“C’est une crise particulière, c’est une crise financière” E. Cohen le 12 août 2011 sur France Inter
Incarnant parfaitement la crise, E. Cohen, économiste, membre du conseil d’analyses économiques, est en rotation permanente dans les grands médias depuis que les marchés frôlent l’apoplexie. La France manifestement ne dispose d’aucun autre économiste, expert, penseur, pour analyser l’emballement qui touche la sphère financière. Il n’y a pas de hasard dans l’omniprésence d’E. Cohen sur les plateaux. Il fait figure de didacticiel en économie financière. Mais en pratique, il n’explique rien, survole les causes tout en traçant la voie de la rédemption du système d’accumulation en écho aux gouvernements. Il tente, tout en les critiquant pour leurs impérities, car lui est un scientifique, de préparer le terrain aux réformes. Il est le héraut de l’austérité dictée par le messie marché. Avant de raser le péquin, E. Cohen l’onctueux, explique le monde, à la fois péremptoire et jovial.
Invité dans l’émission du service public “C dans l’air” le 11 août 2011, E. Cohen affirme que les marchés n’ont rien à voir avec l’explosion de la dette publique qui frappe les pays occidentaux. Thématique orthodoxe, présentant les bourses, les spéculateurs, les marchés comme des agents informatifs qui alertent sur les incuries dans l’économie réelle, et mettant en lumière la bonne gestion. Sans nocivité, d’une neutralité absolue, ils n’auraient donc aucun impact sur l’économie, la vie, le chômage, les plans sociaux, la course au profit, le réflexe spéculatif. Les marchés sont là, depuis la nuit des temps et la spéculation serait “un phénomène naturel” expliquera-t-il sur France Inter le 12 août 2011. La mission de cet expert, bien aidé en cela par le faire-valoir, grand adepte du “monde qui s’accélère”(une expression qu’il peut repeter quatre fois au sein du même monologue) P. Dessertine qui osera un “les marchés attendent un signal politique”, consiste à banaliser les crises financières et dédramatiser le chaos. Comme “insiders”, ils jargonnent juste en deçà de la limite du compréhensible pour faire entendre qu’il est irrationnel de prétendre à l’irrationalité des marchés financiers. Bonnes gens dormez tranquille.
E. Cohen a manifestement un problème avec la notion de causalité. Affirmer que la sphère financière n’influe pas sur les comptes publics revient à nier toutes les interactions du monde économique, des effets en cascades, induits, indirects, et psychologiques. Notions primaires abordées durant l’année de terminale ES (série économique et sociale), et bien explicitées lors des deux premières années de Sciences économiques. Assommer le citoyen de phrases lénifiantes, en oubliant les rudiments de la matière tient lieu de pédagogie dans les médias dominants. E. Cohen feint d’oublier les restructurations d’entreprises pour motifs boursiers (souvent mises en place par des établissements bénéficiant d’avantages fiscaux). Mais aussi les plans “sociaux” épongés par les deniers publics. Peccadilles que le grand économiste passe par pertes et profits. Il omet les effets psychologiques dévastateurs sur le corps social dans l’impérative compétitivité qui n’a d’autre ressort bien souvent que le rendement des actions. Des effets dévastateurs qui ont un cout social, supporté par l’État. Car toute son énergie se focalise sur la réhabilitation de la finance. Et il en dépense.
Au milieu de la récitation des ouvrages d’ingénierie financière du maitre de conférence, on décèle quelques approximations. Tout en déclarant que la “spéculation est un phénomène naturel”, il expliquera narquois à l’adresse des contempteurs du système, trois phrases plus tard, que « la financiarisation c’est nous qui l’avons voulue ». Pour l’expert, il s’avère urgent de trancher entre l’immanent et le sollicité, l’imparable et le choisi. Il en va de la survie de la notion même de Politique et de choix de société. Il en va aussi de sa cohérence intellectuelle. E. Cohen, chercheur au CNRS, dégaine des réponses à géométrie variable, dans la lignée des fast-thinkers dont s’amusait P. Bourdieu. Il ne s’attache pas à éclairer le citoyen en toute neutralité, mais à lui inculquer sommairement l’idéologie de marché tel un vulgaire chargé de communication.
Critiquer les actions du gouvernement en matière de finances publiques tout en concluant sur d’identiques préceptes d’austérité permet de squatter les plateaux, de parfaire sa surface médiatique. Dans cet univers paresseux sans remise en cause, sans droit de suite. E. Cohen y élucubre depuis vingt ans la financiarisation heureuse. Cesser de l’inviter serait reconnaître le fourvoiement. Alors, on convie ad libitum le jovial pédagogue bardé de diplômes et bouffi d’assertions. Dont l’une d’elles est la certitude d’être de centre-gauche…
Vogelsong – 12 août 2011 – Paris