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Démocratie : la « force des urnes » ?

Publié le 10 août 2011 par Copeau @Contrepoints

Dans une démocratie, la majorité exprimée par les urnes s’impose à une minorité plus ou moins importante. Alors qu’en Afrique et singulièrement en Côte d’Ivoire le pouvoir repose sur un seul homme, les divisions et les frustrations dans le clan des « perdants » sont d’une importance qui met en péril la réconciliation. La cohésion sociale pourrait cependant être retrouvée si l’intervention de l’État était réduite et si les populations recouvraient leurs libertés en ayant la possibilité d’entreprendre et d’être propriétaires.

Par Nicolas Madelénat di Florio (*)
Article publié en collaboration avec Audace Institut Afrique

Démocratie : la « force des urnes » ?
Dans un cadre libéral, l’individu existe en tant que tel et non plus seulement à travers l’identification à l’État et donc, selon la conception africaine, à un petit groupe de dirigeants. La liberté ne doit plus être analysée comme un outil réservé aux occidentaux mais comme le pilier de la réconciliation, de la paix durable et au-delà, du progrès.

La Côte d’Ivoire est très souvent montrée du doigt par la vieille Europe comme étant incapable d’établir un gouvernement démocratique durable. Entre anthropocentrisme affirmé et vieux reste aristotélicien, la pensée du philosophe s’égarerait presque si, derrière ce problème d’un gouvernement véritablement démocratique, ne se cachait une série de questions plus profondes, et plus graves. Car au-delà de l’ingérence française visant à faire chuter le précédent pouvoir, il est intéressant de s’interroger sur la valeur, et les limites, de ce que nous appellerons la « force des urnes ». Faut-il tout demander au peuple, tout lui soumettre ? Qui doit décider, dans un état de droit, et dans quelle mesure, des libertés individuelles et collectives ?  Que faire des minorités, faut-il les protéger, voire les revendiquer comme étant la clef de la richesse d’un peuple, ou au contraire les soumettre, par la puissance publique, à la force de la majorité ? De quelle autorité un représentant de l’État est-il porteur ?

Si l’on admet que par le vote s’exprime la volonté du peuple, alors nous pourrions déduire, facilement, que le candidat élu est celui que préfère la majorité. Il est, sur cette partie de la population, pleinement légitime ; des individus libres, à qui l’on offre la possibilité de choisir la personne qui, à leurs yeux, est la plus capable de les représenter, décident vers qui se portera leur suffrage. Or, qu’en est-il de la minorité, celle dont le candidat n’a pas remporté les suffrages ? Celui qui a été élu doit, pourtant, être le décideur pour la totalité des électeurs, y compris de ceux qui n’ont pas voté en sa faveur, voire qui se sont clairement manifestés contre lui. S’affirme déjà la première limite à la démocratie : la légitimité du candidat élu est, dès sa « victoire », biaisée en ce qu’il ne reçoit pas la totalité des souverainetés individuelles pour agir.  Il est d’usage, pourtant, d’expliquer que c’est l’État qui les reçoit toutes ; cela revient à confier à une structure le soin d’effectuer des choix en conscience. C’est, logiquement, une aberration.  Si l’homme de l’État doit se plier aux usages de la structure, la machine-État, et donc aussi de ceux qui la composent (les fonctionnaires par exemple), il n’en subit pas une contrainte intellectuelle volontaire ; les limites qui se posent à lui sont soit d’ordre politique (garder ses soutiens) soit d’ordre purement structurels (si la Constitution ne permet pas telle ou telle décision par exemple). Les élus se retrouvent investis de la souveraineté de chaque électeur et, par la « victoire », recevraient celles non confiées ; c’est la règle de la majorité. Ce constat intermédiaire réaffirme le caractère légitime des institutions décentralisées : des représentants de terrain élus par les habitants d’une circonscription pour les représenter dans une assemblée locale seront ainsi plus légitimes et mieux contrôlés par les électeurs, étant plus près d’eux.

Pourtant, très rapidement, au niveau national, la minorité, ou les minorités, seraient en mesure d’affirmer que, n’ayant pas voté pour le candidat élu, elles n’ont pas à subir son autorité ; dès lors que chaque électeur dispose d’une voix, ils sont égaux de fait devant la capacité de vote et bénéficient tous de la même légitimité pour s’exprimer. Or, sur quelle base se fonde le droit d’imposer, par la majorité exprimée (nous ne traitons ici que des votes exprimés), son candidat à d’autres ? L’argument apporté par les partisans de tels suffrages est simple : afin d’éviter un déchirement de la population en au moins deux camps (celui dont le candidat a été élu ; celui dont le candidat n’a pas été élu) la minorité doit accepter. Pourtant, l’arène politique n’est pas un terrain de football et, dans ce que l’on appelle à tort le « jeu démocratique », il ne devrait pas y avoir de vainqueur et de vaincus.  Ces positions, facteurs de troubles durables, ne permettront jamais la réconciliation et, même si l’on admet que le passage de la théorie à la réalité (accepter que la majorité réelle des suffrages exprimés permette la désignation du représentant du pouvoir), il convient que les électeurs les acceptent comme étant un moindre mal. Et à cette ambiguïté intrinsèque au vote démocratique il faut ajouter l’impératif de transparence comme élément de la légitimité politique. Si les électeurs doutent, le pouvoir vacille sur la base qui devrait être sienne ; une parfaite transparence durant les élections est nécessaire, voire impérative. La contestation, trop souvent instrumentalisée, tout autant qu’elle peut être légitime, est un facteur de trouble dangereux pour la stabilité d’un régime. La comprendre, et la vider de son support (par la transparence des élections), permettrait un réel apaisement des tensions entre les populations.

Le second facteur, majeur pour nous, serait la limitation des compétences confiées aux hommes de l’État, des fonctionnaires aux hauts responsables politiques. En rendant aux populations ce qui, jusqu’alors, était affaire de représentants élus, la Côte d’Ivoire se doterait d’un formidable laboratoire où verraient le jour les innovations nécessaires à son développement puis à son rayonnement. Grand pays, elle verrait naître une industrie nouvelle, séparée de la corruption, éloignée des lobbies et des puissances étrangères ; elle porterait, en son sein si fécond, les germes de sa propre victoire sur son passé et l’affirmation de sa possibilité tant d’asseoir la légitimité de chacun de ses enfants que de les laisser vivre en adultes responsables. D’un presque enfant dont on tiendrait la main pour lui éviter de chuter, le pays serait un adulte libre et indépendant, ne tendant plus les bras aux aides étrangères mais rendant à ses citoyens le soin de s’élever, de s’enrichir, d’innover par eux et pour eux. En limitant les contraintes étatiques, en reprenant aux hommes de l’État les secteurs dont ils ne devraient pas s’occuper, et où le politique le plus souvent est un mal bien pire que les maux contre lesquels il prétend lutter, les populations, la société civile, pourraient s’affranchir d’un frein à leur développement.

Les minorités ne seraient plus composées d’individus vaincus par une majorité dominatrice, mais un groupe plus restreint d’opinions, tout aussi valables que celles qui dominent. Par un tel système, où le Politique laisserait à la société civile les responsabilités de droit naturel qui sont en chacun de ses membres, s’il rendait aux individus leur souveraineté capturée par un instrument de coercition (l’État, dont nous venons de démontrer qu’il n’est qu’une conséquence hélas nécessaire de la vie en société) les populations cesseraient d’être séparées en deux camps pour s’affirmer dans leurs identités respectives comme autant de courants qui, par l’échange et la diversité, assureraient la naissance et le développement de la liberté de tous. Qui peut décider de la vie et de la mort de son semblable ? Qui peut imposer une privation de liberté au nom d’un modèle politique ? Qui peut violer le second droit le plus sacré après la liberté, à savoir le droit de propriété ? Personne car ces droits sont de droit naturel, inscrit en l’Homme dès son origine et doivent donc rester inviolables par le pouvoir quel qu’il soit. Les droits de l’homme, parce que naturels, sont en effet  antérieurs et supérieurs à tout pouvoir politique, qui ne saurait en aucun cas les remettre en cause.

L’état de liberté relative (mais acceptable par un juste dosage des contraintes imposées par un État minimal, ramené à ses prérogatives impératives), engendré tant par la limitation des contraintes étatiques (liberté collective) que par un état intellectuel individuel (propre à chacun en son for intérieur ; il faut laisser au temps le soin de « former » les populations à la liberté), permettrait aussi de garantir une paix relative, sans l’intervention d’autres moyens de contrôles que les membres de la société civile et quelques institutions acceptées comme vraiment représentatives. Des individus, rendus à leur état de liberté spontanée, avec peu de contraintes (si ce n’est le respect de l’autre) et sans l’attente perpétuelle d’une sanction (punition légale) ou d’une récompense (distinction publique décernée aux serviteurs volontaires de l’État) s’autoréguleraient, la catallaxie assurant une transposition immédiate de la violence individuelle dans des rituels collectifs visant à souder les êtres les uns avec les autres autour d’un intérêt commun spontané. Et de ne pas oublier, avec Jean Bodin, qu’il n’est de richesse que d’hommes ; se priver de certains d’entre eux, au prétexte qu’ils ne sont pas du bon coté politique, appauvrirait tout le pays.

Article publié en collaboration avec Audace Institut Afrique: http://www.audace-afrique.net

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(*) Nicolas Madelénat di Florio est philosophe, chercheur-associé au Centre de Recherches en Éthique Économique, Faculté de Droit et de Science Politique d’Aix-en-Provence, analyste d’Audace Institut Afrique.

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