C’est une longue, très longue disette. Je suis inexorablement aspiré vers le bas. Je marche dans la direction qui me semble la bonne, vers l’oasis, vers l’espoir. Mais la verdure disparaît progressivement. Le paysage même se raréfie. Je tranche mes chairs sur les lames de petites ronces minables, je taillade la plante de mes pieds aux arêtes ordinaires de pierres hideuses aux formes grimaçantes. Mais je m’obstine. Je n’ai plus la force d’avancer dans la sérénité. Je me fouette à l’aurore pour pousser mon lourd fardeau encore. Je hisse le premier sac sur mes épaules et mon dos se rompt. Un coup de poignard déchire mes côtes chaque fois. Mais je me penche pour ramasser le second, que j’arrime contre mon ventre. Il reste la petite valise rouge. Je fléchis les genoux en tremblant. J’écarte la sangle de la caisse pour y glisser la main. Parfois j’y casse un ongle. Je dois ensuite me décharner le bout du doigt pour jouer. Ça saigne. En oui. Preuve de vie. Je songe aux textes, aux accords, je ne revisite mes mains que le soir, après que tout soit terminé. Parfois je rentre à la maison avec trois pauvres sous. D’autres fois, il y a de quoi faire banquet. D’abord il faut assurer la pérennité des moyens de subsistance. Il faut de nouvelles cordes, chaque semaine au minimum. Il a fallu réparer le jack de la sèche et le ressort du trémolo de l’électrique. Ensuite, priorité minous. Là, en jouant cinq fois la semaine dernière, je crois avoir assuré leur nourriture jusqu’au départ du dernier loustic. Avec un peu de chance vers le début septembre. Puis, tous les deux jours, à cinq, ils me bourrent la litière au-delà de toute gestion. Alors je pars dans un sens avec la gratte et je reviens dans l’autre avec des sacs de sable. On dirait que je me construis un bunker.
Où est le vélo ? Où sont les marches dans la mer des rochers ? Où sont les bisous, les caresses ? Que du sable, de part et d’autre et derrière et devant. J’ai sur moi des canettes de bières et un autre roman d’Hamsun. Se sont mes armes contre l’ensevelissement. Sans repères, ou presque, j’enfonce un talon devant l’autre dans la croûte brûlante des sels accumulés. L’étonnement premier a fait place à une résolution de scout, pour céder enfin la place à une résignation, à une obstination, à un lent abandon au rythme. Gauche, droite, gauche, droite, j’avance. Sans doute qu’un de ces soirs, l’horizon bouillant et dénudé me montrera enfin une petite touffe d’émeraude, le reflet lointain d’une fontaine insoupçonnée, d’une source qui se dépense sans but et parsème d’arc-en-ciels les vaisseaux étoilés de la nouvelle lune. Sans doute. Je n’ai plus le choix, désormais. Ce sont mes propres jambes qui me tireront de ce mauvais pas et la bonne étoile, si elle le veut bien, me mènera hors de cette vallée morbide. © Éric McComber