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Maîtriser la manœuvre globale, la pensée métisse. Par JP Gambotti

Publié le 19 août 2011 par Egea

Le général JP Gambotti nous envoie ce texte, en réaction au dernier numéro de Doctrine (la revue du CDEF / Centre de Doctrine et Expérimentation des Forces, de l'armée de terre). Cela parle de manœuvre globale. Et il s'agit de mettre en question une sorte de "pensée commune", pour ne pas dire convenue. Et réfléchir tout d'abord autour de la notion de "lignes d'opération", mal utilisée selon le général : surtout, elles sont définies avant la détermination des points décisifs, ce qui est contraire à la méthode normale de planification. Car au fond, "même les centres de gravité sont métissés" !

Maîtriser la manœuvre globale, la pensée métisse. Par JP Gambotti
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Je suis fort heureux qu'égéa contribue au débat doctrinal, en accueillant de tels textes. Merci au G(2S) Gambotti pour ses propos; en espérant que l'un ou l'autre vienne lui répondre. O. Kempf

Dans le droit fil de votre billet sur le FM 3-0 et des différents commentaires qu’il nous a inspirés, je vous invite à lire le Doctrine Spécial du CDEF de juin 2011 « Face à l’adversité : la manœuvre globale en opérations », actes du colloque CDEF/CEIS du 14 décembre 2010. Passionnant document qui montre notre Ecole française en pleine phase d’accélération doctrinale pour tenter de recoller au peloton anglo-saxon, lequel, nous l’avons déjà évoqué, a quelques longueurs d’avance dans le domaine de l’approche et de la manœuvre globales.

Doute.

Pour ma part je suis ravi que quelques mois avant de quitter le théâtre afghan nous affirmions la nécessité de concevoir, planifier et conduire les opérations dans l’esprit de Gallieni et Lyautey, en étroite concertation avec les opérateurs des autres domaines de la guerre, ceux que les Américains regroupent sous l’acronyme DIME. Mais je dois à la vérité de dire que je ne suis pas rassuré. Certaines affirmations répétées, assenées même jusqu’à les poser comme des vérités et l’absence de solution méthodologique sont pour moi les signes d’une fragilité intellectuelle dans l’appréhension de cette problématique : penser en symbiose, pour agir en symbiose.

Penser complexe.

Le premier signe inquiétant et symptomatique, est cette confusion sémantique dans la notion de lignes d’opérations. Pour tous les intervenants à ce colloque, sécurité, gouvernance et développement sont des lignes d’opérations. Au premier abord on pourrait se réjouir de l’abandon de la naïve vision phasée antérieure -sécurisation, stabilisation, normalisation- mais cette nouvelle acception est tout aussi toxique. Car d’emblée on affecte des acteurs à des lignes d’opérations, la sécurité aux forces militaires par exemple, sapant ainsi la notion de globalité des opérations, qui est justement la finalité de cette approche.

En effet, et je renvoie ici à nos nombreux commentaires sur ce sujet, rétablir la sécurité dans cette situation de complexité, dans cet espace systémique qu’est le théâtre, nécessite des actions qui ne sont pas du seul ressort des forces militaires ; il s’agirait, par exemple, de redonner du pouvoir d’achat aux agriculteurs pour les détourner de la culture du pavot et ses trafics mafieux, construire une route pour décloisonner un fond de vallée, rendre leur liberté de circulation aux habitants et leur éviter la pression de l’insurrection, installer une représentation de l’Etat dans certains espaces vides.

Ainsi les lignes d’opérations dans ce type de conflit sont- elles nécessairement hybrides, composites, complexes, comme le sont les points décisifs, c'est-à-dire qu’elles combinent les trois missions, sécuriser, rétablir la gouvernance, développer le pays- car ce sont plutôt des missions- et la nature opérationnelle, cette dominante physique ou immatérielle de ces lignes d’opérations, sera déterminée quand seront reliés les différents points décisifs qui les constitueront. Insistons sur ce point de méthodologie, l’élaboration des lignes d’opérations est consécutive du choix des points décisifs, et non l’inverse, il est donc curieux que l’on impose des lignes d’opérations génériques -sécurité, gouvernance, développement- valables pour toutes les opérations de contre-insurrection sans avoir la moindre idée des points décisifs, par nature contingents !

Adapter la méthode.

Cette confusion est plus que sémantique, d’ailleurs elle embarrasse nos participants à ce colloque dans la formulation du bon diagnostic et leur interdit de porter le fer sur la bonne plaie, c'est-à-dire sur la nécessaire adaptation de notre méthodologie de conception des opérations à ces guerres complexes qui doivent être raisonnées et conduites dans une fusion totale entre acteurs des différents domaines DIME. Car j’insiste jusqu’à en paraître obsessionnel, la méthode est plus qu’un outil, c’est une ingénierie praxéologique, une machine qui sert à produire de la stratégie, c'est-à-dire de la pensée pour l’action. Encore faut-il qu’elle soit parfaitement réglée cette machine pour produire de la bonne stratégie. A la lecture des actes de ce colloque j’ai compris que nos stratèges français ont engagé avec détermination cette révolution copernicienne, la maîtrise de la globalité, encore faut-il pour l’achever qu’ils acceptent l’idée que ces nouveaux théâtres d’engagement sont des systèmes de systèmes et qu’ils prennent en considération l’exemple des Britanniques dans l’Helmand proposé par le colonel Mark Christie et la méthode américaine présentée dans le JP 5-0.

°

A lire le JP 5-0 même les centres de gravité sont métissés, la messe est dite. Nous sommes dans des guerres symbiotiques, l’instrument qui nous permettra de raisonner ces guerres doit être symbiotique et réciproquement cette méthode est une grille de lecture qui permettra de décrypter et de comprendre la mécanique symbiotique. Notre premier combat est bien celui de cette nouvelle « grammaire » dans ses règles - pour voler ce mot à Foch- le mener c’est comprendre la globalité des opérations pour mieux la maîtriser.

Encore un effort camarades !

Jean-Pierre Gambotti


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