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Surprise dans le champ stratégique (suite : 4/5))

Publié le 17 août 2011 par Egea

Voici l'avant-dernier billet sur la surprise stratégique (précédent ici).... Où l'on parle de surprise et renseignement, et de surprise et inconnu.

Surprise dans le champ stratégique (suite : 4/5))

Surprise et renseignement.

Une des réponses classiques à la surprise consiste à vouloir la prévenir par de meilleures capacités d’anticipation, donc de renseignement : ce n’est pas inutile, mais c’est aussi tomber dans l’illusion qu’on a été surpris parce qu’on n’a pas eu préalablement l’information pertinente. Or, trop souvent, la question du renseignement est pensée sous l’angle de la déficience des sources (humaines, technologiques, …), jamais sous l’angle des destinataires du renseignement.

On considère la plupart du temps le renseignement sous son aspect tactique, et très opératoire : qu’il soit directement tourné vers les opérations (Direction du Renseignement Militaire, deuxièmes bureaux d’état-major) ou vers des affaires d’espionnage ou de contre-espionnage. Se pose pourtant la question du renseignement de niveau stratégique, qui serait défaillant. Mais nous avons remarqué qu’on n’a pas vu en son temps les « signaux faibles », ni les données structurantes (démographiques, économiques et sociologiques) des révolutions arabes. Ainsi, l’échec du « renseignement » stratégique ne tient probablement pas à un accès déficient à des informations : celui qui voulait voir aurait vu, même en sources ouvertes. Non, la déficience tient au filtre qui a empêché de voir. Et ce filtre, en l’espèce, est idéologique avec l’obsession de la menace islamiste dans le cas arabe (ou du poids du lobby industriel nucléaire dans le cas de Fukushima).

Il ne s’agit pas de nier cette menace en bloc : juste de montrer que le renseignement (une information confirmée, analysée et mise en perspective) d’une part n’arrive pas forcément à appréhender la complexité d’une situation, d’autre part à parvenir à l’intelligence du décideur, si celui ne veut pas voir. On pense souvent au biais humain de la source du renseignement : on évoque rarement le biais humain du récepteur final. Ainsi donc, l’anticipation doit aussi heurter les convictions des dirigeants : car très souvent, ils sont surpris parce qu’ils étaient enfermés dans un système de croyances qui les a empêché de penser l’altérité. Ceci devrait donc relativiser la recommandation habituelle de l’anticipation : non que celle-ci soit inutile, mais elle s’inscrit dans un cadre mental fixe, et ne voit pas que la surprise cherche justement à échapper à ce cadre mental.

Surprise et inconnu.

Il faut ici revenir à Donald Rumsfeld, l’inénarrable secrétaire américain à la défense, qui produisit un jour, en conférence de presse, devant des journalistes forcément « surpris », sa théorie des « Knowns and unknowns ». « Il y a des « inconnus connus », c'est-à-dire, qu'il y a des choses que nous savons que nous ne savons pas. Mais il y a aussi des « inconnus inconnus », des choses que nous ne savons pas que nous savons pas ».

Que sont les inconnus connus ? Ceux qui appartiennent au prévisible, et dont nous avons déjà parlé : révoltes arabes, islamisme, tsunami, crise financière étaient prévisibles. Au fond, ils ne constituent pas des surprises.

Dans le cas de l’inconnu inconnu, nous montons d’un degré dans l’incertitude, c’est une incertitude au carré. La seule certitude est en fait celle de l'incertitude. Dans ces cas-là, on ne peut accuser le déficit d’intelligence, ni celui de prévision. On évolue alors dans « cette partie de l’environnement stratégique que l’on ne peut circonscrire précisément mais dont l’existence est indispensable pour que les événements que nous observons puissent se produire ».

Ici, je crois que l’image de « la goutte d’eau qui fait déborder le vase » est une illustration qui rend mal compte de la réalité. En effet, dans la réalité, une goutte d’eau en excès ne provoque que le débordement du surplus, mais le système reste équilibré : seul l’excédent de liquide passe par-dessus bord, le vase continue de remplir son office après le débordement et contient toujours la quantité définie d’eau. Dans le cadre des « inconnus inconnus », à bien y penser, la goutte d’eau ne fait pas seulement déborder le vase : elle rompt le barrage et l’ensemble se répand dans la vallée, constituant une catastrophe irrémédiable, et conduisant vers un nouvel état stable . En ce sens, un micro événement provoque une rupture systémique, qui est donc stratégique. L’observation des signaux faibles est donc illusoire.

O. Kempf


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