Magazine Journal intime

Parfois, les dieux de la route se penchent sur le 4-cylindres...

Par Fabrice @poirpom
Parfois, les dieux de la route se penchent sur le 4-cylindres...

Parfois, les dieux de la route se penchent sur le 4-cylindres d’un tar-mo. Ils l’enveloppent d’une aura d’invincibilité et le caressent de leurs langues de feu. Puis ils le guident.

Roule.

Au réveil, un vieil hirsute, résident du camping, s’approche.

C’est le Zephyr 750…

Il ne pose pas la question. Puis il imite, à la perfection, pendant quelques secondes, le bruit de casserole caractéristique de cette bécane au démarrage.

Un truc bluffant pour celui qui connait le son. Un problème gastrique étrange pour les autres.

Si je peux me permettre…

Il prend la carte de France collée au réservoir. De son doigt tremblant, il pointe des serpentins jaunes et d’autres blancs. Il bredouille quelques commentaires.

C’est pas mal par là. Il y a de chouettes choses à voir…

L’euphémisme est une pratique courante chez les humbles.

Il y a d’abord une méchante ascension jusqu’à plus de 1500 mètres d’altitude. Des virolos serrés, taillés dans un tapis de billard. Une grimpette rythmée, avec le soleil qui scintille sur le cerclage du compteur de vitesse et du compte-tours. À chaque mètre gagné en hauteur, le froid pince un peu plus la peau. La casserole chauffe. Elle prend ses marques. Les courbes s’enchainent, les campings-cars et les caravanes s’arrachent en tombant la seconde ou la troisième dans une pseudo ligne droite. Remercier tout le monde, celui qui serre un peu, celui qui ne bouge pas, celui qui fait un signe de la main. Au sortir d’un virage, le régime tombe, la bécane file tranquillement jusqu’à une cahute en préfabriqué sous un auvent qui culmine à plus de cinq mètres. Un nom propre cerclé d’étoiles jaunes sur fond bleu.

ESPAÑA

De l’autre côté du poste de frontière, un ilot de mini-supermarchés et de boutiques-souvenirs à bon prix. Sur une enseigne lumineuse, une information.

Un petit 14°C

Info confirmée par le pincement cutané.

Plastron et gants mi-saison pour la suite du trajet. Dans un premier temps, tout du moins.

La descente se fait par de grandes courbes, larges, offrant une visibilité immense, parmi les stations de ski au repos. Atterrissage en douceur à Lanuza, un petit village déposé au bord de l’eau du barrage. Circulation interdite, ruelles pavées, jardinières de fleurs suspendues à toutes les fenêtres.

Lente ballade jusqu’à Biescas. À la sortie du village, un panneau de signalisation prédit l’avenir.

23 km

De part et d’autre de la prédiction, deux petites flèches pointent droit devant. Au-dessus, dans un triangle blanc bordé de rouge, un serpentin.

Succession de virages dangereux

23 bornes de pif-pafs endiablés. 23 bornes de centrifugeuse. De rapports qui tombent, de régime moteur qui grimpe, de moteur qui chauffe les genoux et les tibias. Le freinage est puissant et précis, le bloc moteur brûle la rotule à chaque pression de la pédale du frein arrière.

Vitesse maxi atteinte: 80 km/h à peine sur un embryon de ligne droite. Quantité de plaisir pris: des caisses et des caisses. Par cargos entiers.

KAKOUETA est un chameau qui tourne comme une horloge.

Bifurcation sur Torla. Arrêt au village. Pain, chorizo, fromage. Direction le Parque Nacional de Ordesa y Monte Perdido. Pause déj sur un gros caillou planté au milieu du Rio Ara. Sieste au soleil.

Retour en selle jusqu’à Ainsa. À la sortie du bled, une autre prédiction. Sur 35 kilomètres.

Oh

Pu

Tain.

Une quinzaine d’entre eux se feront en reniflant le pneu arrière d’un 1300 FJR. Majestueux, souple, fluide. Le mec emmène les plus de 350 kilos de l’embarcation, en comptant Madame, valises et top-cases, comme une bicyclette. Sur le trajet, deux motards de la police locale arrivent en sens inverse. Petit salut amical.

Ils ne courent pas après des voleurs. Ils ne verbalisent pas pour excès de vitesse. Ils ne contrôlent pas les papiers des véhicules ou l’homologation des échappements.

Ils sont là pour le kiff. Comme tout le monde. À bord de leurs 1200 RT.

À Campo, un quatuor de motards surprend. En lieu et place du simple salut amical, c’est une pluie subliminale (le temps de les croiser) de signes d’approbation et de joie qui s’abat. Applaudissements, pouces levés, coups de gaz… Puis ils disparaissent et s’amenuisent dans le rétroviseur.

À la sortie de la ville, début de la chute de la blague. Sur un panneau de signalisation.

Pif-pafs sur 20 bornes

Sans déconner…

Dernière session folle furieuse de la journée. Avec un ou deux tunnels creusés dans la roche et laissés tels quels. Avec les derniers kilomètres de tapis coincés entre deux falaises, espacées d’une vingtaine de mètres à peine. Un ruisseau qui court au pied de la route. Une fraîcheur qui picote les yeux et les joues.

Un dernier tunnel. Puis douce ballade jusqu’à Benasque. Et plus loin. Un panneau de bois attaché à un arbre pointe vers un chemin. De terre et de cailloux. Il faut franchir l’eau de la rivière qui coule dans le coin. Vingt centimètres d’eau claire qui rafraichissent les pneus. Un autre panneau. Une descente de terre et de cailloux. Raide comme un mur.

Un camping planqué sous les arbres dont les feuilles vibrent avec le vent. Qui vient apaiser le rythme cardiaque.

En montant la tente, la journée défile dans la tête.

Un lointain souvenir ressurgit.

Un vieil hirsute. Barbe et cheveux poivre et sel. Un doigt tremblant, des serpentins jaunes et blancs, quelques commentaires.

C’est pas mal par là…

Merci du tuyau.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Fabrice 1390 partages Voir son profil
Voir son blog

Dossier Paperblog