Cette morosité ambiante, qui s’est engouffrée en France en même que l’hiver, aura finalement tout emporté sur son passage. Là où il y avait du suspense (Paris, Lyon, Lille) il n’y en a plus. Les luttes intestines dans les grandes formations politiques se font au grand jour et bien souvent à la hache, les parachutages se passent assez mal, quand ce n’est pas, dans certaines villes, des gestions municipales qui se révèlent plus qu’inquiétantes.
Certes, on devrait se réjouir de cette mise en lumière de la politique de nos édiles. Il est cependant dommage que ce coup de projecteur ne soit effectué que tous les 6 ans. Cette élection devrait être la plus importante pour les Français. Elle concerne, après tout, leur vie de tous les jours. Les électeurs attendaient donc une bouffée d’air frais et du renouveau politique.
Au lieu de ça, ils ne voient que des règlements de compte à l’ancienne, des dauphins promis à la fonction suprême que l’on balaye d’un revers de la main, des supers retraités s’accrochant à vie à leur fauteuil de maire, de basses chamailleries jusqu’à de ridicules vaudevilles. La principale conséquence de ces pénibles querelles de personne est d’occulter le débat d’idées et de faire passer le programme électoral pour une blague de Cauet. Bref, pas de quoi rassasier le désir de démocratie des Français.
Faisons tout de même un tour d’horizon.
A tout seigneur tout honneur, voyons un peu ce qui se passe dans la capitale. Là où on attendait un petit suspense, la classe politique dans son ensemble parie plutôt sur une grosse claque. Le maire sortant semble véritablement intouchable. Intouchable au point de refuser le débat face à ses adversaires sur RTL et suffisamment costaud pour, en plus de sa campagne, venir soutenir les candidats du Nord -Pas de Calais (tout en concentrant ses attaques sur le candidat UMP de Tourcoing, là où se jouera vraisemblablement l’avenir politique de la Communauté Urbaine ! )
La seule interrogation qui subsiste encore, semble être le score de Bertrand Delanoë. Sera-t-il tout juste suffisant ? large ? énorme ou carrément monstrueux ?. Sa principale opposante est restée à quai, prisonnière d’un programme étriqué et d’une tonalité franchement passéiste. Le glas a d’ailleurs sonné pour Françoise de Panafieu la semaine dernière lorsqu’elle s’est mise à qualifier Delanoë de « tocard » sur Canal + . (sans doute sur les conseils de Nadine Moreno et Patrick Devedjan).
Alors, comment en est-on arrivé là ? Il semblerait, que la candidate UMP ait cumulé deux gros handicaps.
Comme beaucoup, Françoise de Panafieu s’est engouffrée dans la dynamique de l’après-présidentielle, en reprenant les propos du grand vainqueur. En juin 2007, le nouveau président de la République nous avait gratifié d’un discours vague et creux sur la région Ile de France, dont seuls ses conseillers les plus proches ont le secret. On y parlait notamment de « créer une nouvelle dynamique au service d’une vision coordonnée de l’organisation urbaine » et l’on fustigeait « la rigidité des structures qui met en cause l’unité ». Derrière ce verbiage était surtout affichée la volonté du chef de l’Etat d’imposer son idée de « communauté urbaine » à Paris. Avait-il le pressentiment que la ville de Paris ne serait pas prête d’être gagnée par la Droite ? Françoise de Panafieu n’avait pas hésité une seconde à reprendre à son compte ce concept flou dans la presse un mois plus tard. Cependant, voyant son adversaire de Gauche largement en tête dans les sondages dès septembre 2007, la candidate désignée de l’UMP avait demandé à être reçue par le président de la République. Suivisme aveugle, demande d’adoubement au sommet de l’Etat, attaques inadéquates et caricaturales sur le bilan de Delanoë… autant de signes qui sont apparus comme des aveux de faiblesse.
Ajouté à cela un manque total de vision dans le domaine environnemental (avant de penser à « agrandir la capitale » il faudrait déjà essayer de la rendre plus vivable !) et un soutien sans faille aux projets autoroutiers (comme dans ces chères années 70), et l’on comprend aisément pourquoi la Droite parisienne se retrouve actuellement dans cette situation. Des propositions du passé, des comportements d’un autre temps face à un bilan discutable, certes, mais un bilan quand même.
Ensuite, à l’instar de Ségolène Royal, il semblerait que les éléphants du parti n’aient guère apprécié qu’elle ait été choisie pour reprendre Paris à la Gauche (on peut parier, qu’à l’avenir, les grandes formations politiques vont de moins en moins goûter aux primaires !). Car on ne pas dire que les piliers de l’UMP aient vraiment soutenu et rendu service à Françoise de Panafieu. Pierre Lellouch ne décolère pas depuis que François Lebel marche sur ses plates-bandes dans le 8ème arrondissement. Il faut dire que ce dernier a eu une révélation divine en célébrant le mariage présidentiel, le 2 février dernier. Dans cette petite guéguerre dans les quartiers huppés de la capitale, c’est une partie de la liste UMP dans le 16ème arrondissement (Bernard Debré, Philippe Dominati…) qui a pris fait et cause pour le nouveau troublion François Lebel. De son côté, Claude Goasguen, la tête de liste du 16ème ne cesse de prendre pour cible son ancien camarade Lellouch et sans attendre les résultats des élections, nous promet d’ores et déjà « du chambard après les Municipales ». Le Figaro a beau jeu de rappeler que c’est la zizanie à droite entre Seguin et Tiberi qui a amené Bertrand Delanoë à la mairie de Paris en 2001, jamais les lambris haussmanniens n’ont autant tremblé entre la place de la Concorde et l’avenue Foch. Il faut dire qu’il reste malgré tout un enjeu, à droite : devenir le chef de l’opposition face à la majorité de Gauche annoncée. A l’UMP, on se dispute désormais pour la fonction de Chef des Vaincus. En 9 mois, on peut dire que les choses ont bien changé !
Nous retrouvons une ambiance tout aussi délétère dans le Vème arrondissement, fief de l’inoxydable Jean Tiberi. Lequel poursuivi pour manœuvre frauduleuse lors des Législatives de 1997 vient d’apprendre son renvoi en Correctionnelle… son adversaire du PS (pour la quatrième fois consécutive) Lynn Cohen-Solal a vu son non-lieu dans l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Lille cassé, l’été dernier. Tout cela ressemble à un détestable PSG-OM (que des journalistes au Q.I d’encornet continuent d’appeler le « classico ») avec ses petites phrases, ses accusations ras de pâquerettes et ses intimidations de vestiaires. Le candidat du MoDem, le chroniqueur Philippe Meyer a fait le bon choix de venir dans cet arrondissement : il a de la matière pour les vingt prochaines années. En attendant, on espère qu’il apportera un peu de sang neuf au cœur de cette bagarre préhistorique.
Il se peut que les chiffres de la Droite parisienne ne soient pas aussi catastrophiques qu’annoncés mais c’est tout de même la première fois que l’UMP apparaît autant désorganisée et divisée. On ne compte plus les listes dissidentes, celle de « Paris libre » et les autres. De leur côté, les parachutés font pâle figure. Cavada paraît amorphe dans le XIIéme arrondissement, Rachida Dati, très empruntée, avance sur la pointe de ses escarpins Dior dans le VIIème, tandis que Rama Yade préfère endosser dès à présent le costume de victime expiatoire.
Pour sa part, la Gauche avance groupée et sereine, attendant que son champion soit porté en triomphe par Line Renaud. La Gauche parisienne n’aura finalement connu qu’un seul écueil : la disparition de sa pasionaria apparentée PC, Clémentine Autain. L’adjointe à la Jeunesse de Bertrand Delanoë s’est sans doute crue indispensable suite à ses prestations télévisées sur Direct 8. Elle avait donc sérieusement envisagé que son émancipation politique se fasse à Montreuil (93) sur la liste du maire sortant. Mais Jean-Pierre Brard, élu depuis 1984, ne l’entendit pas de cette oreille et s’est fait une joie de renvoyer l’opportuniste dans les cordes. Peut-être que Dominique Voynet, candidate à Montreuil et toujours attentive aux grandes catastrophes, aura la bonté de faire un geste en direction de la malheureuse, désormais privée de tremplin médiatique.
Ce qui est sûr, c’est que si la Droite continue à se faire hara-kiri, la victoire du candidat PS sera écrasante. Ce qui n’est pas forcément de bon augure pour Paris. Les Verts, qui ont déjà du mal à peser sur les immenses enjeux environnementaux dans la capitale, s’en trouveraient affaiblis et leur rôle réduit à de la figuration, comme cela se passe dans d’autres villes de France. Le MoDem, néophyte, parie sur une implantation à long terme. Marielle de Sarnez pourra peut-être, un jour, représenter l’opposition et l’espoir d’un changement. Elle a une certaine aura, se montre inventive et combative, sans être agressive. C’est vraisemblablement ce qui a manqué à la candidate UMP. Espérons que la numéro 2 du MoDem garde cette fraîcheur et surtout son indépendance. Elle aura au moins marqué un point important en déclarant récemment : « Mais, si faire une campagne, ce n’est pas aussi rêver, imaginer la ville de demain ou d’après-demain, alors on ne fait pas le job ». On ne peut pas dire, effectivement, que les deux grandes formations politiques au pouvoir depuis 30 ans fassent encore rêver grand monde. En particulier lorsqu’elles nous montrent leur vrai visage.