Le succès financier serait plus mal vu au Québec que dans le reste du Canada. Une différence qui intrigue David Descôteaux, qui la remet en cause et essaie de l’expliquer.
Par David Descôteaux, depuis Montréal, Québec
On nous le répète ad nauseam : les Québécois voient d’un mauvais œil le succès financier.Chaque fois, j’imagine des Québécois un peu tarés, entassés dans une église un dimanche après-midi, se faisant enfirouaper par le curé du coin. « Argent = pas bon. Pauvreté = paradis ».
Nous sommes en 2011, bordel. Les Québécois ont changé. Ils suivent leur époque, et sont aujourd’hui comme la plupart des Nord-américains : plus individualistes, calculateurs et rationnels. Même les centrales syndicales — qui récoltent plus de 800 millions $ par année en cotisations — en veulent toujours plus! C’est tout dire.
Mais on nous le répète : au Québec, on perçoit négativement le succès financier. Aujourd’hui, c’est écrit dans le Bulletin de la prospérité du Québec, que vient de dévoiler le Conseil du patronat (CPQ). On y note entre autres que pour l’« intensité entrepreneuriale », le Québec traîne au dernier rang des provinces de références (Ontario, Alberta et Colombie-Britannique). On y trouve moins d’entreprises par habitant, et moins d’entrepreneurs par rapport à l’emploi total.
Sondage troublant
Ces données font écho à un sondage de la Fondation de l’entrepreneurship d’avril dernier, qui a fait couler beaucoup d’encre : deux fois moins de Québécois que de Canadiens affirment vouloir créer une nouvelle entreprise. On ne peut accuser la langue : les francophones du reste du Canada sont deux fois plus entrepreneurs qu’au Québec!
Selon ce sondage, que cite le Conseil du patronat, un important facteur explique cette réalité : eh oui, le succès financier perçu négativement… Avec chiffres à l’appui : 40 % au Québec, contre 28 % dans le reste du Canada.
Je lisais ça hier soir. Et j’avais beaucoup de misère à croire que 40 % de mes concitoyens considèrent négativement le succès financier. J’ai donc fouillé pour retrouver le document original de la Fondation, et le libellé des questions.
À la page 20 du sondage apparaît un tableau : « Les plus grandes forces et faiblesses reconnues aux entrepreneurs par la population ». Dans la section « faiblesses » se trouve le libellé « Trop orienté vers l’argent, succès financier à court terme à tout prix ». Les chiffres : 40,2 % (Québec), 28 % (Reste du Canada).
Wow. De là à conclure que « le succès financier est perçu négativement au Québec », il y a une marge. Tout ce que cela veut dire c’est qu’au Québec, quand un entrepreneur est obsédé par l’argent et le succès à court terme « à tout prix », on juge qu’il y a un problème. À ce titre, c’est plutôt le 28 % de nos amis du ROC qui me laisse songeur…
Rien pour freiner la création d’entreprises, donc. D’ailleurs le même document affirme que les Québécois, plus que les autres Canadiens, voient l’entrepreneuriat comme un bon choix de carrière (62,6 % contre 46,6 %).
Le mystère Québec
Il y a quelque chose, au Québec, qui nuit à l’entrepreneuriat. Mais difficile de mettre le doigt dessus. Il y a les taxes élevées sur la masse salariale. Et ce serait facile d’accuser la lourdeur administrative, les syndicats, la réglementation. Mais de la paperasse et des règlements, il en existe aussi ailleurs. Et on trouve rarement les syndicats dans les très petites entreprises. J’ai l’impression qu’on parle ici d’irritants — non négligeables, certes — plus que d’obstacles. Un frein à l’entrepreneuriat, oui, mais à quel point?
D’autre part, doit-on se surprendre que notre économie, où l’État occupe une place plus grande qu’ailleurs dans la production de biens et services, laisse moins de place aux entrepreneurs (qui pourraient produire ces mêmes biens et services)?
Je n’ai pas réponse à ces questions. Et j’aimerais bien entendre des entrepreneurs là-dessus. Mais je demeure convaincu que notre rapport à l’argent a très peu à y voir. Nous devrions enterrer ce mythe, une fois pour toutes.
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