Frontière naturelle entre deux nations, le versant nord appartenant à la France et le versant sud à l'Espagne, de la Mer Cantabrique, - le cap Higuer -, à l'ouest, au golfe du Lion, - le cap de Creus -, à l'est, la chaîne pyrénéenne s'étend sur 430 kilomètres et elle s'étire sur 50 à 150 kilomètres de large entre la Gascogne, le Midi-Pyrénées et le Roussillon au nord, et le bassin de l'Ebre au sud. Du moins c'est ainsi que nous apprenons à connaître ce massif dans les manuels de géographie.
Au pied de cette vaste chaîne de montagnes, les siècles et les événements ont rassemblé, sous un sceptre unique, de Perpignan jusqu'à Bayonne, plusieurs peuplades d'origine, de physionomie de langage, de mœurs et de caractère comparable. La bravoure a toujours été commune à toutes ces tribus d'hommes robustes, intelligents et fiers qui ont partagé et qui partagent la même destinée. Doués d'une haute stature et d'une force prodigieuse, les habitants de ces contrées magnifiques s'identifient à une nature prolixe et extraordinaire. Ce sont là les Catalans, les Ariègeois, les Béarnais et les Basques, peuples patients, sobres et belliqueux, qui vivent les uns à l'orient, les autres à l'occident, dans une même communion d'esprit et de cœur.
Les errances étymologiques sur le toponyme « les Pyrénées. »
Pyrénées ! Depuis l'Antiquité deux thèses s'affrontent sur l'origine du nom des Pyrénées. La première, en référence à Diodore de Sicile, - Livre V, chapitre XXXV -, et à Isidore de Séville, - Étymologies, livre 14, chapitre 8 -, est assise sur une explication étymologique en corrélation avec « le feu » et « la foudre. » La seconde, mythologique, due à Silius Italicus, - Guerres Puniques, III -, renvoie à la légende de l'union d'Hercule et de Pyrène, princesse Bébryce, pour les uns, celtibère, pour les autres. Des linguistes modernes proposent, en alternative à l'interprétation primitive du patronyme, de hypothèses basées sur des racines indo-européennes renvoyant aux notions de montagne, de rocher ou de passage. Mais aucune d'elles ne fait l'unanimité.
Pyrénées ! Origine du nom bien floue aux dires de tous les puristes qui se sont penchés sur son étude étymologique, qualifiant, du reste, certains travaux, proposés au cours des siècles précédents, de fantaisistes et, de fait, des travaux fantasques non retenus de nos jours et rejetés aux oubliettes. Et, pour couper court à tout procès d'intention, ils en concluent, pompeusement et sans spécifier quelconque explication tangible en concordance avec leur postulat émis, que « Pyrénées » est un toponyme savant(1) emprunté tardivement aux géographes grecs.
La signification étymologique des « Pyrénées » suivant Diodore de Sicile.
Diodore de Sicile, vers 90 - 30 av. J.-C, - Livre V, chapitre XXXV -, explique le nom « Pyrénées » à partir du grec ancien « πῦρ » ou « pŷr », - feu -, à cause d'un immense incendie qu'auraient provoqué les bergers. « ...Dans les livres précédents, à propos des actions d'Hercule, », écrit-il, traduit du grec par Ferdinand Hoefer, 1851, « …il a été fait mention des montagnes de l'Ibérie, nommées les Pyrénées. Ces montagnes surpassent les autres par leur hauteur et leur étendue. Séparant les Gaules de l'Ibérie et de la Celtibérie, elles s'étendent de la mer du Midi à l'Océan septentrional, dans un espace de trois mille stades. Autrefois elles étaient en grande partie couvertes de bois épais et touffus, mais elles furent, dit-on, incendiées par quelques pâtres qui y avaient mis le feu. L'incendie ayant duré continuellement pendant un grand nombre de jours, la superficie de la terre fut brûlée, et c'est de là que l'on a donné à ces montagnes le nom de Pyrénées... »
Pourquoi ne pas accepter la signification du toponyme « Pyrénées », donnée par Diodore de Sicile, comme pertinente et plausible ? C'est vite oublier et faire fi, par les linguistes, ce qui devrait, au contraire, les caractériser par leur savoir boulimique, implacable et inextinguible, que dès le VII° siècle avant J.C., des colons grecs s’installent en Sicile et dans le sud de la botte italienne, en Grande Grèce. Ainsi les Romains sont confrontés, très tôt, à la langue des Grecs et à leur civilisation raffinée et brillante. En outre, quand les Romains conquièrent l'Ibérie et la Gaule, ils rencontrent, là encore, des Grecs. Ceux-ci ont installé des comptoirs sur les côtes et fondé des villes, Emporion(2), Collioure, Narbonne, Agde, Massalia(3), Nice…
Les raisons de penser à la justesse de la signification étymologique des « Pyrénées » selon Diodore de Sicile.
L’influence de la culture grecque s'étend jusqu’à Naples, - du grec neapolis, la ville nouvelle -, en Campanie, où l’on continue, tout comme dans le sud de la Gaule, à Massalia, à Agde, à Collioure..., à parler grec. La confrontation avec les Grecs d’Italie et de Sicile rend leur culture familière aux Romains. C’est pourquoi lorsqu’au II° siècle avant J.C. ils conquièrent la Grèce et en font une province romaine, ils se montrent admiratifs de la culture du vaincu et ne lui imposent pas leur langue. C’est même le contraire qui arrive. Les Romains apprennent le grec. Dans l’antiquité, le grec est la langue de la culture, tandis que le latin est la langue de l’administration. Pendant des siècles tout Romain cultivé est bilingue, dès son plus jeune âge et il est capable de lire et d’écrire aussi bien en grec qu’en latin.
A l’origine, les Romains s’intéressent peu à la culture. Leur civilisation est avant tout une civilisation de soldats et de laboureurs. Ce sont des ingénieurs et des constructeurs remarquables, mais ils sont peu intéressés par la réflexion philosophique. C’est pourquoi ils se montrent méfiants envers un peuple qui honore le théâtre autant que la politique, l’athlète autant que le soldat, le philosophe autant que le paysan. Ils considèrent les Grecs comme des gens peu sérieux, des « Graeculi » ou « petits Grecs », plus portés sur le discours que sur l’action. Cependant, ils sont conscients de l’antériorité de la culture grecque et, paradoxalement, l’admirent beaucoup. C’est pourquoi les jeunes gens des familles aisées achèvent leurs études à Athènes, en Asie Mineure ou en Grande Grèce pour apprendre la rhétorique et la philosophie et, ainsi, se préparer à leur futur métier d’orateur et d’homme politique. C’est également la raison pour laquelle ils accueillent, assez tôt, dès le II° siècle avant J.C., des penseurs et des artistes grecs qui imprègnent les esprits romains.
La tradition des feux pastoraux et leur signification étymologique pour le toponyme « Pyrénées » suivant Diodore de Sicile.
Les feux pastoraux dans les systèmes agro-sylvo-pastoraux traditionnels existent depuis l'époque néolithique et sont mis en œuvre par les bergers. Dans les Pyrénées, les pratiques du feu sont exclusivement à but pastoral. La plupart des pâturages pyrénéens sur substrats acides sont en fait des landes à bruyères, genêts, fougères, ajoncs, et les brûlages visent à débroussailler les pâquis pour favoriser la pousse de l’herbe. Dans le système traditionnel, la fréquence des mises à feu oscille, selon les milieux, entre tous les 3 à 4 ans, en basse montagne, et 8 à 10 ans dans les estives, avec une répartition de petits feux dans tout l’espace, pelouses, landes mais aussi forêts pastorales.
Cette méthode à, aussi, été employée dans les défrichements culturaux au Néolithique et au cours de l’Antiquité. Elle se pratique au cours des mois d'hiver. A ce sujet, Diodore de Sicile n'écrit-il pas que les Pyrénées « étaient en grande partie couvertes de bois épais et touffus, mais elles furent, dit-on, incendiées par quelques pâtres qui y avaient mis le feu. L'incendie ayant duré continuellement pendant un grand nombre de jours, la superficie de la terre fut brûlée... », concluant « ...c'est de là que l'on a donné à ces montagnes le nom de Pyrénées... » Les Pyrénées, en grec, s'écrivant « Πυρηναίας, » ou « Πυρήνας, », qui se segmente en « πυρ », feu, et « ήνας » ou « μήνες », mois, et qui se traduit par le mois ou les mois du feu.
La signification mythologique des « Pyrénées » d'après Isidore de Séville.
Pour Isidore de Séville, - Étymologies, livre 14, chapitre 8 -, « Pyrénées » vient aussi du grec « pŷr » ou « πυρ », - feu -, car ces montagnes sont souvent frappées par la foudre qui génère des incendies. En effet, les lieux les plus fréquemment foudroyés sont les sols métallifères et ferreux très conducteurs, les points culminants, les vallées constituant des couloirs d'orage ou les cuvettes créant des nids à orage. En France, les régions les plus foudroyées sont les Pyrénées, la Vallée des Merveilles et le Massif Central. Ce qui laisse à penser que, le Dieu de la foudre étant Zeus chez les Grecs et Jupiter chez les Romains, les Pyrénées seraient la montagne subissant les foudres ou les feux de Zeus. En effet, « Pyrénées », en Grec, s'écrit « Πυρηναίας, » ou « Πυρηναία », « Pyrίnaίαs » ou « Pyrίnaία », qui se décomposer en « Πυρ », feu, ou « Πυρή », nucléus ou nucléaire, et « Δία » ou « Δίας », Zeus ou Jupiter
La signification mythologique des « Pyrénées » selon Silius Italicus.
Sous l’influence de la pensée et de la mythologie grecques, la religion romaine primitive se transforme en profondeur. Aux puissances indéterminées, - numina -, et aux Dieux représentant les forces de la nature se sont substitués des Dieux figurés sous l’apparence d’hommes et de femmes, - anthropomorphisme -. Les Dieux romains sont identifiés avec les Dieux grecs et ont les mêmes domaines d’action. Ils prennent les attributs, les symboles et les mythes de leurs équivalents grecs. Ainsi, Jupiter est assimilé à Zeus, Phœbus à Apollon, Mars à Arès, Hercule à Héraclès, Diane à Artémis, Minerve à Athéna...
Dans la mythologie grecque, les « Pyrénées » sont associées à Pyrène, « Πυρήνη », vierge, fille du roi Bébryce. Selon Silius Italicus, Guerre Punique, tome III, traduction. sous la direction de Désiré Nisard, 1878, « C'est le nom de la vierge, fille de Bébryce, qu'ont pris ces montagnes. L'hospitalité donnée à Hercule fut l'occasion d'un crime... Sous l'empire du dieu du vin, il laissa dans le redoutable palais de Bébryce la malheureuse Pyrène déshonorée. Et ce dieu... fut ainsi la cause de la mort de cette infortunée. En effet, à peine eut-elle donné le jour à un serpent, que, frémissant d'horreur à l'idée d'un père irrité, elle renonça soudain, dans son effroi, aux douceurs du toit paternel, et pleura, dans les antres solitaires, la nuit qu'elle avait accordée à Hercule, racontant aux sombres forêts les promesses qu'il lui avait faites. Elle déplorait aussi l'ingrat amour de son ravisseur, quand elle fut déchirée par les bêtes féroces. En vain elle lui tendit les bras, et implora son secours pour prix de l'hospitalité. Hercule, cependant, était revenu vainqueur; il aperçoit ses membres épars, il les baigne de ses pleurs, et, tout hors de lui, ne voit qu'en pâlissant le visage de celle qu'il avait aimée. Les cimes des montagnes, frappées des clameurs du héros, en sont ébranlées. Dans l'excès de sa douleur, il appelle en gémissant sa chère Pyrène, et tous les rochers, tous les repaires des bêtes fauves retentissent du nom de Pyrène. Enfin il place ses membres dans un tombeau, et les arrose pour la dernière fois de ses larmes. Ce témoignage d'amour a traversé les âges, et le nom d'une amante regrettée vit à jamais dans ces montagnes. »
Dès le Paléolithique supérieur, les « Pyrénées » terre et domaine du peuple Bascoïde.
Selon Bryan Sykes, un des pères de la Généalogie génétique et de la génétique mitochondriale, les Basques, les Pyrénéens et les Catalans archaïques, - populations de chasseurs-cueilleurs -, occupaient les régions pyrénéennes depuis 25.000 ans et, conséquemment, étaient une même race, un même peuple et parlaient la même langue ou le même langage.
La langue basque ou euskarienne, causée et écrite, est étrangère à la famille des langues indo-européennes et, d'après Strabon, « était autre que le gaulois et était parlée par les peuples habitant le Sud de la Garonne et le bassin supérieur de ce fleuve jusqu'aux Cévennes. » En outre, au temps de Strabon, de Pline et de Ptolémée, des localités à noms de consonance basque existaient sur les bords du Guadalquivir, du Tage et de l'Ebre, ainsi que sur les deux versants des Pyrénées. Le domaine de l'euskara était donc, jadis, plus étendu qu'aujourd'hui. Il comprenait au moins les deux tiers de l'Espagne et une notable partie de la Gaule méridionale. « Illiberris, - Elne dans le Roussillon -, Elimberre, - Auch en Gascogne -, Illiberris, - Grenade en Bétique -, ces trois noms suffiraient à eux seuls », disait Luchaire, « pour établir que le basque fut jadis parlé en Andalousie, en Gascogne et en Roussillon. »
La base de la signification étymologique des « Pyrénées » suivant les langues indo-européennes.
Comme Konrad Mannert, - Geographie der Griechen und Römer, Nuremberg, 1795-1825 -, le prétend, le toponyme « Pyrénées » dérive du celtique « byren » ou « piren » signifiant montagne. Mais cette signification ne va pas au-delà du radical « Pyré » ou « Pyren » et paraît, à prime abord, fort simpliste, les Pyrénées n'étant pas la seule montagne sur le domaine Basque.
Historiquement, quand les Grecs ont posé pied sur les côtes Méditerranéennes, à Agde, à Narbonne, à Collioure, à Empurion, et ayant fait commerce avec les autochtone, comme le rapporte Diodore de Sicile, « Autrefois elles étaient en grande partie couvertes de bois épais et touffus, mais elles furent, dit-on, incendiées par quelques pâtres qui y avaient mis le feu. L'incendie ayant duré continuellement pendant un grand nombre de jours, la superficie de la terre fut brûlée... », ils ont eu connaissance de la légende qui avait « donné à ces montagnes le nom de Pyrénées... », « Πυρηναίας, », « Pyrίnaίαs » ou « Πυρηναία », « Pyrίnaία », en grec. Décomposant le nom en « Πυρ », feu, ou « Πυρή », nucléus ou nucléaire, et « Δία » ou « Δίας », Zeus ou Jupiter, il ne se peut qu'admettre que cette montagne subit le feu ou la foudre de Zeus. Et ce n'est donc point à tort que les géographes grecs aient, ainsi, désigné les « Pyrénées. »
La signification étymologique des « Pyrénées » d'après la langue basque.
La langue des basques archaïques, baptisés ibères par les grecs, a fait couler beaucoup d’encre mais, les nombreuses tentatives n’étant parvenues à aucun résultat concluant, personne n’a jamais pu la déchiffrer. Elle dérive de la langue néolithique parlée dans la zone dans laquelle elle s'est développée, la difficulté étant que le peuple basque semble avoir évolué en vase clos durant des millénaires. Ainsi, la langue néolithique, retranscrite au début du VI° siècle avant J.C., est aussi ancienne dans le Languedoc que dans l'est, le nord et le nord-est de la péninsule ibérique. La mieux conservée est, malgré les influences celtes inévitables, celle des populations pyrénéennes.
Si depuis le « Pyrίnaία » grec, le nom « Pyrénées » s'est perpétué en « Pyrenaeus » chez les Romains, « Pirineos » en Castillan et en Galicien, « Perinés » en Aragonais, « Pirineus » en catalan, et « Pirenèus » en Occitan, en basque il s'est pérennisé sous le vocable « Pirinioak. » Et « Pirinioak. » ne donne-t-il point la clef pour une étude étymologique rationnelle du substantif « Pyrénées » ? Décomposé en « Pirin », dérivant du celtique « byren » ou « piren », signifiant montagne, et en « ioak », « eoake », « eake », « eate », « eraut »..., le Dieu ou le Génie de la tempête, du feu, de l'incendie dévastateur..., « Pirinioak. » ne veux-il point être la montagne du Dieu de la foudre et du feu ? De plus, dans la Soule, il est un Dieu, « erraouns », « herraus », dieu de la foudre, et « Herrauscorritse-he(4) », le dieu de la foudre rouge, ancienne divinité équivalent du Zeus grec et du Jupiter romain.
Quoi de plus nécessaire, pour les bergers-cueilleurs des Pyrénées Néolithiques, de s’assurer de la bienveillance d’une divinité toute-puissante ?
Notes.
(1) Albert Dauzat, Gaston Deslandes, Charles Rostaing. Dictionnaire étymologique des noms de rivières et de montagnes en France, Klincksieck, 1978, page 196.
(2) Emporion : nom de la ville d'Empúries en Catalogne.
(3) Massalia : Marseille, la plus ancienne ville de France, fondée vers -600 par des Grecs de Phocée.
(4) Herraus corritsehe : Sur la colline dite "de la Madeleine", dans le village de Tardets, dans la région de la Soule, se trouve une chapelle. Avant cette chapelle chrétienne il y a eu une construction dédiée à la divinité Herauscorritsehe. On conserve dans la chapelle une pierre qui possède cette inscription : FANO HERAVSCORR+SE HE. SCRV G. VAL. VALERIANVS .