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27 - A double tour (2ème partie)

Publié le 20 février 2008 par Theophile

Surpointepieds Depuis plus d'une dizaine de minutes, nous sommes tous les trois enfermés dans le bureau de "l'autre", aux aguets du moindre bruit qui pourrait se manifester à l'intérieur de la maison. Nous nous relayons tous trois à la porte pour coller l'oreille. Très peu de paroles sont échangées par crainte de couvrir le moindre bruit, qui serait un indice sur ce qui risque de se produire dans les instants à venir. Nous avalons nos salives avec précaution. La respiration courte. La rougeur sur nos visages. Notre sort demeure ignoré. La seule chose qui nous apporte un réconfort, est que nous sommes dans la pièce où se trouvent les fusils. Ma mère à d'ailleurs pris le soin de garder sur elle la clé du tiroir qui renferme les cartouches. Ma soeur finit par briser le silence dans un court chuchotement.

- Mais il est où ?
- Je ne sais pas. Je ne l'ai pas entendu descendre.
- Il a pu descendre sur la pointe des pieds.
- Maman, j'ai peur...
- Chut, Théo, il ne peut rien nous arriver. Il y a le téléphone dans le bureau, s'il y a un problème, tu vois on peut appeler quelqu'un.
- Pourquoi on ne le fait pas ?
- Chut !
- Quoi ?
- T'as entendu ?
- Non... quoi Joséphine ?

Long silence.

- T'as entendu quelque chose ?
- Je ne sais pas.. j'ai cru...
- Maman... Qu'est-ce qu'on fait ?
- Je ne sais pas...

Après trente minutes.

    - Qu'est-ce que tu fais Maman...?
    - On va sortir.
    - Quoi ?
    - Vous restez ici dans le bureau. Joséphine, je te laisse la clé du tiroir. Tu refermes derrière moi. S'il y a un problème tu appelles de suite les secours.
    - Non maman, je viens...
    - Non, Théo, tu restes avec ta soeur...
    - Non ! maman !
    - Chut !
    - Maman, Théo a raison. N'y vas pas toute seule... Si vous êtes deux c'est mieux.

Ma mère hésite quelques secondes.

    - Entendu.  Joséphine tu fermes derrière nous, il ne faut pas qu'il puisse entrer ici. Théo, tu restes derrière moi.

Ma mère ouvre discrètement la porte. Elle passe la tête dans le couloir obscur.

    - Jean-Marc.

Un long silence se passe avant qu'elle n'entreprenne de sortir du bureau.  Je la suis sur la pointe des pieds. C'est comme dans un film d'espionnage. Chaque pas que nous effectuons avec précaution, augmente notre angoisse. Je vois ma mère progresser dans la maison avec une assurance que je ne lui connaissais pas. Nous pénétrons dans la cuisine, dans laquelle, seule la lumière au-dessus de l'évier éclaire cette pièce plongée dans la nuit terrible d'automne. Le reflet de la pleine lune habille le reste de la cuisine d'une lumière douce et blanchâtre. Ma mère allume l'interrupteur. Nous regardons partout autour de nous pour découvrir l'ennemi en position d'attaque.
Il n'est pas là.
La porte qui donne sur le salon est grande ouverte. Celui-ci est éclairé de mille feux. Ma mère se poste à l'entrée et regarde tout autour d'elle. Elle s'arrête. Je vois sa nuque se pliée. Le visage vers le plafond, elle écoute consciencieusement les bruits et l'atmosphère qui règnent dans la maison. Puis elle se retourne vers moi.

    - Je sais.

Elle se dirige alors vers le tiroir situé au-dessous de la table de travail. Elle l'ouvre et en sors un petit couteau pointu. En toute discrétion. Je la regarde faire sans poser aucune question. Alors que la peur m'envahissait de plus en plus, je suis à présent presque rassuré de voir ma mère aussi calme et disponible à toute sorte de stratégie. Sa fermeté me procure alors le courage nécessaire pour continuer à avancer dans cette épouvante. Nous entrons maintenant dans la salle à manger. Je suis toujours derrière ma mère qui tient le couteau dans la main droite. Le long de son corps. La pièce est très bien éclairer. En un seul coup d'oeil nous constatons que celle-ci est déserte.
En bas de l'escalier, nous prenons tous les deux quelques secondes avant d'entamer la montée. Le bruit du vieux bois de celui-ci peut nous trahir. Heureusement, nous avons la connaissance parfaite des marches vicieuses à éviter. La troisième et la cinquième, traîtresses et grinçantes. Nous montons l'escalier doucement. Concentration. Je regarde par moment derrière moi, pour prévenir toute attaque par l'arrière. Arrivés à l'étage nous ouvrons la chambre de mes parents. Ma mère ouvre la porte très grand d'un geste sec, et allume l'interrupteur rapidement.

    - Jean-Marc.

Silence.

Rien.
Pas une âme qui vive. Nous laissons les lieux en l'état, allumés. Puis nous nous engageons vers la mienne. Dans le même geste, dans le même ordre, ma mère ouvre la porte de ma chambre et allume la lumière. Cette fois-ci, elle s'accroupit pour voir s'il ne se cache pas sous le lit. Quand ma mère se retourne, je vois sur elle un sourire. Presque moqueur. La situation dans laquelle nous nous trouvons devient presque risible. Ma mère, toujours équipée de son couteau, me chuchote :

    - On croirait jouer à cache-cache.

Je lui répond par le même sourire amusé, avec dans ma tête, tout le film qui vient de se dérouler depuis les quelques minutes qui ont précédées. Et je me rend compte, qu'on est en train de chercher "l'autre" comme s'il jouait effectivement à cache-cache.
A mon âge, déjà, je n'y jouait presque plus.
Cette image infantilisée de mon père, suggérée par le sourire de ma mère me donne alors une détente envahissante de bien-être. L'absurdité de la situation occultait alors tous les paramètres dramatiques. Nous continuons alors notre recherche en ouvrant la porte de la chambre de Joséphine. Cette fois-ci, ma mère l'ouvre avec naturel et décontraction avant d'allumer calmement la chambre. Nous regardons rapidement puis nous traversons la chambre pour nous diriger vers la salle de bain.
Ma mère pose la main sur la poignet pour ouvrir la porte.
Elle est fermée à double-tour.

(A suivre)


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