Magazine Voyages

Toute tentative d’avoir une identité….

Publié le 30 juillet 2011 par Perce-Neige
Toute tentative d’avoir une identité….Enfin… Il est bientôt temps pour moi, savez-vous, de faire mes bagages ! Trois semaines estivales - si je compte bien… - toutes entières consacrées au plaisir des textes. Et aussi au jardinage. Et aussi aux nuits d’orage quand le vent semble, parfois, déplacer les montagnes. Et aussi à ce vin rosé qui se boit toujours en silence (dis-tu). Et aussi aux après-midi paresseux, bercés de souvenirs d’enfance, là-haut sous les arbres. J’en passe… Car, juste pour annoncer l’automne, pour ne rien dire de ce qui viendra, de ce à quoi je travaille, de ce que j’imagine, cet extrait d’un étrange et magnifique roman (« Don Quichotte » de Kathy Acker, aux Editions Laurence Viallet), à garder contre soi, quelque part dans le sac, ou bien simplement à la main, qu’importe…
Quand elle fut enfin folle parce qu'elle s'apprêtait à se faire avorter, il lui vint l'idée la plus insensée que jamais femme eût conçue. C'est-à-dire aimer. Comment une femme peut-elle aimer ? En aimant quelqu'un d'autre qu'elle-même. Elle aimerait quelqu'un d'autre. En aimant une autre personne, elle redresserait toute espèce de torts politiques, sociaux, et individuels : elle se mettrait dans des situations si périlleuses qu'elles lui apporteraient renom et gloire. L'avortement était sur le point d'avoir lieu. Elle était couverte du cou jusqu'aux genoux d'un papier fadasse, vert gerbi. C'était son armure. Elle l'avait choisie tout spécialement, car elle savait qu'en ce monde la vie est tellement dure pour une personne célibataire, même riche, que cette personne doit faire avec ce qu'elle trouve : ce monde, il ne se prête pas à l'idéalisme. Par exemple : le papier vert se déchirerait dès que l'avortement débuterait. Ils lui annoncèrent qu'ils la transféreraient du fauteuil opératoire à son lit en fauteuil roulant. Le fauteuil roulant serait son moyen de transport. Elle sortit pour l'examiner. Il se mourait. Jadis, c’avait été une rosse, comme tous les plumitifs et autres rimailleurs sur la paille, ces vieilles rosses; et maintenant, comme toutes les rosses, c'était une ivrogne à plein-temps, qui n'avait que des histoires de coucheries à la bouche or qui non seulement ne couchait plus jamais mais n'en avait même ni les moyens ni l'équipement, et qui traînait avec les autres cloches. À savoir, les femmes qui se font avorter. Elle décida que puisqu'elle s'embarquait dans la plus formidable aventure qu'être humain pût entreprendre, celle du Saint Graal, elle devait avoir un nom (identité). Elle devait se donner un nom. Quand tu es couchée sur le dos, qu'un médecin te fourre un cathéter de métal dans le corps et que tu fais tout ce que lui et les infirmières te demandent de faire; finalement, heureusement, tu laisses ton esprit divaguer. Laisser ton esprit divaguer, c'est mourir. Il lui fallait une nouvelle vie. Elle avait besoin d'avoir un nom. Comme on l'a dit, son lit roulant s'appelait « Rosse-rossée » ou « Rosserebattue », signifiant « rosse un jour » ou « rosse toujours » ou « un écrivain » ou « toute tentative d'avoir une identité qui échoue invariablement ». Tout comme « Rosse-rebattue » est la glorification ou la transition de la non-existence à l'existence de la « Rosse-rossée », elle décida que « cathéter » serait la glorification de « Kathy ». En adoptant un tel nom qui, étant long, est masculin, elle pourrait devenir femmehomme ou chevalier-nuit. La catharsis, voilà comment traiter le mal. Elle lustra son papier vert. Pour aimer, elle devait trouver quelqu'un à aimer. « Pourquoi, se demanda-t-elle in petto, dois-je aimer quelqu'un afin d'aimer ? N'est-ce pas mon amour pour un homme qui m'a conduite à cet avortement ou état de mort ? Pourquoi ne puis-je aimer, tout simplement ? Parce que tout verbe pour être transitif a besoin d'un objet. Sinon, n'ayant rien à voir, il ne peut se voir lui-même, ni être. Puisque l'amour est compassion ou communication, j'ai besoin d'un objet qui soit à la fois sujet et objet: pour aimer, je dois aimer une âme. Une âme peut-elle exister sans un corps ? Le physique est-il distinct du mental ? De même que l'amour d'un objet est l'apparence de l'amour, le domaine physique est l'apparence du divin : l'esprit est le corps. C'est pour cela, pensa-t-elle, que j'ai un corps. C'est pour ça que je me fais avorter. Je peux donc aimer. » C'est comme ça que don Quichotte décida de sauver le monde.
Bon, on se retrouve en septembre ? Je ne sais pas où….

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Perce-Neige 102 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine