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Texte de Patricia Laranco.

Par Ananda

Il est des vies marquées par une hésitation à vivre, à être... à oser affirmer la plénitude de sa présence, l’effectivité de son inscription au cœur de l’univers.

Il est des vies tôt confisquées, tôt escamotées par le poids des évènements qui grèvent le destin d’une famille.

Il est des vies voilées tout du long par la présence de cette ombre, de cette interrogation maléfique toujours présente, toujours tapie sous leur tissu qu’elle altère, qu’elle dévitalise : « ais-je le droit d’exister, de m’inscrire dans le concert, dans le concret de la vie ? ».

On ne se sent pas le DROIT. Tout bonheur est une sorte de sacrilège. Tout bonheur est insulte au Malheur Absolu qui a frappé.

Le frère, ou la sœur emporté prématurément par la Camarde. Le vide de leur place devenue vide, comme une espèce de trou noir cosmique. Les parents, ravagés, rongés par un deuil impossible à faire, par un inaccessible oubli qui les transmute en morts-vivants…

Comment ‘faire avec’ cette intrusion, cette omniprésence de la MORT ?

Peut-on tout effacer, rayer impunément de sa mémoire le malheur, le fossé tectonique, sismique qu’elle représente ?

Comment ne pas ressentir ce ‘continuer ç vivre » comme obscène ?

L’injustice des injustices a frappé : ce fur lui (elle), ç’aurait pu être moi.

L’injustice des injustices a CHOISI : ce ne fut pas moi, ce fut lui (elle).

Un enfant se sent toujours responsable de ce qui ne va pas. Et quand ce qui ne va pas, c’est la mal absolu, c’est la MORT, imaginez !

Le survivant est tenté de regarder la mort du si proche dans les yeux.

Il entendra toujours la voix de la proximité l’appeler.

Quelque chose, à partir de là, le reliera aux morts, à la mort.

Comment rester fidèle au lien, aux morts et à la mort sans s’empêcher de vivre ?

Et la consigne s’inscrit, à bas bruit, dans les méandres du subconscient.

Elle est pareille à un animal qui rampe sous terre, dans une tranchée.

Il en résulte une perception obsédante bien que totalement implicite, informulable de la précarité dans laquelle toute existence, toute sensation baigne.

Il en résulte une intense pitié pour tout être touché, de près ou de loin, par la dépossession.

Toute jouissance et toute joie semblent vouées à être sans lendemain. Car elles appartiennent au registre de l’interdit, de l’illégitime.

Rien n’est jamais acquis et rien n’est jamais vécu sans réserve.

Il y a ces parents qui ont basculé, aspirés par le TROU NOIR. On les a vus, au fil des ans, plonger, se changer en épaves.

On aurait tout fait pour les retenir, leur réinsuffler le goût de la vie.

Cause perdue d’avance. Echec.

Redoublement de la Douleur.

Toute une vie à se demander, pour tout, « est-ce que j’y arriverais ? ».

Avec, en permanence, le veto que jetait cette conscience aiguë quoique confuse, souterraine d’être un édifice reposant sur des assises de sable, des fondations perpétuellement pantelantes, rongées aux termites.

Toute une vie à lutter contre ce pouvoir d’érosion qui agit aux racines mêmes de l’être ?

Entreprendre ? Mais, pour entreprendre, il faut vivre sans être persuadé qu’automatiquement et tôt ou tard, une mystérieuse « force d’empêchement » ne va pas intervenir pour contrer, contrecarrer toute initiative ou, sinon, la muer immanquablement, malignement en un échec.

Agir, c’est une des manifestations les plus éclatantes de la vie. Or, dès lors que la vie elle-même est prohibée, comment agir ?

Toute une vie, comme une précaire victoire, acquise toujours de haute lutte et de justesse, au prix d’une harassante dépense d’énergie, sur l’emprise de ces forces de mort saturniennes, toujours à l’affût…Toute une existence passée continuellement à la merci de leur redoutable épée de Damoclès occulte.

Etrange état : l’on est vivant, mais quelque chose, en soi, est mort. Il faut obligatoirement, entre ces deux pôles contraires, trouver un compromis.

Ce compromis, c’est l’à-quoi-bon. Sorte d’état larvaire maintenu. Juste à mi-chemin entre la tentation d’être et celle d’annuler son être. Juste au carrefour de l’élan vital et de l’autodestruction chronique.

Il est des vies qui s’interdisent à elles-mêmes le nom de vie. Trop occupées qu’elles sont sans doute à rendre aux fantômes des comptes.

Car, chacun le sait, les spectres sont volontiers envahissants, persécuteurs. Ce sont, comme le dit si bien le bon vieux mythe, des « âmes en peine ». Ils n’en finissent pas d’hurler leur exigence fusionnelle, comme autant de rappels à l’ordre.

Tels certains vieillards, ils ‘agrippent à la chair encore chaude, vivante. Ils la prennent en otage et prélèvent en elle leur dû, leur tribut de vitalité. Ils deviennent des parasites, des vampires revendicateurs. Des ténias qui sapent, qui amoindrissent toute pulsion de vie.

Ils sucent la moelle et le sang, détournent l’énergie et l’influx vital.

Ainsi, toute une vie se retrouve-t-elle, parfois, vouée aux affres de l’épuisement. Ainsi ne peut-elle prétendre à un autre nom que celui de « demi-vie ».

Inversion absurde mais au combien opérante : le vide et l’absence sont seule autorité, seul poids. Le scrupule devient le « moteur » de cette vie  en clair-obscur, la justification de l’échec qui la traverse de part en part.

Chaque jour que dieu fait, la question fuse : « suis-je autorisé à vivre ce jour ? ».

C’est alors que le monde prend un aspect fabuleusement irréel. Par probable contagion, il se dévitalise lui aussi. Comme s’il apprenait à se faire l’écho de votre perte de substance. Le reflet parfaitement symétrique du nœud d’absence qui vous fonde.

Le monde, vu depuis la clandestinité des marges de la vie…depuis l’ « inframonde » aux lisières de la non-vie, limbes toujours figées.

Celui à qui fait défaut la confiance en la vie, en quoi, en qui peut-il placer confiance ?

La vie l’a trahi, et elle peut recommencer à  trahir. De même que tout flagrant délit de vivre représente une transgression, une trahison.

Le monde reste une Cité Interdite, livrée sans mode d’emploi.

Quel autre mode d’être que le repli, l’autoprotection peut-il y avoir ?

Il faut trouver des parades ; parfois, ces dernières se présentent d’elles-mêmes.

Une page blanche…puis des mots…qui s’intercalent, jouent les tampons. Les sas intermédiaires où se métabolise la substance du monde.

Et cette seconde peau  vient doubler l’effrayante nudité de la première.


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