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Lecture : Marie-Dominique Lelièvre : « SAGAN A TOUTE ALLURE », Folio, 2008.

Par Ananda

Françoise SAGAN fut le dernier grand « monstre sacré » de la littérature française.

Dans cette biographie, Marie-Dominique LELIEVRE nous restitue avec tendresse cette auteure, mi-écrivain, mi-légende (mi-« people », dirions-nous aujourd’hui) dont la vie « à toute allure » fut peut-être la plus réussie des œuvres.

Car Sagan ne se contenta pas d’écrire, d’une plume impeccablement classique et feutrée, des romans ayant pour cadre le milieu qu’elle connaissait et d’où elle n’est jamais sortie (c’est le reproche qu’on peut lui faire), celui de la bonne bourgeoisie française plus ou moins « libérée », elle marqua son époque jusqu’à en devenir l’un des « gourous », l’un des symboles.

Ce que Sagan incarnait, à l’échelle française, c’est la révolution des mœurs qui balaya les pays occidentaux pendant l’immédiate après-deuxième guerre mondiale.

Soif de liberté, fureur de vivre (symbolisée par l’objet saganien par excellence, la voiture rapide), rejet total et infantile des contraintes et des frustrations, hédonisme festif, insouciance solaire (Sagan « lança » Saint-Tropez) furent, en ces temps pleins d’espoir, la caractéristique d’une jeunesse qui n’allait pas tarder à faire craquer cadres et conventions « bourgeoises » classiques.

Enfant précoce, d’une très vive intelligence (elle « pensait trop vite »), Françoise Sagan, comme tous les surdoués, avait tendance à « s’ennuyer au milieu des autres ». Et cependant, fragile, elle ne supportait pas la solitude !

Dotée de « l’oreille littéraire absolu », elle aurait pu devenir un très grand écrivain, mais fut boudée, dédaignée par les universitaires (ce qui, chacun le sait, en France, ne pardonne pas).

Elle était sans doute trop occupée à s’étourdir, à fuir son angoisse au moyen d’un trop de vie pour élaborer autre chose que sa fameuse « petite musique ».

Marie-Dominique Lelièvre nous montre fort bien comment elle fut, toute sa vie durant, tentée par la régression et les addictions de toutes sortes (dont la principale, cependant, reste son extraordinaire boulimie de lecture).

Le maître-mot de la vie de cette petite femme frêle, d’une vivacité toute française et d’un charisme atypique, est sans conteste le verbe « s’évader ».

Sagan, au fil de ces pages entraînantes, apparait telle qu’en elle-même : complexe, fascinante, instable, atteinte d’ « inaptitude à la vie » chronique.

De la provinciale née à Cajarc (Lot), elle avait conservé le naturel, la simplicité parfois ascétique qui alimentait son esprit « bohème » ; de la bonne bourgeoise hexagonale, elle avait gardé la pudeur, le caractère secret, presque « coincé » en un sens, la « bonne éducation » ; de l’enfant gâtée, de la « gosse de riches » qu’elle avait été, elle tenait ses foucades, son goût pour le train de vie de la « jeunesse dorée », les excès sans nombre de sa générosité dépensière et l’insouciance de son adolescence à vie.

Sagan, c’est d’abord un personnage que seule son époque pouvait enfanter : un être atteint du « syndrome de Peter Pan » avant la lettre. Une androgyne qui avait le temps qui passe et la mort en sainte horreur, et qui leur opposait de constants défis, de constantes prises de risque voisines de l’autodestruction.

On n’a le choix qu’entre l’abîme de la mort et celui de la défier.

D’autres que Sagan l’illustrèrent : James Dean, Jim Morrison ou même Michael Jackson.

Sagan ne mourut pas aussi jeune qu’eux et, cependant, on est autorisé à dire qu’elle mourut jeune, car son esprit ne grandit jamais, ne vieillit jamais. C’est cela, sans doute, qui la rend si touchante, si attachante.

Sagan savait séduire, à sa manière qui n’appartenait qu’à elle. Sans quoi Marie-Dominique Lelièvre n’aurait jamais écrit cette biographie.

Conquise par l’écrivain, elle va la chercher dans son être profond.

Elle la cerne…autant que cerner un tel personnage est possible.

Car cette séduction ne tient-elle pas, justement, à un mystère qu’il est impossible de réduire, de maîtriser ?

Un livre plein de la présence de Sagan, plein aussi de sa fêlure, de son énigme irréductible, inexpugnable…

Un livre singulièrement alerte et agréable à lire ; vivant, actuel comme seuls savent l’être, parfois, les ouvrages de journaliste.

P. Laranco


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