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C. Desmet - La crise financière: un prétexte au retour de l'état ?

Publié le 21 juillet 2011 par Objectifliberte
Charles De Smet, collaborateur scientifique de l'Institut Hayek, applique les principaux enseignements de F.A. Hayek relatifs à la nécessité de l'état de Droit, au diagnostic et à l'ébauche de propositions trèès concrètes visant à empêcher de telles crises de se reproduire. 
"C'est dans un environnement où la place de l'Etat est réduite à l'essentiel, c'est à dire la construction d'un édifice institutionnel et légal solide, prévisible, et absolument impartial, que l'individu et l'entreprise peuvent réaliser le maximum de leur potentiel. C'est au vu de cette position, défendue par Hayek dans "The Constitution of Liberty", déjà cité, qu'il nous faut juger des mérites, mais surtout des périls, des interventions des états dans la crise actuelle."

(initialement publié par l'institut Hayek)
La crise financière: un prétexte au retour de l'état? Charles DeSmet - octobre 2008 
Le sujet alimente toutes les discussions et occupe tous les esprits. Il exacerbe les différences entre les partisans d'un tout-à-l'état et ceux d'un retour au chaos originel. Dans la tourmente, l'Institut Hayek tente de garder raison, et continue à défendre l'une des thèses fondamentales de l'économiste dont il se réclame, à savoir que la liberté a besoin de règles. Les adversaires du libéralisme qui n'ont d'autres arguments que de prétendre que la liberté, c'est l'abolition de toutes les règles, feraient mieux de relire - ou de lire enfin - Hayek, qui a toujours écrit exactement le contraire: la liberté ne peut s'épanouir que dans un état de droit (1)
Mais l'état de droit, ce sont des règles connues d'avance, c'est-à-dire exactement le contraire des interventions ad hoc des gouvernements auxquelles nous sommes confrontés dans la crise actuelle. Ce sont précisément ces actions au cas par cas qui détruisent l'état de droit, et font craindre une nouvelle progression de la tyrannie de l'état.
L'alibi du moment pour cette progression, c'est bien entendu la crise financière - ou plutôt la crise dans certaines institutions financières. Indubitablement, une réforme est nécessaire, ne serait-ce que pour corriger les erreurs passées des gouvernements et le laisser-aller des institutions publiques chargées de faire respecter les règles. Le président de l'Institut a déjà évoqué quelques pistes à suivre (2), et le présent article n'a d'autre but que d'essayer de présenter des arguments complémentaires, passant de la menace la plus immédiate à un niveau plus général. Dans cet ordre, les sujets évoqueront donc, successivement,
1) la crise américaine du crédit immobilier;
2) la rémunération des intermédiaires dans le négoce des produits financiers;
3) l'évaluation des risques par des agences de notation;
4) la garantie des dépôts;
5) la gestion des banques;
6) la création monétaire;
Aucun raisonnement ne peut être cohérent, ni aucune solution efficace, à moins de rejeter à la fois le raisonnement des anti-capitalistes qui donne à l'état toutes les vertus et au secteur privé tous les vices, et le raisonnement libertarien, qui fait exactement l'inverse.
En fait, il faut partir du postulat que toute institution, qu'elle soit administration publique, entreprise privée ou simple individu, cherche à maximiser ses avantages et ses profits, même si cette maximisation se fait au détriment d'autres agents économiques. Dans ce combat, l'information est souvent utilisée comme une arme par ceux qui la détiennent, la dissimulent, ou la tronquent (3). Les libertariens prétendent que seule l'entreprise privée est honnête, ce qui est faux; les collectivistes donnent à l'état toutes les vertus, ce qui est tout aussi faux. A moins d'admettre ces deux évidences, il est impossible, à mon sens, d'ébaucher un système dans lequel les deux protagonistes puissent se contrôler mutuellement.
1) Les subprimes américains
Dans l'un des articles disponibles sur le site de l'Institut, notre président avait évoqué l'hypocrisie et la perversité d'un système qui contraignait les banques américaines à consacrer une partie de leur portefeuille à des crédits aux segments "défavorisés" de la population (4). J'avais pour ma part, dans un autre article, dénoncé la segmentation et la titrisation de ces prêts, qui disséminait les risques au point de les dissimuler et diluait les responsabilités jusqu'à donner l'illusion qu'elles avaient disparu.
Si cette "titrisation" avait consisté à céder définitivement des créances hypothécaires à des fonds de placements qui disposaient de ressources de termes équivalents, la crise actuelle n'eût pas existé. Mais trois mécanismes, dont la sophistication accrue par l'utilisation de "derivatives" ne parvient pas à dissimuler le danger, ont provoqué l'effondrement du château de cartes:
a)    tous les produits dérivés impliquent une évaluation des probabilités, et supposent que ce qui n'a qu'une chance minime de se réaliser (par exemple 0,1%) ne se passera pas, et que donc, dans la majorité des cas (par exemple 99,9%), des profits peuvent être engrangés. Pour accroître le marché potentiel, il suffisait de sous-estimer le risque, ou de "saucissonner" les portefeuilles, en prétendant que, pour la majorité des tranches, le risque n'existait plus.
b)    les banques à l'origine des prêts s'étaient souvent engagées à reprendre les prêts "titrisés" à leurs acheteurs, sur simple demande de ceux-ci: ces banques conservaient donc un risque majeur de liquidité, et même de solvabilité, qui n'apparaissaient pas dans leurs bilans;
c)    les acheteurs de prêts titrisés n'avaient bien souvent pas eux-mêmes les ressources de durée équivalente aux prêts, et misaient donc sur la possibilité de refinancement à court terme, ou émettaient d'autres produits dérivés qui ne pouvaient bien entendu complètement éliminer le risque d'un tarissement du marché.
A ces trois déficiences se sont ajoutées bien entendu les deux caractéristiques plus classiques d'une "bulle" spéculative, à savoir la conviction grégaire des prêteurs et des emprunteurs que la valeur des avoirs continuerait à augmenter sans fin et à un taux de croissance supérieure à celui du revenu global, et le retournement, tout aussi grégaire, qui voit une fuite éperdue vers les sorties de secours.
Pour ce qui concerne plus précisément les Etats-Unis, la construction institutionnelle servant à refinancer les prêts hypothécaires par des institutions hybrides (publiques/privées) telles que Freddie Mac et Fannie Mae était dénoncée depuis fort longtemps. Sans être des institutions publiques, elles étaient "sponsorisées" par le gouvernement, tout en refinançant, en fin de parcours, 80% des prêts hypothécaires. Ces "chimères", au sens propre du terme, ne servaient que des objectifs politiques, tout en prétendant servir l'intérêt général.
2) Bonus, parachutes, et commissions
Les dérives du système sont connues depuis longtemps, et auraient pu être aisément corrigées par des réglementations de simple bon sens. Les législateurs ont failli lamentablement dans leur rôle de rappeler et de préciser, si nécessaire, les règles de l'état de droit applicables à tous. Il existe deux catégories, et deux catégories seulement, de décisionnaires dans une entreprise, et qui doivent être rémunérés - ou pénalisés - de deux manières bien distinctes, et incompatibles: l'actionnaire, rémunéré par ses dividendes ou pénalisé par la perte de son capital, et le salarié, rémunéré par ses appointements ou pénalisé par son licenciement. Bien entendu, un salarié peut aussi posséder des actions, et participer ainsi aux bénéfices (et aux risques) de l'entreprise.
Mais une catégorie nouvelle, ni actionnaire ni salarié, tout en prétendant être les deux à la fois, en est venu à réclamer une part des bénéfices sans être actionnaire, mais aussi un salaire sans être véritablement un employé. C'est la naissance des stock-options, des parachutes dorés et autres formes de rétribution parfois sans rapport avec les performances et certainement sans relation avec l'investissement financier personnel.
Puisque les promoteurs du collectivisme ont dénoncé ces formes de paiement inaccessibles aux travailleurs (mais tout autant, ces anti-capitalistes omettent de le dire, aux actionnaires), et l'ont qualifié de dérive du libre marché, il faut rappeler que c'est "en poursuivant des intérêts propres", des "mobiles différents", "des projets divergents" que l'on maximise les chances de chacun (5). Créer un hybride mi-chair, mi-poisson, qui n'est plus ni salarié, ni actionnaire tout en prétendant être l'un et l'autre confond et mélange les intérêts.
Est-il nécessaire de rappeler que l'explosion de ces modes de rémunération est due, presque exclusivement, au traitement fiscal qui leur est appliqué ? Réclamer à cor et à cri la fin de dérives que l'on a soi-même contribué à faire naître relève quelque peu de l'hypocrisie.
Même si l'on accepte qu'un dirigeant de société soit rétribué pour avoir réalisé des performances remarquables, il faut que les mesures utilisées soient limitées à la croissance interne des activités. Il est donc inadmissible que soient récompensés, notamment:
a) des "croissances" de bilan par acquisition;
b) des profits non encore réalisés;
c) des départs pour cause d'incompétence;
d) des carrières dans des entreprises publiques ou bénéficiant d'une situation de monopole accordées par l'Etat;
e) des augmentations de la valeur des actions, qui pourraient simplement être dues à une hausse générale de la bourse.
Plutôt que d'être rémunérés par des "stock-options" (que les bénéficiaires s'empressent bien souvent de convertir en monnaie sonnante et trébuchante), les dirigeants d'entreprise pourraient se voir attribuer pendant un certain nombre d'années, une rémunération calculée sur base des dividendes attribués aux actionnaires. La gestion viserait dans ce cas à maximiser la rentabilité à long terme et non pas l'évolution à court terme de la valeur boursière.
Le législateur a fixé les règles de fonctionnement des sociétés, et parfois avec beaucoup de zèle et de détails, allant du nombre minimum d'actionnaires aux postes du bilan, des durées d'amortissement aux temps de travail. Plutôt que d'étouffer les sociétés sous une montagne de réglementations, le législateur pourrait plus utilement préciser les règles qui assureront la séparation des intérêts entre les actionnaires et les salariés, et des dirigeants qui devraient être soit l'un, soit l'autre.
Dans le procès fait à la liberté d'entreprendre, "parachutes dorés" et "bonus" sont fréquemment cités dans le même acte d'accusation. Les véritables défenseurs du libre marché ne peuvent admettre que des commissions soient payées pour la vente de produits financiers dont la rentabilité pour l'acheteur est encore inconnue, et pourrait même être négative. Tout aussi injustifiables seraient des honoraires payés à des tiers lors de fusions ou d'acquisitions dont le résultat ne serait pas un accroissement des profits réalisés par les actionnaires.
La position libérale devrait donc être claire sur ce sujet, et s'opposer à toute limitation par la puissance publique, tout en insistant sur la nécessité de lier toute "gratification" de cette nature à la réalisation effective d'une plus-value. Lorsque des "traders" engrangent des bonus pharaoniques pour avoir vendu des produits qui auront peut-être, à leur échéance, perdu tout ou partie de leur valeur initiale, nous sommes bien plus proches de l'escroquerie que du libéralisme.
Trop souvent, de plus, les produits financiers que les banques proposent à leurs clients sont recommandés non pas pour leur rentabilité à long terme pour le client, mais pour la rentabilité à court terme pour la banque, matérialisée par la commission. Il n'appartient pas aux pouvoirs publics de protéger chacun de sa propre naïveté, mais la complexité des produits offerts permet trop souvent de dissimuler la rémunération de la banque. Cette dernière devrait être basée non sur le capital investi (et qui pourrait avoir entièrement disparu au terme de l'investissement) mais sur la rentabilité effective de l'investissement jusqu'à son échéance.
3) Le rôle des agences de notation et des organes de contrôle
Depuis 1988, un accord conclu par les principaux pays industrialisés, et progressivement adopté par d'autres, tentait de "renforcer la solidité et la stabilité du système bancaire international", tout en établissant des règles de concurrence (sur la couverture des risques par les fonds propres) identiques pour tous. Cet accord, négocié à l'issue de discussions pilotées par la Banque des Règlements Internationaux, dont le siège est situé à Bâle, avait été nommé naturellement "l'Accord de Bâle" (6). En résumant, sans doute à l'excès, les banques étaient tenues de respecter un niveau minimum de fonds propres. Ce taux minimum était fixé pour tous à 8% du montant des crédits, pondérés selon la nature du risque. Sans entrer dans le détail, les risques étaient pondérés à 100% pour des crédits aux entreprises, 50% pour des prêts hypothécaires, 20% pour des prêts aux autres banques, 0% pour des prêts au gouvernement. En d'autres termes, pour 100 millions de prêts à des PME, une banque devait disposer de fonds propres de 8 millions, alors que pour des prêts d'un même montant à une entreprise d'Etat, cette même banque n'avait pas besoin de fonds propres supplémentaires.
Après dix ans de fonctionnement, les distorsions introduites par l'accord devenaient flagrantes: l'entreprise privée était défavorisée, des emprunts mexicains étaient classifiés de la même manière que des emprunts français, etc. Mais surtout, les banques se sentaient très à l'étroit dans ces règles, les augmentations de capital étant très onéreuses. De plus, de nouveaux risques étaient inventés, qui ne rentraient pas dans l'évaluation servant à mesurer le capital requis. Pour toutes ces raisons - et d'autres encore - le "Comité de Bâle" s'attela à la préparation d'un nouvel accord (nommé aujourd'hui "Bâle II"), adopté en 2004.
Cette fois, l'exigence minimum de fonds propres n'était plus que l'un des trois "piliers" d'un ensemble. La stabilité d'une banque devait maintenant reposer aussi sur un deuxième pilier (son propre contrôle interne) et sur un troisième, une sorte de fourre-tout qualifié de "discipline de marché".
J'ai vu peu de commentaires souligner l'ironie de la coïncidence entre l'introduction des dispositions de Bâle II (et son deuxième "pilier", reposant sur la fiabilité des systèmes internes d'évaluation des risques dans les banques elles-mêmes) et la démonstration, aujourd'hui, des défaillances de ces systèmes.
Le rôle attribué dans ce système aux agences de notation (de type Standard & Poors, Moody's, etc.) est crucial: elles sont censées fournir une évaluation extérieure, indépendante et objective des emprunteurs. L'utilisation de ces agences est particulièrement indispensable aux banques qui n'ont pas les ressources nécessaires pour construire des systèmes internes complexes.
Mais ce système a deux défauts essentiels:
1)    les agences sont souvent sollicitées et rémunérées par les emprunteurs qui demandent la notation, ce qui tend naturellement à donner aux résultats une coloration favorable;
2)    la périodicité des notations ne permet pas nécessairement d'identifier les problèmes dès leur apparition.
L'incohérence d'un système dans lequel les agences de notation sont rémunérées par ceux qu'elles évaluent a été souvent soulignée. L'on a pu voir souvent des entreprises sombrer quelques semaines seulement après la publication d'un audit extérieur qui n'avait identifié aucune difficulté majeure. Il faut ajouter à cela le danger de rémunérer l'évaluateur au moment de la prise de risque, et non lors de la réalisation de l'investissement. Toute réforme, pour être efficace, devrait donc introduire une responsabilisation des agences de notation, et leur rémunération par le preneur de risque, non l'emprunteur.
Pour les sociétés qui sollicitent l'épargne publique sous forme d'émissions d'actions et d'introduction en bourse, la surveillance de la régularité des transactions par un "gendarme" de la bourse, façon SEC américaine, paraît bien insuffisante, ne serait-ce que parce qu'elle a lieu généralement a posteriori.
Même si cette responsabilité, limitée à la surveillance des fraudes boursières, était effectivement et efficacement exercée, les moyens que les investisseurs croient consacrer à cette surveillance ne sont pas toujours utilisés à ces fins. Il n'est pas inutile de rappeler que la taxe sur les transactions boursières aux Etats-Unis a été systématiquement détournée vers le budget général. (7)
4) Assurance des dépôts
Pour ceux qui sont sortis de chez eux ces derniers jours, il n'a pas pu leur échapper que la sécurité de l'épargne dans les banques était la préoccupation majeure des clients de ces institutions. Il n'est pas inutile de rappeler la première des raisons pour laquelle une forme d'assurance est nécessaire, pourquoi cette assurance doit couvrir la seule liquidité des banques (et non leur solvabilité), et pourquoi seule, in fine, une forme de couverture par une institution publique est efficace.
Une assurance est indispensable parce que la perte de confiance dans une institution peut rapidement devenir une perte de confiance dans un système. Si une entreprise, cliente de la banque A, ne peut payer ses salariés, clients de la banque B, ceux-ci ne pourront payer leur propriétaire, client de la banque C, et celui-ci ne pourra payer son impôt foncier au Trésor Public, client de la banque D. Bien entendu, l'entreprise peut toujours changer de banque, mais qu'en serait-il si les acheteurs de ses produits sont, eux aussi, clients de la banque A?
Les banques convertissant des dépôts (à court terme) en actifs (des prêts à moyen et long terme), aucune banque ne pourrait faire face à une demande de retrait de l'ensemble des dépôts qui lui sont confiés. A fortiori, si une seule banque ne pourrait faire face à une telle demande, un système financier national le pourrait encore moins. Aucune assurance privée ne pourrait résister à une telle situation, pas plus que la totalité des compagnies assurant le bâtiment ne pourrait faire face à la destruction de l'ensemble du parc immobilier.
Une assurance ne doit toutefois servir qu'à maintenir la liquidité de la banque (assurer les retraits dans l'attente de la réalisation des actifs) et non sa solvabilité (assurer les actifs eux-mêmes). Il serait d'autre part utopique de croire qu'une assurance privée des dépôts serait plus fiable qu'une assurance publique, et cette dernière aurait exactement les mêmes travers que toute entreprise publique. Puisque entre deux maux, il faut choisir le moindre, je me fais là aussi, contraint et forcé, l'avocat d'une garantie des dépôts par une institution publique, et ce pour plusieurs raisons:
1) personne ne peut raisonnablement penser que le déposant ordinaire soit à même de juger de la solvabilité des institutions financières; l'épargnant n'a aucun pouvoir dans la nomination des dirigeants des banques, ni dans l'analyse de leurs compétences;
2) les décisions prises par les banques sont souvent ignorées du grand public, ou lui sont délibérément dissimulées;
3) lorsque des difficultés se présentent, les avoirs d'une banque doivent pouvoir être rapidement saisis et réalisés, afin de couvrir ses obligations: il est irréaliste de penser que des actions en justice par des déposants privés puissent produire autre chose que des procédures longues et coûteuses.
4) si un organisme privé pourrait parfaitement être à même de répondre à des crises ponctuelles de faible ampleur, aucune institution privée ne serait à même de faire face à une crise systémique: faut-il rappeler que les actifs financiers dépassent souvent le montant du PIB annuel?
Mais les systèmes de garanties existants doivent nécessairement être radicalement réformés, en fondant les réformes sur un principe de base: les garanties doivent assurer la liquidité, non la solvabilité des actifs des banques.
Le principe de base est que le rôle des banques reste de transformer des ressources à court terme (dépôts d'épargne) en avoirs à long terme (prêts aux entreprises, hypothèques, etc.). Dans cette "intermédiation", se posent évidemment deux questions, qu'il est important de dissocier: la liquidité et la solvabilité des actifs. Si les banques étaient à même de faire coïncider très exactement le terme de chaque ressource avec celui de chaque actif, ne se poserait alors que le problème de la solvabilité des actifs à leur échéance, et aucun mécanisme de garantie des dépôts ne serait nécessaire.
Il est d'ailleurs intéressant de constater que l'existence de ressources à long terme est fonction du degré de développement des marchés financiers, mais surtout de la confiance des particuliers dans le système économique. Au début de la transformation des états à économie planifiée, les banques ne disposaient d'aucune ressource à long terme, et le financement des investissements des entreprises privées ne pouvait se faire. La confiance des déposants ne s'est améliorée que très progressivement.
A ce titre, une couverture globale, indiscriminée (100.000 $ aux Etats-Unis, 20.000 € en Europe, avec autant de variantes qu'il y a d'Etats), est bien évidemment absurde, même si elle est bureaucratiquement commode.
Pour ma part, je fonderais toute réforme du système sur un principe simple: les banques auraient la possibilité d'obtenir de la banque centrale l'engagement d'un refinancement de leurs actifs, en cas de crise de liquidité. Le taux de refinancement serait déterminé par actif, ou par catégorie d'actifs, et pour une portion pré-déterminée de sa valeur initiale. Les agences de notation pourraient ici jouer un rôle utile, mais qui serait bien différent de leur rôle actuel, puisqu'elles seraient rémunérées non par l'emprunteur, mais par la banque. Le résultat pratique serait de voir mentionné, au jour le jour, sur les relevés de compte et autres documents envoyés par la banque à ses déposants, un taux variable de couverture de ces avoirs, et non un montant forfaitaire.
Le risque d'inflation d'un tel système serait quasi-nul, et ce pour deux raisons:
1)    le refinancement d'un actif par une banque impliquerait nécessairement une diminution au moins équivalente de ses ressources. Il resterait évidemment que des retraits massifs dans une banque pourraient être réinvestis dans une autre institution, et il appartiendrait à la banque centrale de veiller à ce que ces dépôts n'alimentent pas un nouveau cycle de financement, éventuellement en les "stérilisant" temporairement sous forme de réserves obligatoires, ou en modifiant son taux de refinancement.
2)    les actifs restent "sains" et seront remboursés à leurs échéances; l'accroissement de liquidités, s'il existe, ne serait donc que temporaire.
La complexité de ces ajustements, et la nécessité d'une intervention rapide et efficace en cas de crise de confiance démontre le besoin d'une institution telle qu'une banque centrale, et que la position libertarienne dans ce domaine est plus qu'utopique: elle est irréalisable. Hayek lui-même a clairement souligné le caractère indispensable d'une banque centrale dans des systèmes économiques qui recourent au financement des investissements par le crédit bancaire (8).
Pour avoir personnellement contribué à la solution d'un problème de cette nature dans un pays d'Europe centrale, où les systèmes financiers ont connu quelques défaillances, je ne peux que recommander une intervention rapide et sans ambiguïté, qui évite le pourrissement de la situation et la contagion. Ayant identifié une banque en difficulté, celle-ci fut immédiatement fermée, les déposants furent informés que leurs comptes, garantis par la banque centrale, étaient immédiatement transférés auprès d'une autre institution, et restaient à leur disposition. Les actifs de la banque furent progressivement liquidés, sous le contrôle de la banque centrale. Après de légers remous et quelques inquiétudes légitimes, il n'y eut ni panique, ni contagion, ni diminution de l'activité économique.
5) la gestion des banques
Personne ne peut raisonnablement proposer une auto-régulation des banques. Au contraire, il s'agit de mettre en place une construction institutionnelle dans laquelle la cupidité des uns est contre-balancée par la cupidité des autres. Si "greed is good" (9), il faut encore déterminer les limites au-delà de laquelle une motivation légitime devient une activité criminelle.
Dans la crise actuelle, les collectivistes de tout bord refusent d'abord de voir les déficiences de l'Etat, pour proposer immédiatement une renationalisation des institutions financières. Parmi l'assortiment de politiciens de toutes tendances qui se bousculent pour essayer de justifier leurs interventions de "sauvetage", je relève, en Belgique par exemple, les ironies suivantes:
1) une "grande" banque belge (10), reprend une banque néerlandaise, mais en payant un prix bien trop élevé et, surtout, sans avoir aucune stratégie quant au futur du groupe ainsi constitué; la fusion promise n'a jamais pu se réaliser dans les faits, les économies d'échelle attendues n'ont jamais été concrétisées, et les deux banques en sont encore à étudier la fusion de leurs systèmes informatiques alors qu'une séparation semble de plus en plus nécessaire;
2) un responsable socialiste belge critique la politique poursuivie par la "banque des communes", en oubliant qu'il en a été l'administrateur (sans avoir aucune compétence en matière bancaire) et que la faillite prochaine des communes belges est due essentiellement à l'incompétence et à la gestion désastreuse des mandataires politiques de toutes tendances (11). Ce socialiste omet d'expliquer pourquoi il était nécessaire d'étendre les opérations de la banque aux Etats-Unis, ce qui semble aujourd'hui, en grande partie, à l'origine des pertes subies par "sa" banque.
3) le ministre des finances se réjouit déjà à la perspective de pouvoir nommer lui-même les nouveaux responsables des banques ainsi "nationalisées". L'espoir est mince de voir ces nominations se faire en fonction des compétences techniques et de l'indépendance d'esprit, et non en fonction des affinités politiques et de la soumission aux diktats des Politburos.
Une erreur, à mon sens, a été d'autoriser la réunion de deux métiers, très différents, celui de banquier et celui d'assureur. Les médias ont d'ailleurs pris l'habitude de qualifier ces nouvelles institutions hybrides de "bancassureurs". Bien sûr, l'on peut avoir deux métiers, et rien n'empêche personne de pratiquer à la fois la chasse et la pêche. Le risque apparaît lorsque l'un des métiers sert à dissimuler les faiblesses et les manques de l'autre activité. Un exemple type est celui d'une banque qui offre un produit financier dont la performance est "assurée" par la branche assurance. Des "bancassureurs" ont ainsi vendu des fonds d'investissements en actions, tout en garantissant aux investisseurs la restitution de leur mise même en cas de baisse des actions à l'échéance. Source de profit par temps clément, ce cumul est la cause de naufrage en cas de tempête.
Il est donc proposé, après le retour au calme, d'envisager sérieusement le retour à un cloisonnement des deux métiers, la banque et l'assurance, l'intermédiation financière et la mutualisation des risques, afin d'opposer à nouveau deux intérêts divergents, qui sont aujourd'hui confondus, cumulant et dissimulant les risques au lieu de les répartir et de les clarifier.
6) l'émission de monnaie
Les libertariens se font les avocats de l'abolition des banques centrales, et de l'émission de monnaie par des banques privées. Monsieur Rockwell, président de l'Institut Mises, défend régulièrement cette proposition. Dans l'un de ses articles (12), il allait même jusqu'à suggérer que la Réserve Fédérale, et les banques centrales en général, permettaient le financement des conflits, et qu'en éliminant ces institutions, on éliminerait les causes des guerres et "l'une des étapes principales rendant possible toute tyrannie moderne". J'avais réagi à cet article (13), car je suis fermement convaincu que, s'il y a des raisons de se défier de banques centrales "publiques", il y a tout autant de raisons de se défier d'émetteurs privés de monnaie.
C'est desservir la cause du libéralisme que de prétendre que celui-ci n'a besoin ni de règles ni d'institutions pour limiter ses excès et éviter le chaos. C'est dans un environnement où la place de l'Etat est réduite à l'essentiel, c'est à dire la construction d'un édifice institutionnel et légal solide, prévisible, et absolument impartial, que l'individu et l'entreprise peuvent réaliser le maximum de leur potentiel. C'est au vu de cette position, défendue par Hayek dans "The Constitution of Liberty", déjà cité, qu'il nous faut juger des mérites, mais surtout des périls, des interventions des états dans la crise actuelle.
Pour terminer tout en tentant d'illustrer le propos de manière plus imagée, je comparerais la crise actuelle à un navire pris dans une tempête, avec un cargo trop lourd, une voilure trop importante, et un capitaine indécis et inexpérimenté. Face à cette situation, la seule solution est d'alléger le navire, réduire la voilure, chercher la protection d'un port, et ... changer de capitaine, avant de poursuivre le voyage. Si certaines banques ont cherché le profit sans évaluer correctement les risques, il est important qu'elle soient forcées de se défaire de leurs avoirs (le "cargo") que les déposants puissent confier leurs économies à d'autres institutions, mieux gérées (réduire la "voilure"), et que peut-être, une fois revenues à de plus raisonnables ambitions, elles puissent enfin être confiées par leurs actionnaires à de véritables capitaines, ou rester définitivement à quai.
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Notes de bas de page
  1. "The rule of law provides the criterion which enables us to distinguish between those measures which are and those which are not compatible with a free system". "The Constitution of Liberty, Routlege, London, 1960, reprinted 2005, page 222. Les adversaires de l'économie de marché et de l'état de droit pourraient d'ailleurs s'inspirer de tout le chapitre 15 de cet ouvrage, intitulé fort justement "Politique économique et état de droit".
  2. Vincent Bénard, "Crise des subprimes: essai sur la réforme de la régulation bancaire ", 26 septembre 2008
  3. N'est-ce pas là, comme l'écrit Andrew Gamble ("Hayek on knowledge, economics and society" dans "The Cambridge Companion to Hayek", Cambridge University Press, 2006), la plus importante contribution de Hayek aux sciences économiques et aux sciences sociales? Mr Gamble cite Hayek ("The Counter-Revolution of Science: Studies on the Abuse of Reason", 1952): "The dispersion and imperfection of all knowledge are two of the basic facts from which the social sciences have to start". A la dispersion et à l'imperfection, j'ajouterais aujourd'hui la manipulation, à la fois par l'opérateur privé (pour accroître ses profits) et par la puissance publique (pour accroître sa domination).
  4. Vincent Bénard, "Crise des Subprimes, un désastre engendré par l’État", 18 août 2008, également disponible sur www.objectifliberte.fr
  5. Les trois expressions sont reprises du Chapitre 10 ("L'ordre de marché ou catallaxie"), de l'ouvrage de F.A. Hayek "Droit, Législation et Liberté", dans sa traduction française récemment republiée chez Presses Universitaires de France, Collection Quadrige, Paris, 2007
  6. Cet article n'a pas l'ambition d'apprendre à certains ce qu'ils connaissent déjà, ni l'intention d'importuner les autres avec des développements par trop techniques. Pour ceux que la chose intéresse, tous les détails et l'historique des accords sont disponibles sur le site de la BRI (www.bis.org) et plus particulièrement dans sa section consacrée au "Comité de Bâle".
  7.  En 2001, la taxe sur les transactions boursières de plus de 2 milliards de dollars n'était reversée à la SEC que pour 400 millions. Les actionnaires étaient ainsi contraints de contribuer au budget général de l'Etat, alors qu'ils pensaient légitimement financer la sécurité des transactions.
  8. "Even countries like the United States, which long resisted the establishment of such an institution [a central bank], found in the end that, if recurrent panics were to be avoided, a system which made extensive use of bank credit must rest on such a central agency which is always able to provide cash and which, through this control of the supply of cash, is able to influence the total supply of credit". F.A. Hayek, "The Constitution of Liberty, Routlege, London, 1960, reprinted 2005, page 327. Les pages dont est extrait ce paragraphe auraient pu être écrites aujourd'hui... Hayek termine en insistant sur la nécessité de rendre la politique monétaire indépendante du gouvernement, et que la seule manière d'atteindre ce but est de réduire considérablement les dépenses du gouvernement.
  9.  Pour reprendre l'expression du personnage interprété par Michael Douglas dans le film "Wall Street".
  10. En fait, la "Société Générale", ancêtre du groupe financier à l'origine de Fortis, avait été créée par le roi des Pays-Bas, qui gouvernait alors la Belgique, et est donc antérieure à l'"invention" de la Belgique elle-même !
  11. Dans la commune où réside l'auteur de cet article, et qui est l'une des micro-entités faisant partie de l'agglomération bruxelloise, l'administration consacre un budget non négligeable à l'assistance au "Grand Dakar", comme si les contribuables d'une minuscule commune belge avaient mandaté leurs élus pour gérer la capitale sénégalaise, et comme si la gestion belge pouvait servir d'exemple à Dakar.
  12.  Llewellyn H. Rockwell, "Going for the Heart", paru sur www.mises.org, le 14 août 2008.
  13. Dans son livre "Nation, State and Economy", Mises avait lui-même écrit que l'émission de monnaie n'avait jamais contribué à produire "un seul canon, une seule grenade"...
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© 2008 Charles De Smet et Institut Hayek

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