Intentions de vote, annonces de candidatures, polissage des images, test de slogans chocs… La machine nous menant vers la campagne avance sur de bons rails. Pourtant, aucune thématique-clé n’a encore émergé, les débats restant encore d’une pauvreté remarquable, alors que les sujets de fond, susceptibles de faire l’objet d’un grand débat national, ne manquent pas. Parmi ceux-ci figurent le protectionnisme / le libre-échangisme. Un certains nombre d’intellectuels, d’économistes ou de personnalités politiques tentent de déterrer ce théme pour en débattre dans l’agora publique. Ils pourraient être favorisés par le climat actuel, avec une opinion en quête de protection.
Un consensus sur le libre-échange vieux de 60 ans
Depuis le milieu du XIXème siècle, la politique française en matière commerciale a pris des allures sinusoïdales. De manière générale, en période de récession, elle a tendance à verrouiller ses frontières aux marchandises étrangères pour préserver un marché intérieur fragilisé par la crise. Au contraire, en période de croissance, elle abaisse les contraintes douanières pour favoriser les échanges internationaux et ouvrir les entreprises nationales aux marchés internationaux.
La parenthèse protectionniste des années 1930, initiée aux Etats-Unis, s’est révélée rétrospectivement catastrophique. Les échanges commerciaux se sont effondrés, aggravant la crise économique, ancrant certains régimes dans l’autarcie et raidissant les relations internationales, ce qui préparera le terrain pour un nouveau conflit mondial. Aussi, à la sortie de la guerre, le nouvel ordre mondial économique s’est construit autour du libre-échangisme : Adam Smith n’expliquait-il pas que les échanges internationaux mènent à la paix ?
Depuis les années 40, droite et gauche de gouvernement ont harmonisé leur violon, avant de confier à Bruxelles la politique commerciale de la France. Le protectionnisme s’est ainsi retiré du débat public. Il resurgit parfois sur scène lorsque le gouvernement est tenté de protéger ses industries nationales au détriment des règles de la libre concurrence. Ce fut le cas récemment lors des accusations de la Commission européenne à l’encontre de la France qui portait secours à son industrie automobile en péril. Officiellement, la position de la France est claire : membre de l’OMC, organisation dirigée par l’ex-socialiste Pascal Lamy, elle reste solidement attachée au dogme du libre-échange, appliquant des droits de douanes faibles à l’égard des pays en développement.
Les anti puis altermondialistes ont commencé à distiller des doutes sur les bienfaits de l’absence d’entraves au grand marché mondial. Ils critiquent notamment le nivellement par le bas des conditions de travail, ainsi que l’émergence d’une contrainte extérieure, rendant vaine toute politique économique indépendante menée à une échelle nationale.
Ces dernières années, la crise économique, la désindustrialisation de la France et l’émergence de nouvelles puissances parmi les pays en développement constituent autant de jalons balisant une voie nouvelle dans l’opinion.
Une France affaiblie, une Asie menaçante
Les Français étaient encore à 50% juger leur pays bien placé dans la compétition économique mondiale en 2006, dans une ambiance – souvenons-nous de La France qui tombe de N. Bavarez – déjà très décliniste. Seul un tiers des Français estiment aujourd’hui que leur pays y est bien placé. Nos voisins germaniques sont très nettement plus confiants (à 77%) dans leurs capacités : ce décalage si criant de perception explique en grande partie les incompréhensions actuelles entre eux et nous. Il rappelle un couple dont les 2 entités auraient pris des voies différentes et qui ne se comprennent plus.
Une étude internationale, réalisée par l’Ifop en janvier dernier dans 10 pays (dont la Pologne, la Chine, les USA, le Royaume-Uni, etc.), confirme, une fois de plus, le pessimisme prononcé de nos compatriotes. C’est en France que la montée en puissance de nouveaux pays, telles l’Inde et la Chine, crée le plus d’angoisse. Ainsi, 57% des Français interprètent la forte croissance de la Chine et l’Inde comme une grave menace pour les entreprises françaises, contre seulement 28% qui y perçoivent une formidable source d’opportunités pour conquérir de nouveaux marchés
Le bilan de l’ouverture des frontières européennes aux marchandises chinoises ou indiennes est perçu comme largement négatif. L’emploi et le niveau des salaires en France apparaissent sans surprise comme les deux victimes. Mais, plus surprenant, même les conséquences sur les prix sont également négatives aux yeux des Français (à 57%) : même le pouvoir d’achat ne profite pas de l’importation de produits de pays à bas coûts. Ce qui frappe dans les réponses est l’absence de clivages politiques comme s’il s’agissait d’un état de fait dénué de toute idéologie. Les sympathisants UMP, pourtant réputés plus libéraux sur les thèmes économiques, rejoignent sans complexe ceux du PS dans la formulation de ces critiques.
Un appel au retour du protectionnisme, notamment dans l’électorat UMP
De cette crainte découle le souhait d’ériger des barrières protectionnistes. Selon l‘Ifop, seuls 20% des Français sont ainsi favorables au système actuel, à savoir de faibles taxes en France sur les importations des produits venant de Chine ou d’Inde. A contrario, 65% souhaitent augmenter ces taxes. On notera que les sympathisants UMP sont même plus nombreux que ceux du PS ou du FN à se prononcer pour cette augmentation.
La mise en place de barrières douanières plus protectrices doit se faire, aux yeux des Français, dans le cadre européen (80%), plus que national (20%). Ce résultat rassurera les pro-européens inquiets de la défiance à l’égard des institutions européennes qui caractérisent les Français : ceux-ci ne remettent donc pas en cause la gestion de la politique commerciale à une échelle européenne. Ceci dit, si nos partenaires devaient refuser d’augmenter les taxes, une majorité souhaiterait passer outre et instaurer des droits de douane plus importants aux frontières hexagonales. Les sympathisants FN ne sont donc pas les seuls, loin de là, à partager cet avis, largement répandu en particulier dans les électorats modérés exception faite des proches du Modem).
Mesures protectionnistes : les Français les plus radicaux
Parmi les peuples cités précédemment, les Français se singularisent par une fermeté toute particulière. Dignes héritiers de Colbert, désireux de régulation étatique et de protection, ils sont systématiquement les plus favorables aux mesures les plus protectionnistes suivantes :
- 70% souhaitent lutter contre les OPA conduites par les entreprises étrangères sur des entreprises françaises ;
- 88% veulent taxer les produits importés qui ne respectent pas les conditions minimales de dignité des salariés ;
- 90% sont favorables à obliger les entreprises qui délocalisent à rembourser les aides publiques qu’elles ont touchées.
Mais une sensibilisation de l’opinion encore « molle »…
Dans le cadre de la prochaine présidentielle, 15% des Français estiment l’évocation de cette thématique très importante et 49% assez importante. Après les résultats aussi tranchés que l’on a pu voir, cette soif d’introduire ce sujet dans l’agenda de la campagne ne semble pas inextinguible. 75% estime que l’ouverture actuelle des frontières va créer du chômage ces 10 prochaines années et seulement 15% pense qu’il s’agit d’un sujet très important pour 2012 : comment expliquer un tel décalage entre un constat aussi accablant et une mobilisation minimaliste ?
L’absence de dynamique de débats sur cette question, avec une union sacrée entre la droite et la gauche, a sterilisé cet enjeu d’opinion. Mais si Marine Le Pen, Nicolas Dupont-Aignan Arnaud Montebourg ou Jean-Luc Mélenchon parviennent à réveiller les Français en agitant ce chiffon rouge, les candidats PS et UMP devront immanquablement adapter leurs discours à leurs électorats, très sceptiques sur le statut quo qui prévaut actuellement.