Dans cet article, paru dans KBN n° 5 en octobre 1992, Sylvie Denis esquisse quelques-unes des pistes qui la mèneront à son essai "Cyberspace ou l'envers des choses" et à la théorie de la Bulle de présent, exposée dans son analyse des Racines du mal de Maurice G. Dantec, trois articles que l'on pourrait être tenté de regrouper sous un titre dans le genre "Science-fiction et modernité".


Selon le mot de Rimbaud, pour créer, il faut être moderne, résolument.
On aura compris que je ne pense pas que la SF agonise. Encore moins qu'elle soit morte. La science-fiction est née, elle a connu une petite enfance, une enfance et une adolescence que nous avons tous prise pour un âge d'or. Maintenant la science-fiction est adulte : qu'elle prospère ou périsse dépendant uniquement de ce que nous en ferons.


Écriture et imprimerie ont dissocié connaissance et parole, information et support. D'autres facteurs — le christianisme étant un des plus importants (3) — ont contribué à rendre linéaire notre perception du temps. Le progrès scientifique et technique en transformant les sociétés occidentales à une vitesse qu'aucune autre société n'avait connue dans l'histoire de l'homme, a contribué à valoriser les notions de "changement", de "progrès", aux dépens de celles de "stabilité", de "non-changement", de "tradition". La science-fiction est une réponse, sous forme littéraire, à ce changement.

Notre conception du temps est toujours linéaire. Cela ne veut pas dire qu'il ne subsiste pas des traces du stade tribal/oral dans nos sociétés : nous connaissons et pratiquons l'écriture, mais un certain nombre de connaissances ou de pratiques nous sont encore transmises oralement. De la même façon, il est vrai de dire que le développement de la sphère médiatico-informatique a transformé, est encore en train de transformer notre rapport à l'imprimé ; mais cela ne veut pas dire que le langage et l'écrit, c'est à dire l'encodage d'informations dans des mots, conservés sur du papier ou sur un support électronique ne se pratique plus, ou qu'il soit sur le point de disparaître. Il faudrait cesser de penser en termes de oui/non : si cela apparaît, alors cela doit disparaître. Une société n'est pas un bloc monolithique : comme le sous-sol de la planète, elle est faite de strates "économico-psycho-techno-sociales". On peut envisager une pluralité des messages et des médiums, des signifiants et des signifiés.
Sylvie Denis
(1) J.P. Lion, "La Science-fiction sans futur", in KBN 4, mai 1992.

(3) Voir Daniel Boorstin : Les Découvreurs, Laffont. La première partie sur ls conceptions cycliques du temps et leur évolution ; les pages 561 & 562 sur la "cassure" provoquée par le christianisme. Selon l'auteur, la naissance du Christ, sa vie et sa mort telles qu'eles sont décrites par les Évangiles sont le moyen "grâce auquel les chrétiens échappent aux cycles", et font entrer l'Occident dans un temps linéaire et historique. Inutile de souligner à quel point science-fiction et histoire sont liées : la science-fiction tente de décrire l'histoire de l'homme dans l'univers. Elle croit que l'histoire a un but : le futur, et un moteur : la science, au service de l'humanité.
Deuxième partie