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Caricature nationale

Publié le 18 juillet 2011 par Variae

Sommes-nous tellement drogués à la polémique politique qu’il faille en inventer une quand, les congés d’été approchant, l’actualité commence enfin à se calmer, rompant avec son rythme frénétique des derniers mois ? La controverse sur les propos d’Eva Joly au sujet du défilé militaire du 14 juillet est en tout cas tombée à point nommé pour remplir un week-end du 14 juillet a priori dévolu au seul commentaire du classement du Tour de France, et pour ajouter un épisode peu glorieux au feuilleton de la xénophobie d’État en Sarkofrance.

Caricature nationale

La responsabilité d’Eva Joly est néanmoins forte. En tant que candidate à la présidentielle du deuxième parti de gauche, elle peut, elle doit se douter que chacune de ses interventions va être scrutée à la loupe – ce d’autant plus que son personnage, et son parcours, génèrent une curiosité certaine. Soit sa sortie sur le défilé était volontaire et préparée pour faire le buzz, soit elle n’avait pas prévu son (pourtant plus que probable) retentissement ; les deux hypothèses traduisent un amateurisme et une légèreté consternants, que la candidate verte considère que l’abolition de la présentation de l’armée française le 14 juillet est un sujet majeur pour le pays, ou qu’elle n’ait pas compris le fonctionnement du champ médiatico-politique à quelques mois d’une présidentielle. C’est une très mauvaise nouvelle pour les écologistes comme pour la gauche, qui n’a pas besoin de candidatures fantaisistes, avec comme seule contribution au débat leur capacité à accroître la confusion ambiante.

Mauvaise nouvelle également eu égard à ce qu’incarne progressivement cette candidature. La première polémique, sur le défilé, a vite été éclipsée par une polémique dans la polémique, celle sur les attaques de la droite, probablement concertées, contre la personne d’Eva Joly, contre ses origines étrangères, qui lui interdiraient de comprendre, et donc de critiquer, les institutions et composantes du « folklore » national. La gauche, du PS au Front de Gauche, n’a pas eu d’autre choix que de condamner vivement cette série de réactions flirtant plus ou moins ouvertement avec la xénophobie la plus « décomplexée » qui soit. Choix absolument légitime, et nécessaire, sur le plan des principes. Mais qui ne doit pas faire oublier, non plus, ce qui relève du simple bon sens.

J’ai déjà, à plusieurs reprises, évoqué sur ce blog la conception « libérale » et non essentialiste que j’ai de la nationalité. Je conçois d’abord cette dernière comme un statut juridique et un choix empiriquement constaté, et j’éprouve la plus grande méfiance envers tous les discours glorifiant l’appartenance au corps national, le devoir envers la patrie, le sentiment national, etc. Pour autant, il faudrait être singulièrement borné pour ne pas voir combien la situation d’Eva Joly est particulière. Elle brigue une fonction politique de représentation des citoyens, et même la plus haute d’entre elles – la présidence de la République – avec tout ce que cette fonction porte d’histoire et de charge symbolique dans notre pays. Elle le fait à partir d’une situation de bi-nationalité, ce qui n’est déjà pas commun, mais aussi avec une autre particularité, à la fois totalement évidente et absolument taboue : son accent norvégien.

Ne nous voilons pas la face, une grande partie des attaques de la droite sur sa (bi)nationalité visent silencieusement ce détail qui se « voit » – ou plutôt s’entend – comme le nez au milieu de la figure. Et ce n’est pas un non-sujet. Le président de la République est à la fois la « vitrine » et l’incarnation de la nation. La langue, les mots, sont la matière même de la politique. Présenter une candidate parlant le français avec un fort accent, quel que soit son attachement au pays, quelle que soit l’ancienneté de sa nationalité française, n’est donc pas un acte insignifiant. Même aux yeux de quelqu’un, comme moi, qui défend une conception « déflationniste » de la nationalité. Cela interroge fortement la fonction présidentielle, mais aussi l’identité nationale, et cela les interroge de la pire manière qui soit : par le biais d’une personne, brutalement mise sous les projecteurs sans la maturité politique nécessaire, comme l’a prouvé la polémique du défilé. Une personne qui se trouve souvent réduite à partir dans une fuite en avant bravache, revendiquant comme un atout indiscutable ce qui est au minimum questionnant.

On peut tout critiquer, même une vieille et inoffensive institution comme le défilé militaire du 14 juillet. On a le droit de partager plusieurs nationalités sans être sans cesse suspecté de trahison envers son pays actuel. On peut bien entendu prétendre à des responsabilités publiques importantes tout en portant ostensiblement la trace de son origine extérieure (un accent). C’est le mélange des trois qui, en l’occurrence, est explosif et crée un malaise que l’on ne peut pas nier. Sur le plan des principes, encore une fois, Eva Joly est absolument légitime et devait être défendue comme elle l’a été ces derniers jours : mais comment ne pas voir qu’elle les pousse chaque fois à leur limite, ces principes, en les « testant » tous à la fois, et qu’elle conduit ceux qui les défendent (et qui la défendent), à gauche, à se déporter sur un terrain singulièrement miné ?

Je tiens fortement, pour ma part, à ce que la gauche construise un clivage politique net avec la droite sur la question nationale, défendant une France ouverte, accueillante, généreuse et souple sur l’intégration, considérant sa « diversité » (ce vilain mot) comme une force plus qu’un problème. Mais je pense également qu’Eva Joly nous rend un fort mauvais service par la façon caricaturale et incontrôlée dont elle jette ces débats sur la table. Elle donne corps, à tous les sens du terme, aux fantasmes de la droite dure et de l’extrême-droite, qui ne s’y sont pas trompées et qui vont probablement faire d’elle leur tête de turc favorite des prochains mois. Il sera de la responsabilité de la gauche de répondre à leurs attaques avec la plus grande fermeté. Il sera en retour de la responsabilité d’Eva Joly de faire preuve d’un minimum de sens politique, et de ne pas se jeter tête baissée dans des impasses politiques aussi vaines et néfastes que celle de ce 14 juillet. Des impasses qui auront pour seule conséquence de prendre la gauche en otage, et de jouer contre ce qu’elle entend défendre.

Romain Pigenel


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