La carričre de la navette spatiale américaine se termine.
Pręte ŕ s’envoler du pas de tir 39A du Kennedy Space Center de la NASA, la navette Atlantis va définitivement quitter la scčne. La mission STS 135 est en effet la derničre d’un programme qui s’est étendu sur une trentaine d’années et se termine sans relčve assurée. Ce fut aussi le programme spatial de tous les contrastes, une avancée technologique marquée par une grande complexité et deux accidents spectaculaires.
L’idée de départ était simple, sur papier tout au moins : concevoir un véhicule spatial réutilisable, capable de mettre sur orbite une grande diversité de charges utiles, ŕ un coűt en nette diminution, et d’assurer la liaison avec la station spatiale internationale. Un double objectif qui fut atteint, mais sans approcher, męme de loin, l’ambition de mener ŕ bien de 30 ŕ 50 vols par an.
Le ŤShuttleť a tout ŕ la fois montré les grandes capacités d’innovation de la NASA et des industriels et les limites d’un mode de fonctionnement rigide et bureaucratique. Obsédée par la notion de Ťqualité vol humainť, aux exigences extręmes, la NASA n’en a pas moins commis quelques bévues, cela en acceptant des risques qu’elle n’aurait męme pas dű envisager. Pour qui en douterait, il suffit de se reporter au volumineux ouvrage intitulé ŤThe Challenger Launch Decisionť (1) dans lequel Diane Vaughan analyse risques technologiques, profil culturel et déviance au sein de la NASA. L’agence aurait dű en faire une lecture obligatoire, du haut en bas de son organigramme.
Reste le fait que la navette américaine a bien servi l’Espace, męme si la formule retenue est restée trčs en retrait des progrčs accumulés parallčlement au fil de trois décennies. La réflexion conduit malheureusement ŕ un constat de carence : la mise en œuvre de la navette a été lourde, complexe, marquée par une grande inertie et les leçons n’en ont pas toujours été tirées avec tout le bon sens voulu. D’oů un épilogue décevant, voire désastreux : l’heure des musées a sonné mais aucune continuité opérationnelle n’est possible. Ce sont désormais les Russes, et eux seuls, qui vont assurer les liaisons avec la station spatiale, un étonnant retournement de situation.
C’est la deuxičme fois que la NASA nous abandonne au milieu du gué. Il y aura bientôt 40 ans, l’agence avait prématurément mis un terme ŕ l’extraordinaire programme Apollo, annulant sans autre forme de procčs les trois derničres missions ŕ destination de la Lune, par manque de moyens financiers adéquats, avait-elle dit, et aussi, ce qui est plus curieux, pour cause de manque d’intéręt de l’opinion publique américaine. Depuis, la NASA n’est pas retournée sur la Lune et elle n’a pas davantage décidé de partir ŕ la conquęte de Mars.
Le caractčre éphémčre de nos passions justifie-t-il un tel comportement ? On est en droit d’en douter et, prudemment, avec regret, on résiste difficilement ŕ la tentation de dénoncer un manque de vision, un terme qu’affectionnent tout particuličrement les Américains. Apollo et Shuttle : nous avons été plantés ŕ deux reprises tandis que l’Europe, au-delŕ d’efforts méritoires, n’est jamais passée ŕ la vitesse supérieure. L’Espace ne fait plus ręver mais il l’a bien cherché.
Des équipes entičres sont actuellement en voie de dissolution, les licenciements se succčdent par milliers en Floride et ailleurs, la page est sur le point d’ętre tournée. Bien sűr, la NASA cherche ŕ nous convaincre qu’un avenir meilleur suivra. Son budget annuel d’un peu moins de 19 milliards de dollars, irrémédiablement bloqué ŕ ce niveau pour 5 ans, ne donne pas beaucoup de latitude aux créateurs. La mission STS 135 va nous laisser orphelins.
Pierre Sparaco - AeroMorning
(1) The University of Chicago Press