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Commotion et la neutralité du net

Publié le 01 septembre 2011 par Copeau @Contrepoints

Commotion et la neutralité du net

Aujourd’hui, deux actualités technologiques occuperont mon court billet. Et, nous le verrons, ces deux actualités offrent une parfaite illustration du principe simple que les initiatives individuelles et la sérendipité permettent de résoudre des problèmes de façon originale et efficace, et surtout, en se passant de lois et de réglementations, apanage typique de l’État.

Pour commencer, on pourra se pencher sur Commotion.

Il s’agit d’un projet en cours de développement, une suite logicielle qui permet de créer un maillage sans fil à haut débit complètement autonome, sur les fréquences Wi-Fi habituelles, sans s’appuyer sur aucune infrastructure existante (relais téléphonique, câble, satellite). De plus, le trafic sur ce type de réseau est anonyme et crypté.
Au départ, il s’agit d’une initiative de Sascha Meinrath et Josh King, deux militants de l’internet libre, qui se sont lancés dans ce projet en basant une partie des développements sur TOR. De fil en aiguille, ils ont fini par intéresser le gouvernement américain qui voit dans ce système une façon simple de faire transiter l’information même dans les régimes autoritaires.

Intérêt qui s’est rapidement traduit par des subventions. C’est regrettable en ce qu’elles représentent un risque pour le projet d’être orienté pour des buts plus politiques de la part du gouvernement américain ; on comprend en effet que l’idée de base de la décentralisation complète du réseau et de l’anonymisation des informations échangées puissent être une épine dans le pied d’un gouvernement, quel qu’il soit.

À la décharge de l’administration américaine, aucune pression n’a semble-t-il été faite sur le groupe de développeurs pour, justement, faire de ce développement un nouvel outil de la politique américaine. On imagine sans mal, cependant, qu’une fois le produit terminé, le gouvernement américain se fera un plaisir d’aller distribuer de véritables kits « réseau crypté » dans certains pays stratégiquement intéressants pour lui.

Pour le moment, le développement avance et ses créateurs espèrent voir finaliser le produit courant 2012. Et lorsqu’il sera largement disponible, on peut s’attendre à de véritables grincements de dents de tous les opérateurs télécoms pour lesquels l’apparition de ce genre de technologie pourrait constituer un danger.

Internet : une série de tubes

D’ailleurs, on se prend à rêvercauchemarder ce qu’aurait donné la même aventure en France.

En gros, on peut imaginer deux grands déroulements.

Le premier est traditionnel : les jeunes inventeurs, frémissant à l’idée de faire une startup, déposent un dossier à OSEO (ex ANVAR) et retrouvent leurs idées pillées, puis brevetées par France Télécom ou une autre, qui se retourne bien vite en justice contre les géniaux entrepreneurs pour contrefaçon. Ruinés, ils se « suicident ».

Le second est encore plus évident : l’invention gagne du terrain et soudain, Frédéric Mitterrand monte à la tribune de l’assemblée, fait un speech mémorable sur l’Exception Telecom Française et le danger que constitue un internet sans label qualité, développé par des bricoleurs du dimanche. Rapidement, une grosse loi bien contraignante est votée et le travail de nos hackeurs est déclaré illégal. Une Haute Autorité au nom rigolo est créée, et plein d’argent du contribuable est claqué pour s’assurer que le wi-fi ne passe bien que par les petits tuyaux autorisés.

Ce qui m’amène naturellement à évoquer le serpent de mer de la Neutralité du Net.

Par définition, il s’agit d’un principe visant à garantir « l’égalité de traitement de tous les flux de données » sur Internet. Car les petits paquets IP sont nés libres et égaux en droit, ou quelque chose comme ça, et normalement, un prestataire de télécommunication qui fait transiter ces petits paquets tous égaux n’a donc pas le droit de les trier en fonction de la source, de la destination ou du contenu de ces paquets.

C’est très théorique parce que, pour le moment, l’infrastructure est très majoritairement supportée par des opérateurs du monde privé qui, moyennant des contrats en bonne et due forme, s’arrangent avec leur client pour leur fournir le service qu’ils demandent à des conditions qui sont fixées, a priori, de gré à gré.

Rien n’empêche d’imaginer un contrat de fournisseur internet s’engageant à vous fournir, par exemple, un débit garanti sur — mettons — Youtube et sans aucune garantie sur Dailymotion. Libre au client d’accepter ou d’aller voir ailleurs…

Du point de vue de certains hackivistes/activistes, cette éventualité les bouleverse à tel point que — notamment en France, bien sûr — on en vienne à parler … intervention de l’État et bonne grosse loi qui imposerait cette neutralité parce que bon, vous pensez bien, trier des paquets et faire des contrats ad hoc, c’est tabsolument skandaleux.

Or, si l’on met en perspective Commotion et cette neutralité du net tant voulue et désirée par beaucoup, on se rend compte qu’on dispose à la fois d’un moyen concret d’avoir cette neutralité, et/ou un moyen de pression auprès de ces opérateurs pour s’assurer que les contrats qu’ils nous proposeront seront toujours corrects.

En gros, l’apparition de ce genre de technologies revient à créer une concurrence et va ainsi aiguillonner les opérateurs, les incitant largement à ne pas nous faire des trucs trop louches qui … feraient fuir leur gagne pain.

Enfin, si l’on ajoute que, grosso modo, lorsque cette neutralité est attaquée, cela provoque aussi des bisbilles amusantes entre grosses sociétés du Net, on se rend compte que la Neutralité du Net n’a finalement pas besoin d’une loi ou d’une décision autoritaire.

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Et c’est tant mieux. On se rappellera qu’en d’autres temps pas très lointains, les excuses du style « C’est pour votre bien » sont utilisées par de gros États joufflus pour verrouiller le Net, justement. On maniera donc avec la plus grande prudence tout appel vers ces mêmes États à agir…

En fait, il n’y a pas besoin de loi et Commotion montre bien pourquoi : les initiatives personnelles sont bien plus puissantes, et portent en elles de bien meilleures principes.

Et lorsqu’un problème fait mine de grossir — comme celui de la neutralité du net — une solution apparaît, simplement parce que plusieurs acteurs y ont intérêt.
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