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26 - A double tour (1ère partie)

Publié le 18 février 2008 par Theophile

Serrure Un pas avait été franchit. Myriam a eu la force cette nuit là de partir. C'était un départ dans la rage. La colère. La souffrance.
Mais un départ qu'elle n'avait pas encore décidé au plus profond d'elle même.
Cétait un départ qui fuyait la souffrance de l'instant présent, mais pas encore un départ pour un futur plus heureux. Elle ne l'avait pas encore compris.
Nous non plus d'ailleurs.
Ma soeur et moi étions loin d'imaginer une autre vie que celle que nous avions toujours vécu jusqu'à présent. Le changement n'était pas encore envisageable. "L'autre" était le chef de la famille.
C'était ainsi que notre vie de famille se déroulait. Personne n'en savait rien. Nous n'en parlions à personne. C'était ainsi.
La prison à la maison. Jean-Marc le maton en short qui se tripote le sexe devant la télé avait toute autorité. Monarchie absolue du monde contemporain dans une campagne éloignée et peuplée d'habitants aveugles et sourds à nos cris. Presque chaque nuit.

Quelque chose malgré tout avait évolué.
Ma mère n'aimait plus mon père.
Je le sentais dans son regard. Ses yeux n'exprimaient plus cette petite flamme de toujours, qui brûlait en elle. Celle que je lui ai toujours connue.
La froideur de ses sentiments provoquait d'autres crises mais différentes. "L'autre" n'était plus en défoulement sur nos corps, mais plutôt en défoulement sur lui-même. Il a continué à nous battre les semaines qui ont suivies notre tentative de fuite, tout l'été 1989... mais c'était davantage mis en scène. Moins régulier. Plus épique. Ses crises étaient de l'ordre du long monologue mélo-dramatique pour attiser plainte, et pitié de notre part.
Montrer que c'est lui qui souffre plus que nous.
Souffrance qui panse manifestement son orgueil. Il se sentait responsable de la fracture irréversible de la famille : les clans étaient clairs. Nous trois contre lui.
C'est la rentrée des classes. Je rentre en CM2, la classe des grands.
Ma soeur retrouve la liberté de voir le jour, le monde.
Ma mère répond à mon père, le poing levé contre lui.

    - Vas-y. Fous-moi sur la gueule Jean-Marc. Si c'est cela qui te fais du bien.
      Tu ne sais faire que ça.
      Parler avec tes poings !
      Alors vas-y !
      Qu'est-ce qui se passe ?!

    - Ta gueule Myriam !

    - Qu'est-ce qui se passe ?!

    - C'est ignoble ce que tu me fais vivre, Myriam,
      Ton ignominie,
      Ta façon que tu as de me regarder, à présent,
      De monter les enfants contre moi,
      J'ai  tout fais,

      Contre moi, tu les montes,
      Théo, regardes ton pauvre père,
      Je suis malade, j'ai mal, je suis malade,
      Il faut m'aider,
      Ta mère a voulu me laisser seul,
      T'as voulu me laisser seul, hein, avoue-le,
      Me laisser seul, pour partir avec je ne sais qui !
      Car votre mère me trompe je le sais !

    - Oui, Jean-Marc, tout le village m'est passé dessus !
      C'est ça que tu veux entendre.
      Tous. C'est ça que tu veux entendre ! Ils sont tous passé !

    - Mais oui. Je le sais ! T'es qu'une sale putain !

    - Lâche-la ! Tu m'entends ! Tu la lâche !

    - Arrête ! Tu me fais mal ! Tu te rends compte de ça espèce de malade ?!
      Oui tu es malade !
      Tu nous bats ! depuis des années !
      Tes enfants !
      T'as tout gâché ! Nos vies ! La vie de tes enfants ! La mienne, la tienne !
      Lâche-moi !
      Oui la tienne !   
      Tu ne peux rien garder ! Toujours tu as gâché ce que tu avais de plus précieux ! Tu l'as gâché !

    - Tu vas le regretter ! Myriam ! Les enfants vous entendez l'ignominie de votre mère.
      Vous allez le regretter ! Vous m'entendez ! Vous allez le regretter !

Il part en larmes en bousculant au passage ma soeur qui manque de tomber. On l'entend monter à l'étage brusquement dans des cris effroyables. Colère comme celle d'un enfant qu'on vient de punir. Pitoyable scène du martyr. Ses hurlements nous glacent le sang.

    - Maman, qu'est-ce qu'il va faire ?
    - Venez !

Nous nous enfermons tous les trois dans le bureau de "l'autre". Ma mère tourne la clé à double-tour.
Joséphine allume la grande lampe en marbre posée sur le bureau.
Je pose mon oreille contre la porte pour écouter ce qu'il se passe de l'autre côté. Ma mère regarde alors le mur en face de la fenêtre. Près de la bibliothèque, les trois fusils sont accrochés.

(A suivre)


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