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Ce type a voyagé dans le futur ! Tocquevillle en 1840...

Publié le 06 février 2008 par Boprat
« Il y a un passage très périlleux dans la vie des peuples démocratiques. Lorsque le goût des jouissances matérielles se développe […] plus rapidement que les lumières et que les habitudes de la liberté, il vient un moment où les hommes sont emportés comme hors d’eux-mêmes à la vue de ces biens nouveaux qu’ils sont prêts à saisir. Préoccupés du seul soin de faire fortune, ils n’aperçoivent plus le lien étroit qui unit la fortune particulière de chacun d’eux à la prospérité de tous.

Il n’est pas besoin d’arracher à de tels citoyens les droits qu’ils possèdent, ils les laissent volontiers échapper eux-mêmes. […]

Si, à ce moment critique, un ambitieux habile vient à s’emparer du pouvoir, il trouve que la voie à toutes les usurpations est ouverte. Qu’il veille quelques temps à ceque tous les intérêts matériels prospèrent, on le tiendra aisément quitte du reste.

Qu’il garantisse surtout le bon ordre. Les hommes qui ont la passion des jouissances matérielles découvrent d’ordinaire comment les agitations de la liberté troublent le bien-être, avant que d’apercevoir comment la liberté sert à se le procurer. Et, au moindre bruit des passions politiques qui pénètrent au milieu des petites jouissances de leur vie privée, ils s’éveillent et s’inquiètent. Pendant longtemps, la peur de l’anarchie les tient sans cesse en suspens et toujours prêts à se jeter hors de la liberté au premier désordre.

Je conviendrai sans peine que la paix publique est un grand bien ; mais je ne peux pas oublier cependant que c’est à travers le bon ordre que tous les peuples sont arrivés à la tyrannie.Il ne s’ensuit pas assurément que les peuples doivent mépriser la paix publique, mais il ne faut pas qu’elle leur suffise. Une nation qui ne demande à son gouvernement que le maintien de l’ordre est déjà esclave au fond du cœur : elle est esclave de son bien-être, et l’homme qui doit l’enchaîner peut paraître. […]

Il n’est pas rare de voir alors sur la vaste scène du monde, ainsi que sur nos théâtres, une multitude représentée par quelques hommes. Ceux-ci parlent seuls au nom d’une foule absente ou inattentive ; seuls ils agissent au milieu de l’immobilité universelle ; ils disposent, suivant leur caprice, de toutes choses, ils changent les lois et tyrannisent à leur gré les moeurs ; et l’on s’étonne en voyant le petit nombre de faibles et d’indignes mains dans lesquelles peut tomber un grand peuple…

Le naturel du pouvoir absolu, dans les siècles démocratiques, n’est ni cruel ni sauvage, mais il est minutieux et tracassier. »
Extraits de De la démocratie en Amérique, Livre II, 1840
Alexis de Tocqueville (1805-1859)
Cité dans L’âge de faire n° 11 juillet août 2007

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