Faut-il des connaissances spécifiques pour apprécier un vieux millésime ?

Par Mauss
Nous rebondissons là sur un billet récent d'Hervé Lalau (ICI) qui évoque la question. Belle interrogation tant il est vrai que l'habitude de vins jeunes sur le fruit peut dérouter plus d'un amateur se confrontant à un millésime âgé. Disons, au moins 10 ans.

Dans les bons livres doctrinaux des années 60 et 70, on trouve généralement la classique distinction entre arômes primaires (le fruit), secondaires (fleurs, épices, tabac, etc.) et enfin tertiaires (sous-bois, terre, champignon). C'est déjà un bon repère qui garde son intérêt, même de nos jours.

Rajoutons à cela les éléments suivants : 

- la puissance du vin : est-elle encore présente, avons nous encore des traces d'une belle jeunesse, ou sommes nous "over the hill", sur la phase descendante ?

- la complexité de la palette aromatique : au-delà des premières impressions sur le fruit, un vin doit normalement évoluer vers une complexité spécifique, où se mêlent alors de multiples sensations, certes dépendantes du goût de chacun et de son aptitude à discerner les arômes. Je resterai toujours surpris, jusqu'à mon dernier souffle vineux, par cette capacité affolante de certains dégustateurs à trouver des choses étonnantes : du cèdre, du curry, de la pomme (y en a), du poivre, de la noix de coco, et j'en passe et des meilleurs, sans oublier celle du "cheval qui rentre à l'écurie" ! C'est loin, très loin d'être mon cas. L'inénarrable laurentg est un sommet en la matière :-). Limite irritation permanente !

- la finesse : voilà un élément auquel j'attache une importance primordiale, certainement basée sur ce que j'ai pu découvrir depuis une bonne décennie avec les grands vins bourguignons et les sublimes rieslings, qu'ils soient alsaciens, teutons ou autrichiens (et je n'oublie pas tokaj ou porto). C'est peut-être là, au delà des évolutions aromatiques, le facteur fondamental dans l'évolution d'un vin : sa capacité à devenir FIN.

Le VCC dégusté chez LPV, les monuments du XIXème tastés au Bern Steak House à Tampa, dont un sublime Gruaud Larose 1888 et ces Lafite 1896 ou 98, les soirées inouïes au Château de Beaune, chez Bouchard ("la" cave de référence en la matière) voilà des exemples mémorables de crus qui, littéralement, dominent le temps avec quelques uns qui semblent figés pour une éternité.

- l'histoire : là, on entre dans les facteurs externes, ceux qui ne sont pas liés directement au vin lui-même, mais ceux qui l'entourent. On dépasse alors la simple dégusation en soi, en associant au geste une mémoire. Celle de l'histoire du cru, celle du millésime, celle naturellement des vignerons qui ont réussi le chef d'oeuvre et à qui il faut penser en premier. Prenons l'exemple récent de ces deux joyaux offerts généreusement par Georg Weber : Chevalier-Montrachet 52 et La Conseillante 43. Replacer ces deux vins dans le contexte de la guerre et de l'après guerre, dans une période où la technique devait être élémentaire par rapport à ce qu'elle est et ce qu'elle apporte aujourd'hui, voilà des sujets de réflexion qui dynamisent un tantinet la simple dégustation, et peuvent, doivent apporter des sources complémentaires d'appréciation.

C'est là surtout que je considère comme fondamental l'apport de pros du vin, comme Michel Bettane, qui ont une connaissance "historique" des choses bien plus complètes que ce qu'un simple quidam peut savoir. Les soirées de Bernard Hervet au Château de Beaune étaient exemplaires sur ce plan. Le "terroir" est une notion qui ne peut se comprendre qu'au travers de ces expériences de vieux millésimes.

Bon, si vous n'avez pas un "bon" à vos côtés, essayez, même a posteriori, de lire ici ou là, ce qui a été écrit à l'époque. Relire Cordier ou Lavalle, c'est toujours un bonheur complémentaire quasi indispensable.

Mais in fine, ce qui fera la valeur d'un vieux millésime, à la limite quelque soit son état, c'est l'émotion qu'il vous apportera. Même un vin "mort" peut générer un maelström de réflexions, les plus fascinantes à lire à cet égard étant celles de François Audouze :-)

Quand on pense à toutes ces bouteilles dormant d'un trop long sommeil dans des caves perdues de notaires, médecins, curés, chanoines, évêques ! Même au Vatican, je suis certain qu'il y a là-bas de belles endormies pleurant doucement l'ingratitude de cardinaux ayant perdu le sens du vin, boisson biblique par excellence ! 

Terminons par un bon point : le fait que notre Président ne boive pas va permettre à la cave de l'Elysée de prendre du poids historique. On espère que le suivant, celui de 2017, aura une attitude plus correcte en la matière ! Mais bon, là, je commence à divaguer !

DU TEMPS DES GRANDES HEURES…

Oui, oui : il n'y a pas que des bourgognes chez Bouchard !

On peut lire nos commentaires ICI et LA