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"Repenser l'Europe" par Roman Kuźniar - Polska The Time

Publié le 22 juillet 2011 par Calineczka

Depuis 20 ans, l'UE s'est engagée sur la mauvaise voie. Pour sortir de la crise, elle doit abandonner l'idée de communauté homogène et former de vrais noyaux durs de pays acceptant une intégration étroite, estime le politologue polonais Roman Kuźniar.

Tout le monde s'accorde aujourd'hui pour dire que l'Union européenne se trouve à un moment charnière de son développement. Les seules divergences de vues concernent les causes de la situation actuelle, sa signification et ses débouchés. Fait intéressant, tout cela arrive après presque deux décennies de développement intensif de l'intégration européenne. Après 1989, l'Union européenne est allée de succès en succès, même si de temps en temps elle a pris l'habitude d' "hamlétiser" un peu, ce à quoi tout le monde avait fini par s'habituer.

Les raisons de cette profonde impasse sont multiples, à la fois conjoncturelles et structurelles. De la première catégorie relève l'effondrement financier de l'année 2008-2009, venu des Etats-Unis. L'énorme dette publique d'une majorité des pays de l'UE, en particulier dans la zone euro, a été alors mise à nu. La cause de cette dérive : le désir de vivre au-delà de ses moyens, au-delà de la valeur du travail, sur le dos des autres. Les Etats se devaient de fournir un meilleur niveau de vie, le tout pour moins d'impôts. Les alchimistes financiers, cupides, ont mis le point final à la destruction. La crise financière, certes profonde et injuste dans la répartition des coûts sociaux, peut être surmontée.

La crise de l'Union en tant que projet politique, et celle du modèle actuel d'intégration sont bien plus graves. Leurs raisons sont structurelles. L'Union est devenue "trop grande", trop disparate en termes de membres et de partage des compétences. Elle a été diluée, autrement dit elle est devenue moins cohérente.

"Qui trop embrasse, mal étreint", dit un proverbe français. Les conjoints européens se rabattent sur des mécanismes et des procédures, assurant un certain niveau de fonctionnement. Cependant, avec autant de membres et d'enjeux à gérer, l'Union ne peut plus se développer, ni réagir fermement aux problèmes et aux menaces internes, sans parler de tenir une position cohérente et distincte sur les difficiles questions internationales.

L'UE doit arrêter ses excès de "courtoisie"

La faiblesse interne et externe de l'UE tient à bien d'autres raisons encore. Notamment à ce que l'on commence à appeler "la culture de la connivence" (prof. Anthony Kukliński). Il s'agit d'une volonté délibérée de ne jamais revenir sur une position initialement prise, même si elle s'avère erronée. L'exemple de la reconnaissance de l'indépendance du Kosovo est une bonne illustration de cette attitude : l'Union, depuis des années l’entretient et le protège, avec l'OTAN. De la même manière, cela fait des années que les institutions de l'UE connaissaient l'état des finances de l'Etat grec, sans jamais faire quoi que ce soit qui pourrait gâcher la fête à Athènes.

Cet excès de "courtoisie" ne se limite pas à la Grèce. L'opportunisme du politiquement correct empêche de prendre à bras le corps le problème de l'effondrement démographique, puisque le concept actuel des droits de l'homme prône des comportements orientés dans la direction opposée. Et ainsi de suite. De plus en plus souvent, l'Union se comporte conformément à la devise des intellectuels français : "Il vaut mieux avoir tort avec Sartre que raison avec Aron".

A la lumière de cette situation, on peut facilement imaginer plusieurs scénarios du futur développement de l'Union. Deux d'entre eux semblent tout particulièrement plausibles. Dans le premier, l'UE fonctionne un peu comme le Conseil de l'Europe, l'OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe), bien qu'en version plus intégrée. Ses nouveaux membres ne consolideront pas sa puissance, mais ne feront que l'affaiblir. L'Union deviendra molle, peu réactive et axée uniquement sur la préservation de normes et de procédures. Il sera impossible de poursuivre la logique d'une "Union sans cesse plus étroite" inscrite dans le traité de Maastricht. Une telle Union offrira un terrain favorable aux expressions unilatérales de ses membres.

Plus étroite mais toujours bienveillante

Le second scénario implique l'approfondissement de l'intégration, soit en utilisant les traités et les règles de coopération qui y sont inscrites, soit de manière parallèle à ces instruments, comme dans le cas du pacte Euro Plus. Bien entendu, cela entraîne l'apparition d'un noyau dur, issu de la géométrie variable des différentes formes de coopération renforcée. Cela n'a rien de terrifiant, on l'a déjà vu. Dans les années 50, les communautés européennes ont vu le jour précisément parce que certains pays membres du Conseil de l'Europe refusaient une intégration plus étroite. Quand la CEE s'est avérée un succès, d'autres pays se sont joints à elle.

La même chose peut très bien se reproduire. Ce processus a peut-être même déjà commencé, avec la mise en place du mécanisme financier pour la stabilisation et le renforcement de la coordination des politiques macroéconomiques afin de sauver l'euro. Tout le monde n'en fera pas partie. Il est souhaitable qu'un dispositif similaire soit étendu au domaine de la politique de sécurité et de défense.

Il est temps de faire des choix difficiles, de dire adieu à nos idées naïves sur les élargissements successifs, et de cesser le mouvement de panique face à l’idée d’un noyau dur. D’autant que la Pologne peut bien en faire partie. On ne peut pas tout avoir : une communauté de valeurs qui irait de Kars et Donetsk jusqu’à Lisbonne et Reykjavik, une UE composée de 35 pays et de surcroît unifiée et solidaire, une Union avec une identité internationale forte, ferme et crédible sur les questions de sécurité, tout en impliquant les pays ouvertement indifférents à ces questions.

Nous avons tout intérêt à créer une Union, dans laquelle il y a plus d'Aron que de Sartre. Bâtissons une Union plus étroite, plus audacieuse, qui reste en même temps bienveillante pour son entourage.


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