Magazine Handicap

Le génocide oublié

Publié le 16 février 2008 par Philippe Barraqué

Qui parle encore aujourd’hui des 90000 personnes handicapées physiques et mentales qui ont été éliminées par les nazis durant la seconde guerre mondiale ? On parle à juste titre du lourd tribut payé par la communauté juive, un peu plus rarement des Tsiganes, des communistes ou des francs-maçons mais rien sur les handicapés : pas un monument, une commémoration. Rien. Un silence troublant et complice, révélateur : on a tellement caché et méprisé le handicap qu’encore aujourd’hui il faut attendre vingt ans pour qu’une affaire comme celle des disparues de l’Yonne éclate enfin : de jeunes femmes handicapées mentales disparaissent dans la nature sans que personne ne s’en inquiète davantage, ni les services sociaux, ni les établissements médico-éducatifs concernés. La passivité, le laisser faire, l’indifférence, le repli sur soi sont autant de renoncements à notre devoir de solidarité, autant de failles exploités par ceux qui savent tirer profit de nos lâchetés et de nos manquements.
Holocauste_2Répondant aux questions du Nouvel Observateur, Ian Kershaw, l’un des plus éminents spécialistes du nazisme, explique comment l’extermination des handicapés - l’opération T4 - précéda le massacre de la communauté juive et d’autres minorités : « La décision d'euthanasier les handicapés mentaux et physiques a été prise directement par la Chancellerie du Führer. Les organisateurs avaient des bureaux au 4, Tiergartenstrasse, à Berlin, d'où le nom de «projet T4». Ce projet, lancé en 1939, a commencé avec la décision de mettre fin aux souffrances d'un enfant gravement handicapé et a ensuite pris une ampleur typique de la surenchère nazie. Cet enfant, dont le nom était Knauer, vivait près de Leipzig. Sa famille a sollicité par écrit l'autorisation de Hitler pour pratiquer une euthanasie. Hitler accepte. Dès l'été 1939, on envisage d'étendre cette pratique à tous les patients des asiles, considérés comme des bouches inutiles, «indignes de vivre». A l'automne, Hitler donne secrètement au chef de la Chancellerie du Führer, Philipp Bouhler, et à son médecin personnel, Karl Brandt, l'autorisation écrite (sur son propre papier à lettres et signée de sa main) de lancer le programme d'euthanasie. Il aboutit à la mort de 70 000 à 90 000 personnes au moins et prend fin tout aussi secrètement l'été 1941, après les protestations de l'évêque de Münster. »
Toutefois, le programme d’euthanasie fut poursuivi jusqu’à la fin de la deuxième guerre mondiale et étendu aux « asociaux », aux personnes âgées, aux victimes des bombardements et aux travailleurs forcés étrangers. Les victimes n’étaient plus transférées dans les « sanatoriums » mais éliminés sur place par injection mortelle, avec la complicité du personnel médical de cliniques allemandes. Dans certaines régions, les personnes âgées évitaient de consulter un médecin, préférant s’adresser à leur pharmacien ou à un guérisseur, car elles craignaient pour leur vie.
Lors des débats du Tribunal militaire international à Nuremberg, les experts estimèrent que le nombre total des victimes atteignit 275 000 personnes.
En 1941, le prix Nobel français Alexis Carel, chirurgien et physiologiste vivant aux Etats-Unis, revint en France pour mener des expériences médicales sur des malades mentaux. Elles consistaient notamment à faire mourir de faim ces cobayes pour étudier l’évolution de leur taux de globules blancs. A chacun son holocauste, 20 000 d’entre eux périrent de mauvais traitement dans l’indifférence générale.*

Philippe Barraqué

*Extrait des annexes de l’ouvrage Handicap, un challenge au quotidien, Cesarina Moresi, Philippe Barraqué (Editions Jouvence) - ISBN: 978-2-88353-572-5
A lire également : Pascal Gobry, L’enquête interdite (Le Cherche Midi)

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