LE CHÂTEAU
Ici, à cause du château,
le jour ne se lève jamais.
L’ombre s’étend
sur les chemins,
le crépuscule gris couleur
de pierre ponce a couvert
les buissons et les haies où nous
cueillons des baies – grappes dodues –,
tout se fait en catimini…
Ici, à cause du château
l’ombre rasante
nous poursuit
elle recouvre
le pays
tel un plafond trop bas pour nous
qui nous oblige
à nous voûter.
Nous cherchons à tâtons
lueur,
reflets de lueurs
sur les haies
bien taillées et d’un noir compact
et sur les routes, ces saignées
droites qui se rejoignent en croix
à l’entrée d’un hameau désert
aux pierres incisées
d’éclat bleu.
Nous cheminons
à travers champs
haletant, espérant des seuils
mais ne trouvant
qu’obscurs couloirs
tendus de drap qui claque au vent
que nous arpentons comme si
c’était des galeries de mines.
Nous nous glissons
dans les jardins
cendreux, avec l’air de vautours,
de vauriens, de chapardeurs
à la bouche bourrée de terre.
Nous mâchons
poussière et cailloux,
riches brouets de noir limon
en croisant l’arête des murs
qui vient délimiter
le ciel.
Oui, c’est à cause
du château
que le grand drap d’ombre est tombé
interdisant le flux du jour
même dans les forêts moussues
au fumet moelleux de fongus
accrochés aux souches pourries.
De ce château
en haut duquel
on a arraisonné l’œil rond
d’un gigantesque dieu-hibou
qui s’injecte de sang et d’or
pour le clouer
sur une tour
comme une étoile
sur un front,
sans savoir
que c’était la lune.
Patricia Laranco