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Lune

Publié le 04 septembre 2011 par Philippe Thomas

Poésie du samedi, 30 (nouvelle série)

J’avais déjà eu l’occasion ici d’évoquer Miguel de Unamuno mais non encore de partager la joie que j’ai éprouvé à lire une de ses œuvres, Le Christ de Vélasquez. Il s’agit d’une méditation en vers sur ce chef d’œuvre de Vélasquez (Séville 6 juin 1599 – Madrid, 6 août 1660), La Crucifixion. En gestation pratiquement dans le même temps que Le sentiment tragique de la vie (1913) son essai philosophique majeur, cette œuvre poétique sonde beaucoup plus que l’œuvre picturale d’austère apparence dont elle déploie les harmoniques. A grand renfort de références à l'Ancien Testament comme aux Évangiles données en marge de chaque poème, De Unamuno y fait sentir toute la tension qui se noue en la personne de Jésus-Christ : hominisation de Dieu et divinisation de l’homme, infini qui se finitise et fini qui tend vers l’Infini…

Le Christ est ainsi le reflet éclairé-éclairant de la toute puissance divine et luminescente d’un Dieu symbolisé par le soleil. Il est évidemment Lune, dans son éclat qui semble provenir d’une lumière indirecte, émergeant seul d’un océan de ténèbres… Mettant en exergue Jean (VIII, 12) « Je suis la lumière du monde », De Unamuno accomplit dans le court poème intitulé « Lune » une synthèse entre le Logos grec et la Parole évangélique, Homère, Isaïe, Socrate et Daniel cheminant main dans la main… L’humanisation de l’homme est au bout du chemin, encore fallait-il avoir pris conscience que nous sommes des humains et que nous sommes embarqués sur le chemin… Pour De Unamuno, catholique espagnol et professeur de grec, ces deux sources étaient palpables comme les deux généreuses mamelles d’une même humanité…

Mais je ne voudrais pas éclipser cette « Lune » pleine et féconde… dont la plénitude aboutie est sans doute la "reconnaissance" finale... Lisez plutôt et à demain pour de nouveaux dévoilements… ;-)

LUNE

Lune nue dans la nuit étoilée,

limpide de l’esprit, qu’à toi

se convertissent nos regards. Oh étoile brillante

du val des amertumes ! Puisque nous,

pauvres humains sans plus, pouvons ainsi

corps à corps te regarder. Tu es l’Homme,

et en ta divine nudité nous parvient

du soleil l’aveuglante clarté.

Toi, en figurant Dieu, tu nous annonças

que nous sommes des hommes, c’est-à-dire : nous sommes des dieux,

et à ta lumière, étoile du berger des âmes,

les marbres helléniques recouvrèrent

une clarté neuve, et les dieux de l’Olympe

nous les vîmes en quête de ton père :

Homère guidé par la main d’Isaïe,

Socrate avec Daniel cherchant l’homme.

L’humanité, fille de Dieu, que Socrate

Avec la raison, qui est astrolabe et boussole,

Découvrirait, Toi, Christ, tu la conquis

Avec ton épée d’amour, qui est braise pure,

Oh lion de Judée, roi du désert !

Les dieux baptisés, convertis

Et contrits, accomplirent leur pénitence

Et ils escortèrent les gentils vers ta croix,

Afin que là, en Toi, l’Homme éternel,

Ils se reconnaissent pleinement comme des hommes.

Miguel de Unamuno (Bilbao, 27 septembre 1864 – 31 décembre 1936, Salamanque) Le Christ de Vélasquez (1920), traduit de l’espagnol par Jacques Munier, présenté par Roger Munier. Editions La Différence, collection Orphée. On trouve actuellement à vil prix chez les soldeurs pas mal de volumes de cette excellente collection de poche vouée à la poésie du monde entier…


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