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En attendant la révolution - A propos de Google+

Publié le 28 juillet 2011 par Christophe Benavent

En attendant la révolution - A propos de Google+

Schisms

Les hommes et les femmes du marketing et de la communication vivent dans l'illusion d'une révolution permanente qui au fond n'est que l'idée Schumpeterienne de l'innovation destructrice. Elle ravit ces révolutionnaires qui ne rêvent pas de monde meilleur, mais simplement d'un éternellement recommencement, . Celui qui permet d'être premier quand la course est perdue. Dans ce registre fantasmatique, on repérera cette appétence à deviner que les institutions apparemment en bonne santé, sont en fait déjà en ruine. Dernier exemple en date, cette idée qui court dans les réseaux que Twitter s'effondrerait bientôt sous les coups de google+ ou que Facebook est désormais menacé.
Des argumentations partiales sont développées, sans concept fort, sans idée claire, juste ce désir rock'roll que ce qui monte doit tomber, et qu'un succès trop rapidement obtenu se paye par un effondrement.
L'idée de Schumpeter n'est pas mauvaise, ni totalement fausse, l'innovation dans un certain nombre de cas détruit l'environnement qui l'accueille. Cette destruction créatrice, on relira le chapitre 7 de capitalisme, socialisme et démocratie(1942!), s'enracine dans l'idée que la concurrence joue moins par les prix mais par l'innovation. Clark et Abernathy ont systématisé cette idée avec la notion de transilience : dans quelle mesure l'innovation rend obsolète les formes traditionnelles et reconstruit les liens du marché. Avant de conclure sur la mort ou le déclin des uns et des autres, il faudra statué sur la question de savoir si Google+ a un caractère révolutionnaire.
Mais ce n'est pas tout, dans le cas précis qui nous intéresse trois facteurs fondamentaux. Quatre facteurs fondamentaux méritent d'être rappelés.
Le premier est que la survie des organisations économique n'est pas seulement une question de concurrence et de performance dans les services qu'elles procurent. La théorie de l'écologie des populations (d'entreprises) a depuis longtemps souligné que si la concurrence éliminait les formes inadaptées, la légitimité gagnée avec l'accroissement de la population permettait à des formes peu compétitives de survivre. Nous n’entendrions plus parler de Windows depuis longtemps si la compétition jouait simplement sur la qualité intrinsèque de ce qui est offert. Que ce système d'exploitation soit inférieur aux autres n'a pas empêché qu'il traverse le temps. Sa force est dans sa légitimité, ce qui lui donne accès à des ressources auxquels mêmes les meilleurs ne peuvent prétendre. C'est ainsi que les vieux chevaux de retour battent tous les étalons.
Le second est propre au médias, et résulte sans doute du premier. C'est une régularité empirique au minimum. Aucun média n'a été chassé par les autres, ou il aura fallût très longtemps. La radio reine des années 30 est toujours là. Les journaux en papier qui tâchent ne sont pas encore mort. La tv enregistre une baisse infinitésimale de son audience et de sa durée d'exposition. MySpace voit son audience se rétracter fortement mais n'est pas menacé ou de manière encore lointaine par Souncloud. L'apparition de nouveaux médias redéfinit le rôle et la position des anciens, mais rarement s'y substitue. Chaque média apprend au cours du temps à s'adapter à l'usage dans lequel il est le meilleurs, la radio a trouvé dans la voiture son sanctuaire, fût-elle minimale elle y présente l'avantage d'être le seul média qu'on puisse suivre tout en faisant autre chose. La TV se déplace du salon à la cuisine. Cette observation peut s'expliquer au regard de l'écologie des populations par le fait que les différents médias ne sont pas associés en fait à la même niche écologique. Si dans le premier temps de le développement ils se superposent aux autres, à mesure que la compétition joue, c'est dans des espaces marginaux qu'ils subsistent.
De ce point de vue, on doit souligner l’extrême importance du troisième facteur : comme nombre de services digitaux, les réseaux sociaux ne sont pas conçus que par leur concepteurs. C'est l'usage qu'on en fait qui les définit, il ne sont pas des formes fixes, mais en continuellement redéfinition. Le cas de twitter est sans doute un des plus remarquables, mais l'utilisateur ancien de facebook, se souvient d'une plateforme sans rapport avec ce qu'on consulte aujourd'hui. Il y a là une véritable nouveauté conceptuelle : les innovations du digital parce que leur substance est produite par les utilisateurs eux-mêmes n'ont pas de formes définitive avant un long moment, celui qui justement leur permettra de trouver les espaces écologiques dans lesquels ils ont peu de concurrents.
Un quatrième facteur est spécifique aux réseaux sociaux numériques. Personne n'utilise un seul réseaux, les statistiques sont claires : l'utilisateur d'un réseau en utilise au moins deux ou trois autres, ne serait-ce que parce qu'il ne souhaitent pas mélanger ses réseaux véritables. Ce qui est vrai en matière d'économie de standard, ne peut l'être tout à fait en matière de réseaux sociaux. La dominance d'un standard s'explique notamment par les externalités positives, mais il y a peu d'économie pour l'utilisateur à rassembler sur une même plateforme l'ensemble de ses réseaux. Il y a même un coût : celui de la confusion. Souhaite-t-on faire se croiser en un même espace son épouse et sa maitresse ? Souhaite-t-on faire se croiser dans un même espace ses relations professionnelles et ses relations amicales ? C'est à ce problème que Google+ tente de s'adresser en introduisant l'idée des cercles mais assure-t-il vraiment l'étanchéité que l'on souhaite ? La réponse est non, car elle demande une gymnastique cognitive importante. Le raisonnement ensembliste n'est pas un calcul commun. Il est sophistiqué, et l'esprit simple préférera recourir à une solution apparemment plus lourde : celle de multiplier les plateformes. Cela évite d'avoir à calculer.
Combinant ces quatre facteurs, une idée simple émerge : le monde des réseaux sociaux va aller en se différenciant, il n'y aura pas une plateforme dominante, mais plusieurs plateformes qui cohabitent correspondant à des usages différenciés et plus précisément aux différentes idées de soi (social) que l'on se donne. Une place pour un réseaux professionnel, une place pour un réseaux amical, une place pour un réseaux affectif et sexuel, une place pour des souvenirs d'enfance, une place pour l'information usuelle, une place pour les engagements sociaux et politiques. Et nous en oublions. Chacun d'entre nous au titre de ses 4 ou 5 moi sociaux, construira ses réseaux aux travers de 4 ou 5 plateformes. Il y aura donc sans doute de la place pour une bonne douzaine de grandes plateformes, et certainement quelques dizaines de plateformes très spécialisées.
Stratégiquement ce qui est certain est que pour les grands usages, ceux qui sont déjà là par le jeu de la légitimité, resteront. Ce qui n'est pas assuré est la place que chacun d'eux va occuper. Alors faisons quelques pronostics : facebook sans doute va s'installer dans la position du réseaux universel, auquel presque tous appartiennent, mais où l'on gère les amis et les accointances, de petits réseaux personnels. Twitter ne sera pas une plateforme universelle, mais vaudra pour ceux pour qui la veille est importante et la diffusion plus encore. Linked est le grand réseau professionnel en devenir. Google plus sera le couteau suisse des masses, le complément naturel de facebook, celui qui permet de gérer ceux qui ne sont pas tout à fait nos amis.
Finissons sur une dernière idée. Parce que justement nous utilisons plusieurs réseaux, c'est la manière dont nous ferons passer de l'information de l'un à l'autre qui va nous donner la clé de leur institutionnalisation. Comme dans la vie, nos réseaux ne sont pas aussi distincts que l'on pense, on déverse dans l'un l'information qu'on obtient dans un autre. Moins que concurrents, les réseaux risquent donc d'être complémentaires, c'est ce facteur qui va contribuer à leur légitimité. On retrouve ici cette idée de l'écologie des communautés. Ce ne sont pas les espèces qui sont en compétitions mais les groupes. De ce point de vue google+ a un avantage important, car il s'insère dans un ensemble cohérent, celui de l'ensemble des applications de google, android inclus. Mais la messe n'est pas dite pour les autres. On risque de voir facebook se rapprocher de microsoft, twitter renforcer son insertion dans les plateformes professionnelles, mais surtout s'emparer de ce nouvel espace pour lequel il a été conçu : celui des mobiles.
Pour conclure sur la question de l'innovation, rappelons que la grande innovation des niveaux sociaux est bien ancienne, elle s'est enracinée dès les années 90 dans les systèmes de liste de diffusion et les plateformes actuelles n'en sont après tout que des sophistications. L'innovation en ce domaine est pour l'instant incrémentale. La véritable révolution viendra sans doute d'un nouvel acteur. L'innovation qu'il apportera, faisons un pari, viendra de sa capacité à matérialiser le véritable réseaux social dans lequel nous vivons : celui de nos objets.

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