Air France-KLM se hâte ŕ petits pas vers une čre nouvelle.
A n’en pas douter, le duo Air France-KLM n’en demandait pas tant : le groupe franco-hollandais ne quitte plus le premier plan de l’actualité, pour des raisons qu’il n’a pas choisies. En témoignent la mise ŕ jour de sa gouvernance, la gestion du sommet de son organigramme, une polémique politicienne sur son plan de flotte, une contre-attaque contre les concurrents low cost et les compagnies du Golfe. S’ajoute ŕ cette énumération non exhaustive des préoccupations en matičre de sécurité, les dommages collatéraux de l’accident du Rio-Paris du 1er juin 2009 continuant de se faire durement sentir.
La situation actuelle du groupe, et plus particuličrement celle d’Air France, est remarquable ŕ plus d’un point de vue. A commencer par l’inévitable transition au sein de la haute direction, organisée avec une prudence de Sioux que la compagnie n’avait jamais connue au fil de son histoire contemporaine. Chacun se souvient en effet du départ brutal de Bernard Attali, du coup de gueule de Christian Blanc, d’affrontements sociaux souvent nerveux, de pilotes de trčs mauvaise humeur et, bien sűr, du plan de sauvetage qui avait coűté 20 milliards de francs aux contribuables français.
Aujourd’hui, tout au contraire, la stabilité est revenue, tellement bien installée qu’on finit par l’oublier. Jean-Cyril Spinetta, PDG puis président du conseil, est en place depuis 1997, une longévité tout ŕ fait remarquable. Il a męme battu récemment le record de Max Hymans qui tint les ręnes de la compagnie d’aoűt 1948 ŕ janvier 1961. Pierre-Henri Gourgeon (notre illustration), directeur général depuis 1998, poursuit également un parcours long, encore que semé d’embűches. De plus, le duo se heurte aujourd’hui ŕ un problčme sans précédent chez Air France, la préparation de la transition au profit de la génération suivante. C’était moins difficile quand les patrons Ťsautaientť aprčs 5 ans alors que, cette fois-ci, il faut introduire du sang neuf dans une entreprise qui a considérablement renforcé sa culture, au demeurant inclassable.
Pierre-Henri Gourgeon vient d’ętre reconduit pour 4 ans, Jean-Cyril Spinetta, malgré sa double vie (Air France-KLM et Areva) n’est pas encore en approche finale. D’oů la possibilité de préparer l’avenir avec tranquillité. Ce qui n’est pas chose facile, la Ťshort listť des candidats ŕ la direction générale, moyennant un passage par une case intermédiaire de quelques années, offrant des possibilités contrastées. On y trouve notamment un homme du sérail et un jeune homme pressé.
Cette gestion de l’avenir est incontestablement délicate, d’autant qu’elle intervient ŕ un moment délicat. Si le temps n’est plus ŕ la recherche d’économies d’échelle obtenues par croissance externe, peut-ętre Air France-KLM et son outsider Alitalia devront-ils intervenir dans un prochain épisode de regroupements. Sans quoi l’ambitieux groupe Lufthansa et le tandem British Airways-Iberia risqueraient de prendre durablement la tęte du peloton européen.
A plus court terme, une contre-attaque puissante est attendue pour tenter de freiner l’irrésistible ascension de Ryanair, EasyJet et leurs émules. Lentement műrie, une nouvelle stratégie devrait ętre mise en place ŕ partir de l’automne, construite ŕ partir de Ťbasesť provinciales supposant la délocalisation d’équipages et d’avions. Le projet est tout ŕ la fois intéressant et risqué, sachant qu’Air France, victime du poids de l’histoire et de traditions devenues trčs encombrantes, n’a évidemment rien d’une low cost. La machine est sophistiquée mais lourde, souffre d’une inertie considérable et de l’incrédulité de Ťchapellesť face ŕ l’innovation, ŕ commencer par celle des pilotes.
Air France n’est plus une compagnie nationale, dans l’acception historique du terme, mais n’en finit pas d’entrer dans un monde nouveau. Qui plus est, elle n’est pas aidée, ainsi qu’en témoigne l’interférence récente de politique dans son plan de flotte, une tentative de lui faire jouer la carte du patriotisme économique, un jeu dangereux, injustifiable, d’une autre époque.
Autre cap difficile ŕ passer, celui des conclusions de l’enquęte du BEA sur la catastropher du vol AF 447. Le rapport d’étape annoncé pour la fin du mois n’évoquera pas encore de causes probables dűment étayées mais relancera inévitablement une polémique qui ne s’éteindra pas avant longtemps. Et pas avant des décisions de fond.
Voici donc le pavillon aérien français, et franco-hollando-italien, une fois de plus ŕ la croisée des chemins. Mais, cette fois-ci, il dispose d’atouts solides et se doit de réussir ŕ entrer dans son époque.
Pierre Sparaco - AeroMorning