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Eurolines sur les liaisons régionales, une révolution dans les transports

Publié le 20 juillet 2011 par Copeau @Contrepoints
Eurolines sur les liaisons régionales, une révolution dans les transports

Caricature René Le Honzec pour Contrepoints

La presse française a discrètement mentionné le 19 juillet le lancement par Eurolines de lignes de bus intérieures en France. Pourtant, c’est une véritable révolution qui s’engage, tout particulièrement pour le rail en France. Et pour une fois, dans le bon sens.

Eurolines a lancé, le 10 juillet dernier, des liaisons nationales entre Paris et l’Ouest de la France. Six liaisons sont désormais possibles entre Paris et cinq villes de l’Ouest: Rennes, Nantes, Angers, Caen et Rouen. Il est également possible de faire le trajet entre Rennes et Rouen. Les prix de base vont de 8 à 24 euros et les billets sont déjà disponibles à la réservation, indique Eurolines, qui refuse pourtant de s’exprimer sur ces futures liaisons nationales, selon Europe 1, dans un article, mal titré, « Eurolines s’ouvre aux liaisons nationales ».

Mal titré car ce n’est pas tant Eurolines qui s’ouvre aux liaisons nationales, que le marché des liaisons nationales qui s’ouvre à Eurolines. Depuis 1934 et une funeste loi sur laquelle nous reviendrons, il était de facto impossible à un concurrent de la SNCF d’ouvrir des dessertes inter-villes en autocar. Il a fallu attendre 2009 et un règlement paru au journal officiel de la communauté européenne pour que commence à s’ouvrir une brèche. En effet, le « règlement (CE) No 1073/2009 du parlement européen et du conseil du 21 octobre 2009 établissant des règles communes pour l’accès au marché international des services de transport par autocars et autobus, et modifiant le règlement (CE) no 561/2006 » (on souffle) prévoit que :

Tout transporteur de voyageurs par route pour compte d’autrui, titulaire d’une licence communautaire, est admis, selon les conditions fixées par le présent chapitre et sans discrimination en raison de sa nationalité ou de son lieu d’établissement, à effectuer les transports de cabotage décrits à l’article 15.

En application des textes européens, la France a adopté plusieurs textes: une loi en décembre 2009, ainsi qu’un décret en avril 2010, ont retranscrit cela dans le droit français et commencé à ouvrir le marché à la concurrence. L’ouverture reste cependant modeste, ces liaisons à l’intérieur du territoire ne pouvant exister qu’en étant adossées à des liaisons internationales, comme le rappellent à juste titre certains sites spécialisés. En outre, les compagnies ne peuvent prendre plus de 50% des passagers sur le territoire de cabotage. Cette nuance de taille a manifestement échappé à l’AFP ou aux journalistes français. Il n’est pas non plus totalement à exclure que la SNCF ou ses syndicats tentent de faire obstruction pour bloquer la concurrence dont les prix risquent de leur faire le plus grand mal.

Néanmoins, 75 ans après le décret-loi sur la « coordination » rail-route, le progrès, qu’on ne croyait plus possible, est extraordinaire et mérite d’être fêté. L’Aleps résume ainsi la situation passée :

A l’époque on imposait même aux autocars de s’arrêter s’ils allaient plus vite que le train ! Aux termes de ce décret loi de 1934, toujours en vigueur, la création de lignes d’autocars est interdite en France! Pour ouvrir une ligne, il faut une autorisation du ministère des transports, qu’il ne donne pratiquement jamais, réservant ses faveurs à la SNCF, sauf si cela arrange la SNCF pour rabattre des voyageurs vers ses gares.

Cette situation était celle qui prévalait encore il y a moins d’un an, tuant dans l’œuf le développement d’un Greyhound ou d’un National Express français. Concrètement, la SNCF pouvait bloquer tout projet qu’elle estimait lui faire concurrence. Christian Gérondeau est ingénieur général des Ponts et Chaussées et auteur de nombreux ouvrages. Il donne de nombreux exemples sur la protection de tarifs excessifs que cette loi a permis à la SNCF d’imposer, dans Les danseuses de la République (l’Harmattan, 2004). Extrait:

Deux anecdotes sont à cet égard révélatrices. Lorsqu’une grande grève nationale de chemin de fer est déclenchée, comme ce fut le cas en 1995, la France se trouve immédiatement couverte d’un réseau de lignes d’autocars qui empruntent alors les autoroutes et les routes qui leur sont interdites en temps « normal ». On se rend ainsi, pour un tarif défiant toute concurrence mais néanmoins rentable pour l’exploitant, de Paris à Nantes, à Lyon ou ailleurs.

Dans de telles circonstances, le Ministère des Transports n’ose quand même pas ordonner la fermeture de ces liaisons qui témoignent de la remarquable souplesse de sociétés qui les exercent sans aucun préavis. Mais dès le lendemain de la reprise du travail par les cheminots, il leur est ordonné de mettre immédiatement fin à l’existence de ces activités «illégales», et il leur faut obtempérer.

On raconte aussi, dans le monde des transporteurs, la mésaventure survenue il y a quelques années à une société d’autocars qui exploitait entre deux villes du Sud de la France une ligne locale dûment autorisée sur la route nationale qui les reliait.

A l’occasion de la mise en service d’une autoroute voisine, cette société avait cru bien faire de transférer sur celle-ci l’itinéraire suivi jusqu’alors. Tout le monde y gagnait : temps de parcours réduit pour les usagers, économies pour les véhicules, risques d’accidents diminués. Le préfet lui-même avait d’ailleurs inauguré cette nouvelle liaison et tout paraissait se présenter sous les meilleurs auspices.

Mais, quelques jours après, le responsable de la société recevait presque simultanément deux appels téléphoniques. Le premier, émanant de la SNCF, lui indiquait que, si son groupe tenait au maintien des contrats qu’il avait par ailleurs avec elle, il avait tout intérêt à mettre fin à une initiative aussi déplacée. Le second, en provenance du Ministère des Transports, faisait clairement allusion à la menace d’un renforcement des contrôles de toute nature dont ferait l’objet ce « contrevenant » s’il persistait.

Il est inutile de dire que tout est très vite rentré dans l’ordre et que les autocars n’ont circulé que quelques jours sur l’autoroute. Le but était atteint : la concurrence disparaissait pour la liaison ferroviaire entre les deux villes concernées.

Surtout, l’auteur montre que les atouts du transport routier sont nombreux, face aux choix politique du rail:

En premier lieu, il n’entraîne pratiquement aucune dépense d’infrastructure puisqu’il utilise un réseau routier ou autoroutier nécessaire par ailleurs pour la circulation générale et donc déjà financé. Cette différence avec le train est fondamentale. Ce dernier demande au contraire un support spécifique, la voie ferrée, qu’il faut entretenir, aménager et gardienner à sa seule intention. Lorsque le trafic est important, c’est justifié. Mais quand il est faible, le coût devient exorbitant en regard du service rendu.

S’agissant des transports régionaux, cette remarque s’impose d’autant plus que beaucoup de lignes doivent être maintenues en service à grands frais à leur intention exclusive, pour quelques autorails par jour.

En deuxième lieu, l’autocar peut se contenter d’arrêts sommaires démunis de personnel, le conducteur faisant office de receveur. Le train a besoin de nombreuses gares servies par du personnel statique et permanent, et selon nos pratiques, de contrôleurs en plus des conducteurs.

En troisième lieu, le prix de revient du matériel ferroviaire est, à capacité égale, dix fois plus élevé que celui des autocars les plus modernes et les plus confortables. Un autorail moderne coûte entre 2 et 4 millions d’euros selon la capacité, contre 200 000 euros pour un autocar de grand confort. Les consommations d’énergie sont également en faveur de l’autocar, beaucoup plus léger et donc moins vorace. Au total, si l’on tient également compte des dépenses d’infrastructures, le coût de revient par passager est couramment de 10 à 20 fois plus faible pour un même trajet par car que par voie ferrée.

En quatrième lieu, la souplesse de l’itinéraire d’un autocar n’a rien à voir avec la rigidité de celui d’un train. L’autocar peut s’arrêter aussi souvent que nécessaire, même pour un seul passager, alors que la distance moyenne entre les gares ou les arrêts des trains régionaux s’élève à 9 km. L’autocar peut également adapter son parcours pour desservir au plus près les lieux d’émission de trafic les plus importants : centres-villes, établissements scolaires, marchés, hôpitaux, etc., et donc attirer plus de clients et engendrer plus de recettes que le train.

En cinquième lieu, il faut mentionner les durées du trajet. Il peut arriver que celles-ci soient plus brèves par le train que par l’autocar, notamment lorsque le point de départ ou d’arrivée est situé au coeur des quelques métropoles de province qui connaissent des encombrements aux heures de pointe. Mais, parmi les 2661 gares et points d’arrêt des TER, c’est là l’exception et non la règle. Bien souvent, c’est l’autocar qui est le plus rapide, surtout lorsqu’on prend en compte sa faculté d’abréger les trajets terminaux en se rapprochant au plus près des origines et des destinations finales des utilisateurs. D’ailleurs, en 1934, dans le cadre de la « coordination rail-route » édictée par le décret-loi qui a tué en France l’industrie des poids lourds et nous a contraints à recourir aux véhicules hippomobiles lorsque la guerre a éclaté, il était imposé si nécessaire aux autocars de s’arrêter pour ne pas aller plus vite que le train…

Certes, il peut aussi arriver que le train soit plus rapide que le car. Mais ce n’est évidemment pas une raison pour condamner ce dernier. Dans le cas contraire, qui calculera le coût pour le contribuable des quelques minutes alors gagnées par les rares usagers ? L’argument donne d’autant plus à réfléchir que la majorité des lignes n’est empruntée que par des jeunes ou des seniors, pour qui quelques minutes gagnées ou perdues n’ont guère d’importance.

En sixième et dernier lieu, il faut mentionner un argument qui ne résiste guère à l’analyse, bien qu’il soit souvent avancé. Le train présenterait l’avantage d’être moins sensible aux intempéries que le car, notamment en hiver dans les zones montagneuses. Outre le fait que notre pays est majoritairement composé de plaines ou de pénéplaines, ce serait méconnaître que notre réseau routier est entretenu en permanence et, par exemple, très rapidement déneigé chaque fois que nécessaire, et que le train peut, lui aussi, être bloqué. Et même si cet argument se révélait juste en quelques lieux et quelques jours par an, il serait de peu de poids en regard du surcoût qui résulte du recours au fer et non à la route.

Dans ces conditions, on se demande vraiment pourquoi les lignes d’autocars ne sont pas considérées dans notre pays pour ce qu’elles sont : le mode de transport public approprié aux liaisons à faible trafic, qui assurerait bien souvent celles-ci sans rien coûter au contribuable, ou au prix de subventions dérisoires à côté des montants nécessaires pour le rail. Oui, il faut des transports régionaux. Mais, à l’exception de quelques lignes qui jouent un rôle de desserte de banlieue des grandes métropoles, c’est par autocar que le bon sens commande de les assurer. Pourquoi donc n’en est-il pas ainsi ?

Alors, la France verra-t-elle enfin s’ouvrir le choix pour le consommateur entre rail et route? La révolution est-elle en marche? Contrainte et forcée par l’Europe, la France commence à abolir les privilèges exorbitants de la SNCF. Durablement? Rendez-vous dans quelques années…


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