Le film « Pain Noir » est aussi obscur que le pain d’Andreu est rassis. Andreu est un écolier qui va découvrir l’Espagne rance et violente née de la guerre civile (1936-1939). C’est dans un petit village de Catalogne perdu en pleine forêt que Agustí Villaronga a installé ses personnages. Un homme et son cheval tombent de la falaise : en cinq minutes magistralement filmées, Agustí Villaronga réussit à nous scotcher, à nous immerger dans ce trou puant la mort. Un milieu difficile, enseveli sous les non-dits, les mensonges et les légendes. Des habitants se taisent, d’autres quittent précipitamment leur maison tout en maintenant leurs proches dans le brouillard. Andreu poursuit son étrange vie, tiraillé entre un père idéaliste accusé de meurtre et une mère enfermée à l’usine.
Sergi López, toujours parfait en homme sombre et sourd, retrouve, après « Le Labyrinthe de Pan », une période historique qu’il connaît bien pour sa noirceur. Franquiste avant l’heure sous la coupe de Guillermo del Toro, il est ici le commissaire sans pitié d’un village qui ne demande que le silence et l’oubli. Inspiré de trois romans de Emili Teixidor, le tout dernier film d’Agustí Villaronga était attendu au tournant.
Qu’espérer de nouveau d’un travail artistique sur une époque qui nourrit de tous les fantasmes la production cinématographique espagnole ? Le résultat est tout en nuances. Ici, point de vils riches et de courageux pauvres ; point d’idéalistes combatifs et de fascistes impitoyables. Chacun essaye de pourvoir à ses envies, à sa vie et à ses enfants. Les meurtriers et les hommes cruels ne sont pas ceux auxquels on pense.
Andreu perd ses illusions d’enfants. La caméra suit ses jambes et son dos, trouve son regard plongé dans la misère humaine, et s’accroche à sa seule arme : l’oubli. Bien que le scénario soit parfois alambiqué tant il s’aventure vers divers sujets, la mise en scène classique permet de faire passer la trame de « Pain noir ». En évoquant la persécution des homosexuels, en s’aventurant vers les idéaux des perdants de la guerre civile sans en rajouter et en s’attardant sur le destin tragique d’une petite fille mutilée, Agustí Villaronga réalise un film fort.
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