Magazine Journal intime

Georges Bush

Par Pierre-Léon Lalonde
Je viens de déposer une cliente à Verdun et l’ordinateur de bord me signale que je suis le premier dans la zone. Je m’attarde donc dans le secteur et lentement je me dirige vers le poste à côté du métro de l’Église. Sur place se trouvent déjà deux taxis Pontiac-Hemlock et sur le trottoir près d’eux, un homme tenant un boxer en laisse. Il a un aspect un peu douteux et louche vers moi.

- Ça te dérange pas les chiens boss?

Il ne me laisse pas le temps de répondre et me demande combien couterait un aller-retour jusqu’au fin fond de ville LaSalle. Il ajoute qu’il est diabétique, que son frère là-bas a son argent pour payer ses médicaments, qu’il ne se sent pas trop bien, que son chien a fait ses besoins et que je n’aurai pas de trouble avec lui.

Pendant qu’il me vend sa salade, je sors mon livre de rues pour localiser l’adresse du frangin et me faire une idée de l’itinéraire et du prix. Ça me permet également de prendre un peu plus de temps pour jauger le type qui n’a pas l’air des plus commodes.

Je crois à moitié ce qu’il me raconte. Si ça se trouve, il va juste chez son « pusher » chercher sa dose et il s’invente un scénario plus propice pour qu’un chauffeur l’embarque.

Malgré mes doutes, j’accepte de le conduire. Il accepte le prix que je lui propose et grimpe à bord accompagné de son chien qui vient me foutre son museau dans l’oreille.

- Assis ! Georges Bush.

- Euh!? Ton chien s’appelle Georges Bush?

- Mouhain, stun chien qui vient du Texas...

Je ris dans ma barbe de trois jours en me disant que le gars a un drôle de sens de l’humour. Il me demande une cigarette, je lui dis que je ne fume pas. Il me reparle de son diabète et de son frère, un ostie de rat. Il lui mettrait bien sa main dans face, tout comme à son propriétaire qui cherche a le mettre dehors. Il me parle ensuite de son père qui est mort, qu’il a caché 13000 belles piasses sans leur dire à quelle maudite place.

Jusqu’à destination, il va continuer de se lamenter. Je l’écoute me raconter ses récriminations en me disant que ça fera quelque chose de drôle à raconter.

Arrivé devant le triplex de LaSalle, il sort en me laissant son chien. La porte n’est pas sitôt fermée que le boxer se met à geindre. Je lui dis : « fais-toi z’en pas Georges, il va revenir ton maitre », mais ce dernier niaise sur le balcon. Il frappe et sonne, mais la porte ne s’ouvre pas. Il lâche un cri et une lumière s’allume enfin. Le chien glisse sa tête entre mon appui-tête pour sortir la sienne par ma fenêtre entrouverte. Je continue de lui parler doucement tout en observant mon client entrer dans l’appartement. Je vois des voisins curieux observer ce qui se passe dans la rue, je nettoie mes lunettes tout en continuant de jaser avec Georges Bush.

Cinq minutes plus tard, le type est de retour et me rassure en me payant la course. Il me demande d’arrêter dans un dépanneur où il s’achète un paquet de cigarettes, une grosse barre de chocolat et une bouteille de jus d’orange, qu’il va engloutir en deux gorgées.

Une fois reparti pour revenir au point de départ, je me dis que son histoire de taux de sucre n’était pas une invention. Je lui permets de s’allumer une cigarette et ragaillardit il va compléter le pathétique portrait entamé à l’aller.

- J’suis content d’être embarqué avec toé.

- Comment ça?

- Les deux taxis en avant de toé, c’était des crisses de nègres!

- ...

- J’déteste les races. Y’en a trop icitte. Je les passerais toutes.

Je reste silencieux et serre les dents pour ne pas réagir. Il continue de déverser sa haine raciste. Il me parle de ses amis skinheads néo-nazis texans et comment ça se passe dans le sud pour les crisse d’importés.

Je réalise que le pauvre chien n’a pas hérité de son sobriquet par dérision, mais par conviction.

Un moment donné, je cesse de l’écouter et je complète la course comme il se doit.

Je ne suis qu’un chauffeur de taxi.

Je ne choisis pas mon monde.

Je ne peux pas changer le monde.

Mais je sais que quelqu’un, quelque part, a baptisé son chien Obama ou Nelson Mandela...


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