La loi du 9 décembre 1905 reconnaît la liberté des cultes, interdit à l’Etat de s’immiscer dans leur fonctionnement et protège la démocratie politique des empiètements du cléricalisme. Or, ces deux fondements des libertés publiques seraient affectés en même temps si l’Assemblée du contentieux du Conseil d’Etat suivait les conclusions de son rapporteur public lors de l’audience du 1° juillet 2011.
Le Conseil d’Etat avait décidé d’examiner dans une même audience, cinq affaires ayant toutes trait au respect de la loi de 1905 : deux concernaient des avantages accordés à l’Eglise catholique (orgue de l’église Saint Pierre de Trélazé, ascenseur de la basilique de Fourvière à Lyon), les trois autres des décisions de collectivités territoriales au profit du culte musulman (abattoir de la communauté urbaine du Mans, salle polyvalente à usage cultuel de Montpellier, bail emphytéotique pour la mosquée de Montreuil-sous-Bois). Le rapporteur public n’y est pas allé par quatre chemins, il a considéré d‘emblée que les juges du fond (c’est-à-dire les Cours Administratives d’Appel) s’étaient souvent trompés et qu’il fallait réévaluer une jurisprudence trop ancienne au regard des circonstances : il a donc proposé cinq décisions allant dans le même sens.
L’Union européenne contre la laïcité
Sur quels fondements ? Deux d’entre eux doivent particulièrement retenir l’attention des laïques et des républicains : la constitutionnalité de la loi de 1905 et la théorie des circonstances. D’après le rapporteur public Edouard Geffray, la loi de séparation pourrait être regardée comme inconstitutionnelle au regard des engagements internationaux de la France si elle était appliquée avec une rigueur allant à l’encontre de l’article 9 de la CEDH appliqué dans l’affaire Lautsi concernant des crucifix dans les écoles publiques italiennes. Et surtout l’application de la loi devrait tenir compte de circonstances nouvelles liées à la fois au déséquilibre à l’égard du culte musulman et à l’imbrication de pratiques cultuelles et culturelles, tant dans la valorisation du patrimoine des communes que dans les pratiques rituelles elles-mêmes.
En vertu de quoi, la technique proposée par le rapporteur public est la suivante : il y a lieu lorsque la matière controversée est « partiellement cultuelle et partiellement culturelle » d’établir des conventions entre les collectivités publiques et les cultes délimitant leurs droits et obligations respectifs, y compris lorsque plusieurs cultes sont concernés en même temps. Ce qui aurait, de toute évidence pour effet immédiat, d’élargir les brèches dans le mur de séparation, mais surtout soumettrait à la fois les cultes et les communes à l’obligation d’une négociation permanente.
Pour les édifices cultuels, cela signifierait de facto une désaffectation partielle et une perte des libertés afférentes, au gré des politiques culturelles ou patrimoniales des collectivités territoriales ; pour les communes et les groupements de communes, cela ferait de l’utilisation des équipements municipaux un enjeu permanent de négociation avec les différents cultes et les groupes d’intérêts associatifs et économiques qui leur sont liés.
Accommodements raisonnables ?
On aurait alors quitté le terrain de la séparation pour celui des arrangements clientélistes, c’est le régime des « accommodements raisonnables » québécois dont le bilan est un renforcement des dérives et enfermements communautaires. Ce serait un encouragement à l’élaboration de droits locaux en fonction des rapports de force et des affrontements qu’ils supposent. Ce serait une atteinte grave à l’unité et à l’indivisibilité de la République.
L’exigence d’une restauration de la loi du 9 décembre 1905 dans sa vigueur initiale, que la Fédération nationale de la Libre Pensée ne cesse de proclamer, est plus que jamais d’actualité.
Paris, le 6 juillet 2011