POLEL-MARYAMA TOURE
Chez elle, le « Fouta » féodal côtoyait marabouts et fonctionnaires.
Un vendredi d’aout, le soleil était au zénith. Une forte chaleur moite d’hivernage étouffait Dakar. Dans une chambre d’hôpital, Polel-Maryama prenait son ultime envol.
Bien des « foutankoobe » ont connu ou entendu parler de Polel-Toure : les uns, la qualifiant de «jonntaado » (femme de son temps)», les autres, de »Ndaanaane (femme du monde)».
Tous s’accordent pour constater que Polel avait toujours à portée de coude, un sac à main. Sa main allait et venait dans ce sac au rythme des visiteurs. Chacun(e) repartant avec une somme plus ou moins substantielle. Sa prodigalité et sa générosité avaient traversé les frontières urbaines pour se répandre jusque dans les hameaux reculés. Ses visiteurs avaient tous les profils des « Ngneenbe (courtisans) au « Miskine (démuni)», de tous âges homme et femme confondus.
Chez elle, le « Fouta » féodal côtoyait marabouts et fonctionnaires venus pour leur propre cause, ou messagers d’un tiers. Les conversations allaient bon train, parfois fastidieuses mais rarement démunies d’intérêt. De temps en temps des griots jouaient de leur guitare monocorde à écrin de cheval, des airs d’autrefois, et des »waambabee (généalogistes)» égrenaient en chantant des lignages et des récits savoureux que la magie de leur verbe rendait fantaisistes.
Polel, étendue sur un divan, aimait cet univers pluriel qui intégrait harmonieusement Hier et aujourd’hui dans une forme d’authenticité surréaliste.
« Ko gagno woodi, kootidoo alaa « (il est possible de te haïr mais impossible de te mépriser)» clamait souvent à haute voix sa courtisane préférée. Polel qui prêtait une oreille attentive et arborait un sourire égal mi- amusée mi- flattée à chacun(e) accueillait d’un regard vif et gracieux tout le monde.
Le secret de sa réputation est la : savoir-recevoir, comme l’écrit Edward-Kipling :« gloire après défaite ces deux menteurs d’un même front» :
Sa gloire c’est d’assumer la très haute idée qu’elle avait d’elle-même sans aucun complexe. Se faisant traiter tantôt «Tubak» tantôt Fuutankee impériale, tantôt les deux à la fois. En toutes circonstances elle se donnait les moyens pécuniaires et humains de vivre sa propre personnalité dans la dignité et la classe.
Sa défaite ou plus exactement son plus grand regret, c’est de ne pas avoir été «inscrite a l’école». Elle me l’a souvent confié. Il n’était pas bien vu à cette époque que des filles des « grandes maisons » fréquentent l’école.
Polel possédait par nature cette élégance dans les gestes, et par essence, cette aisance dans les mots, qui poussait à faire digérer plus facilement ce que certains pouvaient considérer comme des extravagances. D’aucuns y verront le pouvoir et les fréquences des allées et venues de sa main dans son sac, d’autres plus enclins au dénigrement systématique, jugeront sévèrement celle qu’ils qualifient de «la plus féodale des féodaux», sans oublier de récupérer au passage sans scrupule leurs «lots» de ce qu’ils appellent leur part de « butin».
Pour moi qui au dire des aînés, suis né la même semaine du même mois de la même année dans la même maison familiale que Polel, j’incline à penser que ma bannam debbo (cousine) a marque son époque.
Si son sac s’est refermé pour toujours, Polel survivra à travers les chants des griots et les airs des « waambaabee». En vidéo ou en cassettes.
Ba ousmane