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Lucian Freud

Publié le 22 juillet 2011 par Lironjeremy

Lucian Freud Lucian Freud était-il académique ? Répondant par le choix de ses sujets, leur mise en œuvre et par la posture générale à ce qui caractérisait l’artiste du XIXe siècle il était aussi de ce fait même en parfait décalage avec la conception générale de l’art aujourd’hui. On n’a eu de cesse, en France particulièrement, de voir dans cette peinture frontalement figurative à la palette restreinte et rabattue, caractérisée par de nombreux nus, une régression. Et ce sentiment insupportable s’amplifiait de ce que son œuvre, plus accessible et immédiate que ne l’étaient les avant-gardes les plus conceptuelles, recevait les faveurs du public et de quelques riches collectionneurs par le jeu desquels sa côte atteignait des recors. Si on s’en tenait à une certaine histoire de l’art, les efforts des artistes les plus novateurs étaient tous allés dans le sens d’une autonomisation de l’art sur la nécessité de réalisme puis de figuration. Toujours il s’était agit de se positionner contre, au moins dans la forme, ce qui avait précédé quitte à déplaire, à choquer, à demeurer pour beaucoup incompréhensible. C’était dans ce sens que se pouvait un certain dépassement de l’art  par lui-même. Souvent, si on faisait appel à l’histoire, c’était dans des formes tout à fait neuves ou héritées elles mêmes des grands gestes des avant-gardes. Au contraire, la peinture de Freud empreinte aux impressionnistes ses formats qui la qualifie de « peinture de chevalet », son sujet de prédilection, le nu, renvoie à ce qui s’étalait déjà sur les murs des lupanars antiques, qui donnait prétexte à quantité de muses et de vénus avant de se donner pour figure de la sensualité et du désir chez Goya puis Manet. Ses mises en scène intimes prolongent la tradition du portrait bourgeois, ressassent l’histoire du peintre et de son modèle. Encore que ces nus là, dans leur réalisme sale, dans la prééminence de la chair sur la courbe renvoient davantage à la Nouvelle Objectivité d’Otto Dix qu’au raffinement sensuel d’Ingres. L’apparence désirable des corps à laissé chez lui la place à une mise à nu réaliste, presque caricaturale mais rattrapée par une certaine sensualité plastique de ses modèles, une palette chaude. Que ce soient les rondeurs généreuses de « Big Sue » ou l’articulation d’un corps voisinant avec un lévrier, tous génèrent un certain contentement du regard. Ainsi c’est ce qui caractérise la peinture de Freud : un respect de l’apparence globale des sujets, une représentation photographique et quelque peu expressive de l’espace, à la mise en scène équilibrée, brouillés par une pâte épaisse, écœurante, crevassant les chairs. Les séductions et les répulsions de l’œuvre tiennent là. Du côté de l’amateur ordinaire, c’est tout pour plaire : l’apparence acceptable et l’atteinte modérée au bon goût en font une peinture limpide, raffinée et quelque peu sauvage. Leur efficacité visuelle s’apparente à celle de photographies de studio, de celles dont on peut faire des albums et de cartes. La répétition des portraits, sans réelle invention formelle, sans ruptures, selon une recette éprouvée tout à la fois établi une identité indubitable et lasse un peu. On peut y voir une œuvre bien tiède. Leur manque quelque part une bizarrerie incernable qui les rendrait inépuisables. Du côté des tenants de l’art contemporain c’est peinture vulgaire et on oppose volontiers au geste de Freud l’ampleur autre, la folie vraie de Bacon. Si tous deux ont des ancêtres fameux et ont pour sujet de prédilection la figure humaine, peu de choses rapprochent les deux compatriotes. Autant la peinture de Freud s’appuie sur un espace perspectif convenable, anecdotique, dynamisé par les raccourcis ou les effets de grand angle de la photographie, autant les arènes que mettent en scène les compositions de Bacon s’imposent immédiatement comme des espaces fictifs ou mentaux. Autant les rendus chez Freud sont raffinés, évoquant dans les reflets l’attention à la lumière d’un Caillebotte peignant les raboteurs de parquet, autant les aplats de Bacon sont crus, excessifs, bruts et presque brutaux. Là où la touche de l’un atteint le sale par l’accumulation d’infinies nuances passées les unes par-dessus les autres qui donnent à la peinture sa sensualité, l’autre mêle grossièrement les formes un coup de brosse vigoureux en croisant un autre, découpe un volume avec maladresse, rééquilibre par une vilaine flèche, nuance par quelques zébrures si bien que sa peinture en devient pareillement écœurante. Tous deux sont peut-être au fond passé tout près du gouffre et c’est parce qu’ils voisinent avec le mauvais goût, l’excès, l’effet de style (Freud est sans doute plus près que Bacon de ce ravin là) qu’ils nous gênent et qu’ils existent alors nécessairement.

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