« Défilé patriotique… ces défilés sont l’un des plus répugnants phénomènes qui accompagnent accessoirement la guerre » Franz Kafka
E. Joly a tort. Tort de penser. Tort de donner à penser aussi. C’est à la France éternelle et fantasmatique qu’elle a eu l’outrecuidance de s’attaquer. Et l’un de ses rites exhibitionnistes. La grande foire militaire du 14 juillet, où la patrie se mire les biscoteaux en rangs bien serrés. Loin d’être une peccadille, ce type d’auto célébration guerrière fait partie des rudiments de l’arsenal politicien. Une pièce maîtresse du dispositif visant à obtenir le difficile consensus. La classe politique quasi unanime a jugé cette proposition de suppression négativement. Évidemment. Comment se priver d’un tel armement face au peuple ? La gauche par pur calcul électoral toujours à la suite de la droite sur la question des valeurs. La droite suintant la terreur face à ses extrémistes. Pour ne pas être en reste, c’est à des envolées nationalistes et xénophobes que se sont livrés certains chefs de guerre de l’UMP. La première salve émanant du député L. Tardy qui propose à E. Joly, Française, candidate à l’élection présidentielle, de retourner en Norvège.
Les politiciens français tels F. Fillon, ont choisi la bêtise pour répondre aux questions politiques. Bêtise matinée de xénophobie, qui évite l’argumentation, le questionnement et la remise en question de valeurs archaïques bien trop importantes aux yeux des conservateurs. Si l’onanisme nationaliste (et guerrier) peut sembler désuet, il participe pleinement comme excipient à la mise en place des « réformes ». Les discours Sarkozystes digérés par H. Guaino sont truffés de glorifications nationales (et nationalisantes). Parler du pays, de la patrie, cela ne mange pas de pain, et surtout cela évite d’aborder de front les problèmes bien plus conséquents.
On peut se demander pourquoi, en pleine débâcle de l’industrie française, et de l’abandon pur et simple des normes sociales au profit du sous-prolétariat globalisé, on s’accroche autant à la mythologie tricolore ? Les valeurs nationales telles qu’elles sont présentées aujourd’hui n’ont plus d’autre objectif que de masquer l’incurie économique et sociale d’un État qui s’auto stérilise. Qui n’a plus que babioles et hochets pour se donner la sensation d’être. Cela permet néanmoins une respiration artificielle à moindres frais. Un lieu commun, où il peut fantasmer avec le peuple une nation en expansion, en progrès. Il n’en est pourtant rien.
Or E. Joly en s’attaquant à l’une des pièces du dispositif d’édification de l’idée nationale menace les fondements même du conservatisme. Un conservatisme sans levier puisque tout a été cédé au marché. Reste alors l’idée de nation exacerbée, donnant toute latitude aux ultras pour lâcher de petites saillies xénophobes. On se situe là aux limites du concept à proximité de la barbarie.
Il n’y a pas d’arguments sérieux pour contrer la proposition de bon sens d’E. Joly, d’en finir avec l’archaïsme belliqueux du défilé de chars et de bidasses dans les rues de Paris. Seul élément de discrédit, sa binationalité, son incapacité à être réellement, authentiquement Française. Pour l’opinion, jusqu’au scrutin, E. Joly doit apparaître « étrangère » au concept de France. Concept que ceux qui en font usage ont bien du mal à définir. Et c’est ce qui en fait la force. Un concept flasque, plastique, multi-usage. Grâce à cela, la « nouvelle » droite fait arguments des préjugés sur les origines. La France, par ses représentants, s’est arrêtée de penser.
Elle ne s’en tient qu’à ce qu’on lui montre, le 14 juillet, de la pornographie militaire.
Vogelsong – 15 juillet 2011 – La vigie