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Le fédéralisme budgétaire, à quel coût ?

Publié le 19 juillet 2011 par Edgar @edgarpoe

C'est la lutte finale, groupons nous et demain... tous européens ?

Face à la crise financière qui atteint l'ensemble de la zone euro, les appels, directs ou indirects, à un fédéralisme budgétaire européen, se font nombreux. Par exemple du côté de François Hollande, ou d'autres.

Il y a deux raisons à ces appels :

- à court terme, les plans de soutien aux gouvernements grec (et autres) vont avoir un coût, qu'il faudra bien répartir. Bruxelles et la Commission, toute la caste européenne, se disent que cela peut être une excellente occasion pour obtenir enfin des ressources propres pour l'Union : un budget européen autonome ;

- à plus long terme, l'euro tuant les économies pour lesquelles la parité est trop élevée, le budget européen viendrait financer des activités pour occuper les chômeurs grecs, portugais, irlandais, et faire de l'Union une zone monétaire enfin optimalisée, sinon optimale (rappelons que même à 3% du PIB européen, on est encore loin du 15% pour le budget fédéral américain).

*

Je ne reviens pas sur les détails des estimations des besoins de financement, ni des modalités envisagées à court, moyen ou long terme. Les modalités de création d'une ressource européenne sont multiples, selon les jours on voit des propositions de  taxe financière, contribution des états, fonds de garantie...

 Je veux simplement essayer de montrer l'impact de ce fédéralisme budgétaire s'il était mis en place, même dans une version minimaliste.

Une requête sur google, sur "fédéralisme budgétaire" donne en premier résultat un papier de 11 pages de Stefan Collignon, que liront ceux que cela intéresse. Je le prends juste comme référence pour un chiffre. Collignon est un universitaire reconnu, un notable de la sphère européenne, un habitant de l'Olympe à la Padoa-Schioppa. Il a notamment été directeur adjoint des affaires européennes au ministère des finances allemand - voir son cv.

Il propose donc de passer le budget de l'Union européenne de 1% du PIB européen à 3%.

Qui pourrait s'opposer violemment à une mesurette présentée si benoitement ?

En réalité, une telle décision changerait définitivement l'Union en état fédéral une fois pour toute. Les lecteurs pointilleux pourront refaire les calculs, trouver des chiffres plus précis, mais intéressons-nous aux ordres de grandeur, je pense que ceux qui suivent sont corrects.

1. Le budget européen actuel

Il est de 126 milliards d'euros annuel, soit 1,05% du PIB européen - cf. wikipedia.

2. Le budget version "fédéralisme budgétaire"

On passe donc à 3% du PIB européen, un triplement, donc 378 milliards d'euros annuel.

3. Qui finance la bascule fédérale ?

Il faut trouver 252 milliards d'euros. L'argent viendra des états membres, directement, via un versement, ou indirectement, à travers une taxe.

Aujourd'hui, la France finance 16% du budget européen, juste derrière l'Allemagne, qui finance 20%.

Sachant notamment que les banques françaises et allemands sont les plus exposées à la crise, on imagine mal comment cette répartition serait modifiée de façon importante.

Gageons donc que la France prendrait à sa charge 16% de la bascule fédérale, soit 40 milliards d'euros.

4. Quelle conséquence pour la France ?

Les recettes budgétaires françaises sont actuellement de 196 milliards d'euros, auxquelles il faudrait donc ajouter 40 milliards (sauf à imaginer faire encore des économies, mais avec plusieurs dizaines de milliers de postes supprimés dans les hôpitaux, la police, l'armée et l'éducation nationale, l'os est atteint).

Rappelons que nous versons déjà au moins une dizaine de milliards nets à l'Union européenne chaque année, ce qui, avec les 40 milliards supplémentaires, porterait donc à un minimum de 50 milliards par an les versements français à l'Union.

On passerait donc à 236 milliards de prélèvements, dont 50 pour financer l'Union européenne qui nous vaut la croissance la plus faible du monde, soit 21% de nos recettes pour Bruxelles.

Premier point, on voit mal comment faire avaler un tel prélèvement à des pouvoirs d'achat déjà bien anémiés. Le deuxième point, plus important, est qu'avec un tel changement de montant on change la nature même des équilibres européens.

5. Quelles conséquences pour l'équilibre européen ?

Autre point passé sous silence habituellement, et notamment dans la note de Colllignon déjà citée, avec cette simple pichenette de 1% à 3% du PIB européen, le "budget fédéral" européen, à 378 milliards d'euros, deviendrait le premier budget public européen, loin devant l'Allemagne (270 milliards) et la France (126 milliards).

La Vie financière donnait une estimation minimale du cumul des aides à la grèce, à l'Irlande et au Portugal de 380 milliards. Le budget fédéral européen post-crise pourrait donc s'avérer devoir être plus important que les estimations de Stefan Collignon en 2004.

Il n'est donc nul besoin d'être grand clerc pour comprendre que les équilibres internes à l'Union changeraient immédiatement, avec l'instauration à Bruxelles d'un pouvoir fort, centralisé et parfaitement mal contrôlé. Surtout si, dans le même temps, Hollande propose de fusionner les postes de président du Conseil et de président de la Commission, histoire de concentrer encore un peu plus les pouvoirs confiés à une personnalité non élue...

Ceci naturellement en dehors de toute décision démocratique et sous couvert d'urgence et de "solidarité" avec la Grèce...

*

Y-aura-t'il une bascule vers le fédéralisme budgétaire ?

Une première chose certaine est qu'on ne nous demandera pas notre avis. Après 2005, aucun souverainiste européen ne se hasardera à solliciter l'avis des citoyens. Des sondages suffiront.

Je ne serais ni fâché, ni surpris, d'apprendre que l'Allemagne refuse une telle bascule. Les allemands ont appris chèrement qu'on ne plaisante pas sans risques avec les règles constitutionnelles. Merkel tiendra peut-être. Je pense que seule l'allergie des politiques français pour les règles de trois peut permettre de comprendre avec quelle facilité, de ce côté-ci du Rhin, on se déclare prêt à tout faire pour sauver l'euro. Je crains que peu d'entre eux aient réellement une idée claire du prix à payer pour stabiliser une structure intrinsèquement instable.

*

Par ailleurs, à force de diaboliser leurs adversaires démocrates, les souverainistes européens ont scié la branche sur laquelle ils sont assis. Leur dirty little secret c'est qu'ils sont souverainistes européens.

Des dirigeants socialistes européens, dont Martine Aubry, ont publié une déclaration commune disant que l'Europe était en danger de perdre sa souveraineté (Europe is at risk of falling back into recession and of losing its sovereignty in the process. La première partie de la phrase est aussi un mensonge puisque l'éclatement de l'euro serait bénéfique pour la croissance - sauf en Allemagne et aux Pays-Bas.)

Comment les européens pourraient-ils défendre la souveraineté de l'Union alors que :

1. ils n'ont jamais été informés que l'Union était devenue un état souverain, même si c'était le but du traité de Lisbonne ;

2. on leur explique à longueur d'année que la souveraineté c'est mal ?

A s'être ainsi bâtie dans l'irrespect de ses "citoyens", l'Union européenne crèvera dans l'indifférence et dans le soulagement général, même dissimulé, et c'est tant mieux. Il n'y a plus guère qu'Obama pour s'inquiéter des conséquences d'un éclatement.

*

Conclusion. Le fédéralisme budgétaire est probablement le thème qui enterrerait définitivement les démocraties européennes.

La bascule dans le fédéralisme donnerait les clés définitivement à la clique européenne capable, derrière Padoa-Schioppa et à sa place, de vanter les mérites d'un ordre institutionnel où les politiques sont portées par des traités constitutionnels intangibles, avec un Parlement qui a un pouvoir politique quasiment nul.

Tout ceci pour prolonger un système qui marche sur la tête, avec un pacte de stabilité qui est une injure aux règles de l'économie.

La démocratie et le pouvoir d'achat y perdraient beaucoup, pour très longtemps.

Le fédéralisme budgétaire c'est, de la part des souverainistes européens, le "tapis" du joueur de poker épuisé qui espère vainement se refaire en fin de soirée.


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