Police des déchets et des ICPE – responsabilité du propriétaire détenteur : un nouvel épisode de l’affaire « Société Wattelez »

Publié le 26 juillet 2011 par Arnaudgossement

Le Conseil d’Etat  vient de rendre, ce mardi 26 juillet, un arrêt qui devrait faire couler beaucoup d’encre.  Un énième épisode – non le dernier - de l’affaire « Wattelez » et du dépôt de pneumatiques usagés de Palais sur Vienne qui aura considérablement nourri la jurisprudence relative aux déchets et aux ICPE.


L’arrêt « Société Wattelez » du Conseil d’Etat du 21 février 1997

Petit retour en arrière. En 1939 puis en 1976, la société anonyme « Wattelez » avait obtenu l’autorisation d’exploiter une usine de régénération de caoutchouc, sur le site de "Puy Mouliniez", sur le territoire de la commune de Saint Palais sur Vienne.

Le 30 mars 1989, la société Wattelez a cédé à la société EURECA son fonds de commerce « comprenant notamment le stock de matières premières et de marchandises existant ». Elle est restée propriétaire du site et a conclu avec la société EURECA « un bail portant sur la totalité des immeubles afin de lui permettre d'exploiter l'usine ».

En février 1991, la société EURECA a procédé à un dépôt de bilan et à une mise en liquidation de biens. Elle a laissé sur le site de l’usine des dépôts de déchets toxiques.

En 1992 et 1993, le Préfet de la Haute Vienne a pris, à l’encontre de la société Wattelez, plusieurs arrêtés tendant au traitement du dépôt de pneumatiques situé sur le site encore possédé par cette société.

La société Wattelez a alors formé plusieurs recours en annulation à l’encontre de ces arrêtés préfectoraux. Ces recours ont été tout d’abord rejetés par le Tribunal administratif de Limoges. Toutefois, par arrêt du 30 juin 1994, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a annulé le jugement de première instance ainsi que les arrêtés préfectoraux litigieux.

Saisi d’un pourvoi en cassation, le Conseil d’Etat a rendu, le 21 février 1997 un arrêt qui est sans doute l’un des plus commentés de la Haute juridiction.

Le Conseil d’Etat va tout d’abord préciser que le dernier exploitant du site, au titre de la police des ICPE, dont l’activité est à l’origine des nuisances, ne peut être que la société EURECA :

« que la société EURECA s'est substituée à compter du 30 mars 1989, à la société anonyme Wattelez en qualité d'exploitant de l'usine de "Puy Mouliniez" ; que les risques de nuisance que présentaient ses déchets entreposés dans ladite usine doivent être regardés comme se rattachant à l'activité de la société EURECA »

Deuxième étape du raisonnement de la Haute juridiction : la disparition de la société EURECA n’a pas eu pour effet de transférer à la société Wattelez, la qualité d’exploitant du dépôt de déchets en cause :

« Considérant que ni le dépôt de bilan et la mise en liquidation de biens de la Société EURECA, en février 1991, ni aucune circonstance de droit ou de fait, n'ont eu pour effet de substituer la société anonyme Wattelez à la société EURECA en qualité d'exploitant, des dépôts de matières toxiques constitués sur le site de l'usine, au sens des dispositions précitées de la loi du 19 juillet 1976 ».

Surtout, l’arrêt rendu le 21 février 1997 précise que la société Wattelez ne peut être débitrice de l’obligation de remise en état du site « en sa seule qualité de propriétaire ».

« que la société anonyme Wattelez ne pouvait, en sa seule qualité de propriétaire des terrains et installations, faire l'objet de mesures prévues à l'article 23 de la loi du 19 juillet 1976 ; que dès lors, le préfet de la Haute-Vienne ne pouvait légalement, par ses arrêtés du 17 janvier 1992 et du 5 août 1992, mettre en demeure la société anonyme Wattelez de faire évacuer les déchets de caoutchouc et de vieux pneumatiques entreposés dans l'enceinte de l'usine qui comportaient des risques de nuisances, et lui demander de prendre diverses mesures conservatoires, ni ordonner, par arrêté du 2 octobre 1992, la consignation entre les mains du comptable public par cette société d'une somme destinée à permettre l'exécution des travaux prescrits ; que par suite la décision du trésorier payeur général de la Haute-Vienne du 5 janvier 1993 émettant un titre de perception de cette somme à l'encontre de la société anonyme Wattelez est privée de base légale ».

Par voie de conséquence, le Conseil d’Etat a confirmé l’arrêt du 30 juin 1994 de la Cour administrative d’appel de Bordeaux ainsi que l’illégalité des arrêtés préfectoraux litigieux. L’arrêt du 21 février 1997 est d’une particulière importance en ce qu’il interdit à l’administration de mettre à la charge d’un propriétaire – en cette seule qualité – l’obligation de remettre en état un site ICPE. A l'inverse, le propriétaire du site qui aura été exploitant de l'activité à l'origine des désordres pourra bien entendu être le débiteur de l'obligation de remise en état.

L’arrêt « Société Wattelez » du Conseil d’Etat du 26 juillet 2011

Le 13 juin 2007, le Maire de Palais sur Vienne a mis en demeure la société Wattelez et les consorts Wattelez «  de prendre toutes mesures à l’effet d’éliminer les déchets se trouvant sur leur propriété située au lieu-dit « Puy Moulinier », avant le 31 juillet 2007. Cet arrêté sera déféré à la censure du Tribunal administratif de Limoges par la société Wattelez.

Par arrêt du 6 avril 2009, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a annulé, et le jugement de première instance, et l’arrêté du Maire de Palais sur Vienne. Le Conseil d’Etat est de nouveau saisi.

Le considérant de principe de l’arrêt rendu le 26 juillet 2011 est le suivant :

« Considérant que le propriétaire du terrain sur lequel ont été entreposés des déchets peut, en l’absence de détenteur connu de ces déchets, être regardé comme leur détenteur au sens de l’article L.541-2 du code de l’environnement, notamment s’il a fait preuve de négligence à l’égard d’abandons sur le terrain ».

Par voie de conséquence, l’arrêt du Conseil d’Etat du 26 juillet 2011 précise :

« Considérant qu’il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué qu’après avoir elle-même exploité, sur un terrain lui appartenant, une usine de régénération de caoutchouc, la société Wattelez a vendu son fonds de commerce et, notamment, son stock de marchandises et de matières premières,  à la société EURECA, par un contrat conclu le 30 mars 1989 ; qu’ayant été mise en liquidation de biens en février 1991, la société EURECA a cessé son activité et laissé sur le terrain, plusieurs milliers de tonnes de pneumatiques usagés ; qu’en jugeant que, si ces pneumatiques sont devenus des déchets à la suite de leur abandon, les requérants, en leur seule qualité de propriétaire du site sur lequel ont été entreposés les déchets et en l’absence de tout acte d’appropriation portant sur ceux-ci, ne peuvent être regardés comme ayant la qualité de détenteurs de ces déchets au sens de l’article L.541-2 du code de l’environnement et comme ayant celle de responsables au sens de son article L.541-3, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit ; que, dès lors, son arrêt doit être annulé ».

La question du concours des polices ICPE et déchets

L’analyse comparée de ces deux arrêts est particulièrement intéressante car ils procèdent tous deux de circonstances de faits identiques. Il existe donc une différence de principe entre l’arrêt du 21 février 1997 et celui du 26 juillet 2011

Ø Aux termes de l’arrêt du 21 février 1997, le Préfet ne peut, sur le fondement de la police des installations classées, prendre de mesures de police à l’encontre du propriétaire d’un site comprenant un dépôt de déchets, en cette seule qualité.

Ø Aux termes de l’arrêt du 26 juillet 2011, un maire peut mettre en demeure, sur le fondement de la police des déchets, le propriétaire détenteur desdits déchets.

Dans cette espèce, les déchets en cause sont issus de l’exploitation d’une ICPE. Par voie de conséquence, la question de droit est aussi de savoir laquelle de ceux deux polices – ICPE et déchets – peut être mobilisée à l’encontre de ce dépôts de déchets.

A première lecture, le premier arrêt intéresse la police des ICPE et le second la police des déchets. Il n’existe donc pas de contradiction entre les deux solutions retenues. Toutefois, à y regarder de plus près, cette distinction entre polices des ICPE et des déchets n’est pas tout à fait opérante.

En réalité, la frontière entre ces deux polices est assez perméable et l’état du droit a été fort bien résumé à l’occasion d’une réponse ministérielle du 14 septembre 2010 à une question parlementaire du député André Wojciechowski.

En l’état actuel du droit et de la jurisprudence, confirmée par l’arrêt du Conseil d’Etat du 26 juillet 2011 :

1° Le Maire est compétent, à certaines conditions, pour intervenir à l’encontre de déchets, mêmes issus de l’exploitation d’une installation classée

2° Le Maire peut, à certaines conditions, mettre en demeure le propriétaire du site-détenteur de ces déchets d’avoir à procéder à leur évacuation

3° En cas de conflit d’exercice entre la police du Préfet au titre des ICPE et celle du Maire au titre des déchets, c’est le premier qui doit apparaître comme l’autorité prioritairement compétente pour intervenir.

Même si une hésitation avait pu procéder de l’arrêt « Société générale d’archives » rendu en 2004 par le Conseil d’Etat, c’est bien la solution de l’arrêt « Barbazanges »  du 11 janvier 1997 qui doit être retenue :

« Considérant qu'il résulte du rapprochement de ces dispositions que les articles L. 541-1 et suivants du code de l'environnement ont créé un régime juridique destiné à prévenir ou a remédier à toute atteinte à la santé de l'homme et à l'environnement causée par des déchets, distinct de celui des installations classées pour la protection de l'environnement, ; qu'à ce titre, l'article L. 541-3 confère à l'autorité investie des pouvoirs de police municipale la compétence pour prendre les mesures nécessaires pour assurer l'élimination des  dont l'abandon, le dépôt ou le traitement présentent de tels dangers ; que ces dispositions ne font toutefois pas obstacle à ce que le préfet, d'une part, en cas de carence de l'autorité municipale dans l'exercice des pouvoirs de police qui lui sont conférés au titre de la police des déchets, prenne sur le fondement de celle-ci, à l'égard du producteur ou du détenteur des déchets, les mesures propres à prévenir toute atteinte à la santé de l'homme et à l'environnement, d'autre part, lorsque les déchets sont issus de l'activité d'une installation classée pour la protection de l'environnement, exerce à l'encontre de l'exploitant ou du détenteur de celle-ci, pour assurer le respect de l'obligation de remise en état prévue par l'article 34-1 précité du décret du 21 septembre 1977, les compétences qu'il tire de l'article L. 514-1 du code de l'environnement »

En définitive, l’arrêt « Société Wattelez » rendu ce 26 juillet par le Conseil d’Etat :

Ø  S’inscrit dans une jurisprudence selon laquelle le Maire peut intervenir à l’endroit de déchets issus d’une ICPE, sur le fondement de la police des déchets ;

Ø  Précise que cette intervention peut être dirigée contre le propriétaire du site – détenteur des déchets.

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13ème législature

Question N° : 75717

de M. André Wojciechowski ( Union pour un Mouvement Populaire - Moselle )

Question écrite

Ministère interrogé > Écologie, énergie, développement durable et mer

Ministère attributaire > Écologie, énergie, développement durable et mer

Rubrique > environnement

Tête d'analyse > protection

Analyse > installations classées. dépollution. prise en charge

Question publiée au JO le : 06/04/2010 page : 3816

Réponse publiée au JO le : 14/09/2010 page : 10015

Texte de la question

M. André Wojciechowski attire l'attention de M. le ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat, sur le rôle du maire en matière de dépollution des sols dans le cadre d'installations classées. Le code de l'environnement prévoit dans ses articles L. 541-2 et L. 541-3 que, en cas de pollution des sols, de risque de pollution des sols, ou au cas où des déchets sont abandonnés, déposés ou traités contrairement aux prescriptions et des règlements pris pour leur application, l'autorité titulaire du pouvoir de police peut, après mise en demeure, assurer d'office l'exécution des travaux nécessaires aux frais du responsable. Pour les installations classées pour la protection de l'environnement, un régime distinct a été créé qui ne donne pas compétence aux mêmes autorités. Dans l'hypothèse où la présence de déchets se rattache à l'exploitation d'une installation classée, ces dispositions donnent au maire une compétence spécifique et concurrente de celle dont dispose le préfet au titre de la police de ces mêmes installations. Il lui demande de lui préciser le rôle exact du maire en vue d'assurer la protection des intérêts visés aux articles L. 541-1 et suivants du code de l'environnement.

Texte de la réponse

Dans le cadre de la réglementation des installations classées, le préfet réglemente et contrôle l'ensemble des activités de l'installation pouvant avoir un impact sur l'environnement, y compris les conditions d'élimination des déchets. Il résulte toutefois des articles L. 541-3 et L. 541-4 que le maire est fondé, alors même que le préfet est susceptible d'intervenir au titre de la législation sur les pouvoirs de police spéciaux qu'il tient de la législation sur les installations classées, à prendre les mesures d'élimination prévues à l'article L. 541-3 (CE, 18 nov. 1998, Jaeger). L'article L. 541-3 confère donc au maire la compétence pour prendre les mesures nécessaires afin d'assurer l'élimination des déchets dont l'abandon, le dépôt ou le traitement présentent de tels dangers. La jurisprudence du Conseil d'État a confirmé cette possibilité pour le maire d'intervenir (CE, 11 janvier 2007, Min. écologie C/ Sté Barbazanges). Il convient de préciser que le maire ne peut exercer ce pouvoir qu'en cas de pollution des sols, de risque de pollution des sols, ou au cas où des déchets sont abandonnés, déposés ou traités, contrairement aux prescriptions du chapitre I du titre IV du livre V et des règlements pris pour leur application. De plus, cette compétence du maire ne devrait pas entrer en contradiction avec le pouvoir de police du préfet. Ainsi, le maire pourra exercer cette compétence si le préfet n'a pas déjà mis en oeuvre des mesures dans le cadre de son pouvoir de police. Le préfet reste l'autorité administrative à même de réglementer au mieux, de manière cohérente et intégrée, l'activité des installations classées du fait de la compétence technique et de la connaissance de terrain de l'inspection des installations classées.