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Erik Izraelewicz L' arrogance Chinoise 7 / 10

Par Florent

En commençant ce livre prêté par un de mes frères (merci R ;-) j’étais sûr de m’ennuyer au mieux, de bougonner au pire. Je pensais trouver un pamphlet dans le grand style de Libé, une construction journalistique d’une médaille avec son endroit (les beaux chiffres de la réussite chinoise) et son envers (les injustices, les mensonges, les embrouilles), un crédo universaliste enfin.

Certes le livre est émaillé de quelques erreurs, parfois linguistiques (l’agence Dagong écrite Datong) mais surtout géographiques (Yabulin au centre du pays par exemple, ou bien Shanghai présentée comme une ville du sud de la Chine). On trouve aussi quelques partis pris : l’exposé de l’affaire Danone page 52 fait la part belle au groupe français, en résumant le dossier à la simple non-application par le groupe chinois Wahaha de clauses contractuelles signées avec son partenaire Danone. Pour ce que j’en connais, l’affaire est moins simple que cela.

Mais ce billet ne se concentrera pas, au grand soulagement de son auteur, sur ces erreurs.

Car le livre est avant tout descriptif ; il évoque une réalité qui globalement m’a semblé fidèle à ce que je connais de la Chine. Il fait peu ressortir de sinophobie, sauf peut être quand l’auteur parle de la Chine comme d’une bête à dompter. L’auteur critique dans sa conclusion les cassandres qui prévoient (ou même appellent de leurs voeux) la chute de la Chine. Il pose une question que je me pose souvent :

Comment peut on, sur le plan éthique et moral, espérer la fin de l’expansion dans l’un des grands pays en développement ?

A partir de la page 75, le passage sur les autorités de notations (que ce soit pour le classement universitaire de Shanghai ou bien pour le classement des pays selon leur solvabilité) m’a beaucoup intéressé. L’agence Dagong a abaissé la note des états unis de AA à A+ fin 2010, plus de six mois avant que les agences occidentales s’y résignent.

Autour de la page 150 la description des efforts technologiques et scientifiques est également riche. De nombreux chercheurs ou fonds d’investissements parient sur l’innovation chinoise. Pour le fonds Sequoia, “l’Apple de demain sera chinois”.

On lit page 190 une réflexion sur le partage des rémunérations entre capital et travail qui m’a interpellé mais un peu laissé sur ma faim. L’état chinois aurait délibérément, pour la bonne cause de la “révolution industrielle”, rémunéré le grand capital aux dépends des ménages, ce qui aurait “asséché le porte monnaie des familles chinoises qui n’ont pu consommer comme elles l’auraient peut être souhaité”.

Une objection et des questions sur ce passage :

  • Pour ce que j’en vois, les familles chinoises n’ont pas vu leurs finances “s’assécher” depuis une génération. Le terme n’est pas le bon.

  • A quoi l’auteur fait il référence quand il parle du “grand capital” ? Ce n’est sans doute pas aux banques ni au capitalisme d’état. Peut être aux entrepreneurs privés? Une description de ce grand capital aurait été intéressante.

  • Pourquoi supposer que les familles auraient “peut être souhaité” consommer plus ? Le taux d’épargne chinois est très élevé. Il y a des facteurs culturels et sociaux à la relativement faible consommation chinoise, ce n’est pas simplement je crois le simple fait d’une politique hyper capitaliste.

Un chiffre intéressant page 199 : la Chine compte aujourd’hui 220 villes de plus d’un million d’habitants, contre 35 en Europe.

C’est seulement dans les dernières pages du livre (« l’illibéralisme en questions »)que l’auteur se permet un peu de subjectivité, en posant plusieurs mutations nécessaires de la société et du système politique chinois. Il pose quelques convictions que j’aimerais questionner.

  1. La Chine qui connaît la révolution industrielle avec un siècle de retard doit voir émerger des contre-pouvoirs (Syndicats, associations de consommateurs etc). “Le marché c’est le choc des intérêts et des idées”. Pourquoi employer ce mot de choc ? Ne peut on pas parler de rencontre ou de compromis plutôt ? Il y a la je crois un biais, un présupposé reposant sur une vision bien grecque (le débat confrontationnel aboutissant à la vérité). Je ne nie pas l’émergence de contre-pouvoirs (on l’observe tous les jours sur toutes sortes de questions), je questionne juste le bien fondé politique de cette émergence dans le contexte chinois, plus marqué par le rite que par le droit.

  2. La source de l’innovation, c’est selon l’auteur « un état d’esprit, une culture, individualiste et libertaire ». On lit plus loin que « le développement des services passe lui aussi par un changement de culture ». Je ne suis pas convaincu par ce postulat. La culture du service est loin d’être atrophiée en Chine. La médecine chinoise s’est construite sans Pasteur et sans Marie Curie. En Inde beaucoup d’innovations (vers du low cost par exemple) ont lieu en ce moment sans être le fruit d’individus comme Henry Ford ou Bill Gates. Ce sont plutôt des œuvres collectives innovantes LINKKKKKK MC KINSEY. Bref, l’individualisme ne me semble pas constituer un prérequis de l’innovation, même s’il l’a été pour la société américaine par exemple.

  3. Il ne peut y avoir découplage entre la libéralisation économique et la libéralisation politique. Le postulat m’attire mais la démonstration ne me convainc pas. C’est une question très profonde je crois, la question de la légitimité du pouvoir et de son mandat. Je rumine régulièrement cette question sans toutefois aboutir à la conclusion de l’auteur.

La conclusion du livre reste très juste et intéressante à mes yeux, avec une analyse des générations au pouvoir et la description d’enjeux forts pour le pays Chine et pour la communauté internationale.

Ce livre montre bien je crois le passage de beaucoup de chinois à une position moins modeste que du temps de Deng Xiaoping, position empreinte de nationalisme et justifiée par la réussite des dernières décennies, mais position dangereuse si elle n’est pas modérée par l’écoute et l’observation, et si elle est mal reçue par les interlocuteurs des élites chinoises. M Izraelewicz appelle à étudier la Chine, à la comprendre pour mieux composer avec son émergence.


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