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Science-fictions animales

Publié le 26 août 2011 par Zebrain

xipehuz.jpgÀ l'époque où la science-fiction réalise naïvement sur le papier les rêves de l'humanité, le bestiaire de la science-fiction est d'une exceptionnelle richesse : toutes les formes animales sont évoquées, mélangées, amalgamées, avec une prédilection manifeste pour les espèces de sauriens et d'insectes. Les auteurs puisent aussi abondamment dans les mythes, qu'ils revivifient ou justifient en peuplant les étoiles de gorgones ou de chimères. Ces animaux n'existent le plus souvent que le temps d'un récit, car ils n'ont de caractéristique que la laideur et la férocité, ce qui est insuffisant pour laisser une trace durable dans l'imaginaire. Ce manque manifeste d'imagination est aggravé par de sérieux problèmes de crédibilité auxquels on remédiera par la suite (un insecte géant ne peut vivre, une souris avoir la capacité cérébrale d'un génie...). Tout ceci montre que le seul intérêt de ces animaux est de susciter peur, dégoût et sentiment d'étrangeté.

Parmi les tentatives pour peindre des créatures entièrement nouvelles et non combinées à partir d'éléments de la faune ou de la flore terrestres, la plus réussie reste encore celle décrite en 1887 par Rosny Aîné : les Xipéhuz, d'origine minérale, sont si radicalement différents que leur intelligence est incompréhensible à l'homme. Cette race qui existait 1 000 ans avant Ninive et Babylone, fut impitoyablement éliminée par l'homme dans sa domination de la terre, et constitue donc le premier génocide littéraire.

Car la guerre fait rage entre l'homme et les animaux... A de rares exceptions près, la science-fiction des origines ne conçoit l'animal que comme un agresseur que l'on s'efforce d'éliminer impitoyablement. Les années vingt et trente ont multiplié cette faune sanguinaire, au point qu'on lui donna le nom de BEM (Bug-Eyed Monsters). Les bêtes n'étaient d'ailleurs pas si carnassières ni si redoutables, puisque l'homme, au bout du compte, se révélait plus fort qu'elles... et plus expéditif Cette sauvagerie, justifiée par la peur d'une menace animale et l'affirmation de la suprématie de l'homme sur la nature, demeure pourtant excessive : la protection est assurée par le plus primitif des moyens, l'élimination, et la sécurité bien avant l'amorce d'un péril. Il n'est qu'à voir dans le King-Kong de 1933, comment les hommes se défont des autres animaux peuplant l'île oubliée : le stégosaure abattu (un herbivore) n'est l'objet d'aucune attention de leur part, pas plus que le tyrannosaure vaincu par le gorille géant n'étonne ou n'émeut, et pourtant, ces animaux disparus méritaient bien plus d'égards que ce singe qui n'avait d'extraordinaire que la taille.

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Il reste peu de textes de ce type ayant survécu, sinon à titre de curiosité. La faune de l'espace de Van Vogt a résisté au temps grâce à l'originalité des monstres et des moyens scientifiques mis en oeuvre pour s'en débarrasser ; ainsi, l'Ixtl, qui se nourrit d'énergie électrique et a besoin de pondre ses oeufs dans un corps humain encore vivant (lequel Ixtl a inspiré l'Alien du film). 1945 met fin à ces réactions épidermiques : les hostilités ne sont pas engagées sans raisons sérieuses mais la méfiance demeure. En plein maccarthysme et guerre froide, ce sont des êtres invisibles ou dotés de pouvoirs de contrôle sur l'humain qui se répandent à travers la planète.

Car c'est bien de contrôle, c'est-à-dire de domination, qu'il est question. L'assurance de la supériorité de l'homme sur la nature amène ce dernier à écarter toute menace qui le détrônerait. C'est pourquoi le thème de l'animalité recoupe largement, en science-fiction, celui des envahisseurs, des mutants, des robots et de l'ordinateur, de l'Autre en général. Des titres de film comme Them, Alien, sont à cet égard éclairants. Eux, c'est tout ce qui n'est pas Je, tout ce qui se situe au-delà d'une frontière dressée par l'homme pour asseoir sa différence et, enfin de compte, sa supériorité. C'est ainsi que les extraterrestres sont classés de façon réductrice par rapport à l'homme comme inférieurs ou supérieurs (mais jamais supérieurs au point de ne pas avoir de talon d'Achille que l'homme saurait déceler et utiliser).

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Roi de la terre, l'homme se baptise roi de l'univers dès qu'il effectue ses premiers pas dans l'espace. Cette supériorité apparemment naturelle n'est pas transmise seulement culturellement mais aussi par la tradition religieuse judéo-chrétienne. Déjà, dans Les Xipéhuz, elle est assenée à la façon d'un acte de foi, (« La terre appartient aux hommes »), à travers un texte aux accents bibliques rappelant que cette domination est l'expression de la volonté divine.

« Le cri sonore du triomphe jaillit de ma poitrine. Étendant les bras, dans l'extase, je remerciai l'Unique

Ainsi donc ils étaient vulnérables à l'arme humaine, ces épouvantables Xipéhuz ! On pouvait espérer les détruire !

Maintenant, sans crainte, je laissai gronder ma poitrine, je laissai battre la musique d'allégresse, moi qui avais tant désespéré du futur de ma race, moi qui, sous la course des constellations, sous le cristal bleu de l'abîme, avais si souvent calculé qu'en deux siècles le vaste monde aurait senti craquer ses limites devant l'invasion xipéhuze.

Et pourtant, quand elle revint, la Nuit aimée, la Nuit pensive, une ombre tomba sur ma béatitude, le chagrin que l'homme et le Xipéhuz ne pussent coexister, que l'anéantissement de l'un dût être la farouche condition de vie de l'autre. » (1)

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On constate chez Rosny un regret qu'on ne trouvera plus dans les textes anglo-saxons des années trente concernant l'extermination d'une race.

« Et me voici, au bord de Kzour, dans la nuit pâle. Une demi-lune de cuivre se tient sur le Couchant. Les lions rugissent aux étoiles. Le fleuve erre lentement parmi les saules ; sa voix éternelle raconte le temps qui passe, la mélancolie des choses périssables. Et j'ai enterré mon front dans mes mains, et une plainte est montée de mon cœur. Car maintenant que les Xipéhuz ont succombé, mon âme les regrette, et je demande à l'Unique quelle Fatalité a voulu que la splendeur de la Vie soit souillée par les Ténèbres du Meurtre ! » (2)

Cette peur de l'Autre est encore avivée par la découverte qu'une supériorité intellectuelle ou physique ne protège pas nécessairement des êtres inférieurs. Ceux-ci peuvent avoir des dispositions que l'homme ne saurait contrer à temps, comme l'invisibilité alliée à une extraordinaire fécondité dans "La merveilleuse aventure du bébé Hurkle" de Théodore Sturgeon, ou de dangereuses facultés de métamorphose : l'omnimal qui est le "Sujet d'étude" de F. L. Wallace lutte contre les envahisseurs en créant des espèces adaptées à chaque problème. Devenu souris, l'homme lui oppose des chats jusqu'à ce que l'omnimal devienne rat, contré par des chiens auquel l'omnimal réagit en devenant tigre. Jusqu'où ira cette faculté d'adaptation ? « Vous ne voyez toujours pas ? C'est une progression. Après le tigre, c'est ça. Si cette évolution échoue, si nous l'abattons, quelle sera la création suivante ? Je crois que nous pouvons nous mesurer à cette créature-ci. C'est ce qui vient après que je ne veux pas voir ».

La créature les entendit. Elle releva la tête et regarda autour d'elle. Elle recula lentement et battit en retraite vers le bois le plus proche.

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Le biologiste se redressa et appela doucement. La créature trotta vers les arbres et disparut sous leur ombre.

Les deux hommes reposèrent leur arme. Ils s'approchèrent ensemble du bois, les mains tendues en évidence pour montrer qu'ils n'avaient pas d'armes.

Il vint à leur rencontre. Nu, car il ne connaissait pas encore le vêtement. Et il n'avait pas d'armes. Il cueillit une grosse fleur blanche sur un arbre et la tendit sans un mot en signe de paix.

« Je me demande comment il est fait, dit Marin. Il paraît adulte, mais peut-il l'être vraiment ? Qu'est-ce qu'il a dans le corps ?

Moi, c'est ce qu'il a dans la tête qui m'inquiète, » soupira Hafner.

Cela ressemblait beaucoup à un homme. » (3)

Au terme de cette escalade, l'homme connaît et redoute l'étape suivante, l'espèce qui lui est supérieure. Mais il est clair qu'il a déjà peur d'être confronté à lui-même.

L'homme redoute d'autant plus certaines espèces animales qu'il envie leurs pouvoirs. Développant la même idée dans Les Portes de l'Eden, Brian Stableford sur Naxos imagine des batraciens dont la fonction est d'assimiler pour mieux résister. Tout tourne autour de la question de l'adaptation au milieu : s'adapter n'est pas évoluer. L'homme est capable de plier la nature à sa condition. Ici, le batracien s'adapte : il devient humain pour le noyauter de l'intérieur. Amer constat d'un membre de l'équipe sur Naxos : « vous voyez capitaine, en un sens vous avez — ou plutôt nous avons — déjà colonisé, de la seule façon qui est ou qui sera jamais possible. »

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Quelle est la forme de vie la plus adaptée à la survie, celle qui transforme le milieu à sa convenance ou celle qui se plie à ses exigences ? A priori, celle qui s'adapte n'est pas susceptible d'évolution, seulement de survie, puisqu'elle se plie aux lois du milieu. Mais cela dépend de la nature du modèle copié.

Un protagoniste rêve déjà d'éduquer les enfants de ces batraciens mutants « selon nos valeurs », pour profiter de ce don. Mais on l'en dissuade, même si la race ne manifeste aucune visée expansionniste et que ces nouveaux humains de Naxos ne représentent donc pas un danger pour l'humanité. Car ce trait, l'expansionnisme, semble être partie intégrante de l'évolution, puisque la curiosité et l'esprit conquérants sont des caractéristiques humaines. Les humains se savent déjà dépassés par ceux qui se sont si bien, trop bien, adaptés aux colonisateurs.

« Les êtres métamorphosables sont peut-être plus intelligents que nous ou bien on pourrait dire qu'ils se sont beaucoup mieux adaptés à leur environnement. Ce qui ne signifie pas qu'ils deviendront nos rivaux. On pourrait soutenir que puisqu'ils se sont bien mieux adaptés à leur environnement immédiat, ils n'ont aucun motif de le quitter. De notre point de vue, peut-être ne vivent-ils pas dans un paradis, mais de leur propre point de vue la vie est agréable.

— Des voyageurs spatiaux de passage en auraient dit autant de tes lointains ancêtres, rétorqua-t-il. Et, en tout cas, le peu d'innocence que les hommes de Naxos ont pu avoir est maintenant perdu. Il existe un serpent dans leur paradis et, pour pactiser avec lui, ils doivent faire des progrès — notre genre de progrès. Nous avons vu le futur, Lee, et il n'appartient pas à des êtres comme nous. Nous ne sommes que transitoires dans l'univers, les produits d'un processus évolutif caduc. Si les hommes de Naxos ne recueillent pas la succession que nous espérions être nôtre, ce seront dés créatures qui leur ressembleront, plus qu'à nous. Nous nous aveuglerions si nous n'admettions pas la signification de ce que nous venons d'apprendre sur la vie au cours de ces derniers jours.

— Ça n'affectera pas nos existences, l'assurai-je. Nous pouvons encore nous bercer d'illusions durant le temps que nous avons à passer ici-bas — tout autant que les capitaines de l'Ariane

Certes, acquiesça Zénon. Mais l'essentiel est que nous sachions que ce sont des illusions et n'ignorions pas que nous sommes de simples pions dans une partie dont l'issue nous échappe.

Nous l'avons toujours su, déclarai-je. Non ? » (4)

La suprématie humaine est donc illusion, ce qui est difficile à avaler. On remarquera également dans ces récits qu'ils reconnaissent implicitement les travers de l'homme, son animalité : quand leurs attributs passent à l'espèce animale, ce n'est pas l'euphorie mais l'angoisse qui prévaut.

Claude Ecken


Première parution sous le titre « De l'animalité à l'humanité : les animaux dans la SF » dans Alliage n°7 (ANAIS 1991). Version remaniée en 1999 parue dans L'Autre n°1. Congress report : Convention de Lodève, 1999.

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