S’il est indéniable que la constitution marocaine comparée à celles des monarchies du Golfe et du Moyen-Orient présente plusieurs avancées, elle reste en dessous des normes nécessaires à l’instauration d’une monarchie parlementaire, seule voie pour concilier monarchie et démocratie.
Par Hicham El Moussaoui, depuis Beni Mellal, Maroc
Article publié en collaboration avec UnMondeLibre
De prime abord, si le gouvernement est issu désormais du suffrage universel et que le chef du gouvernement dispose de plus de pouvoirs en matière de nomination et de coordination de l’action gouvernementale, il demeure néanmoins dépendant et faible par rapport au souverain. En effet, le maintien du chef du gouvernement aux affaires dépend de la bonne volonté du Roi. De même, n’importe quel ministre proposé par ce dernier pourrait être révoqué par le souverain. Par ailleurs, aucune décision concernant les questions stratégiques (dont l’objet n’est pas délimité) ne peut passer sans l’aval du Roi. En outre, le Roi garde toujours le pouvoir exclusif en matière religieuse, sécuritaire et militaire : le gouvernement est encore trop faible, se contentant d’exécuter un programme dont la conception continue toujours de lui échapper.
Concernant le Parlement, malgré une extension du domaine de la loi (de 9 à 50), la souveraineté du peuple portée par la chambre des représentants demeure fragile dans le sens où, d’une part, le Parlement pourrait être dissout à n’importe quel moment par le souverain, et d’autre part, ce dernier peut renvoyer pour relecture n’importe quelle loi votée par les députés. Enfin pour le pouvoir judiciaire, peut-on parler de réelle indépendance lorsque est stipulé dans la nouvelle constitution que « les magistrats du parquet (…) doivent se conformer aux instructions écrites émanant de l’autorité hiérarchique », ce qui signifie le gouvernement et le Roi. Le souverain continuant à présider le conseil supérieur du pouvoir judiciaire qui gère la carrière des magistrats, ces derniers ne disposent pas d’une réelle indépendance, même si le ministre de la justice a été évincé du conseil supérieur.
Il en ressort une séparation de pouvoirs biaisée dans la mesure où le Roi cumule tous les pouvoirs et reste l’exécuteur suprême. La nouvelle constitution, comme l’ancienne, reste ancrée dans un système de gouvernance basé sur une monarchie exécutive laissant des pouvoirs significatifs aux mains du Roi et de son entourage immédiat. Il ne s’agit pas tant de la personne du Roi, mais plus de son entourage, de ses conseillers et cet ensemble qui gouverne le pays dans l’ombre tout en échappant au principe démocratique de reddition des comptes.
L’excès de l’interventionnisme monarchique trouve racine dans la méfiance historique de la monarchie vis-à-vis des autres pouvoirs, ce qui explique que d’un coté on délègue certains pouvoirs et de l’autre on met en place des garde-fous pour annihiler presque ces nouveaux pouvoirs. À titre d’exemple, le Parlement est reconnu comme la source de législation, mais en même temps l’approbation des lois est soumise au véto royal.
Au-delà de la séparation des trois pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, l’amalgame entre le pouvoir politique et économique a été passé sous silence. Même si le budget du palais royal est voté par les parlementaires à l’unanimité, il ne fait pas l’objet d’une vraie discussion. Un budget représentant, selon les données de la loi de finances 2010, près de 2% du budget général de l’État et qui correspond à 2,3 fois celui de l’Élysée (alors que le PIB de la France représente 30 fois celui du Maroc) et 12,6 fois celui du palais espagnol. Le palais coûte aux contribuables marocains 7.028.293 DH par jour. Pour 32 millions d’habitants, la part du palais royal est équivalente à celle de 375.000 Marocains.
Sur le budget royal, seul le salaire royal, dit liste civile, représentant 1%, a un fondement constitutionnel, les 99% restant n’ont aucune assise constitutionnelle, ce qui ouvre la porte aux décisions discrétionnaires. Certes, la cour des comptes est constitutionnalisée (comme avant), mais il n’y a aucun automatisme entre la constatation d’une violation de la loi et la présentation des dossiers douteux à la justice. Les organes de contrôle des dépenses publiques, comme l’inspection générale des finances ou la cour des comptes ne procèdent pas à des missions de contrôles des finances du palais royal comme elles le font avec les autres administrations. Cela pose problème dans la mesure où l’exercice de pouvoir par l’institution royale et son entourage n’est pas accompagné de mécanismes de contrôle et de reddition des comptes, ce qui contredit l’esprit démocratique. On reste dans un système où toute l’architecture constitutionnelle est liée à la bonne foi des différents intervenants.
S’il est indéniable que la constitution marocaine comparée à celles des monarchies du Golfe et du Moyen-Orient présente plusieurs avancées, elle reste en dessous des normes nécessaires à l’instauration d’une monarchie parlementaire, seule voie pour concilier monarchie et démocratie. S’il y a un enseignement à tirer des mouvements de contestation au Maroc c’est qu’on est en présence d’une véritable revendication populaire de responsabilisation de la classe politique et de la monarchie royale. Il s’agit de la revendication d’un nouveau contrat entre le peuple et la monarchie où la légitimité historique et religieuse est désormais insuffisante pour justifier le pouvoir. L’heure est désormais à la bonne gouvernance et l’efficacité pour légitimer le pouvoir royal. Ainsi, pour pouvoir véritablement parler de modèle de réforme démocratique au Maroc il est besoin d’une réelle séparation d’une part entre la sacralité et le politique, et d’autre part, entre le politique et l’économique. C’est à cette seule condition que l’on peut espérer l’émergence d’une vraie démocratie au Maroc, et non une démocratie de façade.
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