une promenade digestive pour notable sortant d’un banquet de comice agricole. Au fil des kilomètres, on découvre quelques anciennes maisons de garde-barrière promues (?) résidences secondaires par des citadins désireux de profiter du calme de la France profonde. Elles sont parfois, en été, occupées par des chiens dont il convient de se méfier surtout si leurs maîtres vous hurlent « qu’ils veulent jouer ». Ces rencontres sont, heureusement, exceptionnelles.
Laissez sur votre gauche le hameau des Roches, continuez jusqu’à celui de Fougilet. Il eut jadis son école, mais les cris d’enfants n’y résonnent plus guère. Ne vous laissez pas gagner par la mélancolie et poursuivez votre chemin, entre les Epinettes et le Bois Brûlé jusqu’à ce que vous retrouviez entre les Tierces et l’Escarpis, la bonne vieille voie romaine, abandonnée ce matin. Il vous suffit de tourner à gauche et de marcher tout droit en direction de la Montagne aux Alouettes. Le chemin traverse de grands champs de céréales au bord desquels, les traitements ayant été notablement allégés, sont revenus bleuets et coquelicots. Il arrive même qu’on y voit des marguerites. Composez mentalement un bouquet des trois fleurs de la Nation et envoyez le, par la pensée à celui ou à celle que votre cœur aime. Devant vous, le chemin file droit en suivant les modestes ondulations qui rythment un paysage où le vent souffle sans contrainte. S’il n’y fait pas tourner d’éoliennes, il met facilement en mouvement les imaginations. Profitez en ! Ici on peut rêver tout éveillé. Grandiose reconstitution historique ou paisible idylle bocagère : à vous de choisir. L’antique route sur laquelle vous marchez a supporté sans se plaindre des charges beaucoup plus lourdes que vos songeries de promeneur, solitaire ou non. Après une dernière et courte côte, elle vient se noyer dans le goudron de la départementale 73. Devant vous, le village quitté ce matin. Vous vous arrêtez un instant pour le regarder et vous rappelant le Giono de Jean le Bleu vous vous dites : « Décidément, tout le bonheur de l’homme est dans les petites vallées ».
Chambolle