Encore une fois, je reviens sur la Turquie : mais ce pays est particulièrement intéressant à double titre : c'est un pays frontière entre deux continents (la sublime porte est forcément un lieu de passage), ce qui est un trait de fond ; c'est un pays dont le dispositif de politique extérieure (et intérieure) a beaucoup évolué au cours des dernirèes années, et continue surtout d'évoluer : cela explique cette attention soutenue.
J'avais ainsi mentionné l'idée de néo-ottomanisme. Mais aujourd'hui, celui-ci n'est-il pas dans une impasse ?
1/ En effet, le néo-ottomanisme faisait le pari de trouver une alternative à l'Europe, au vu des rebuffades européennes sur les négociations d'adhésion, observées depuis quatre ou cinq ans. Dès lors, même si ces négociations continuent officiellement, la Turquie avait décidé de tenter de trouver une politique alternative, vers l'Est (le monde turc) et vers le sud (les pays de l'ancien empire ottoman).
source2/ Cela s'était traduit par :
- - une alliance objective avec Israël
- - une réconciliation avec la Syrie, alors qu'on était passé près de la guerre
- - quelques ouvertures envers les Kurdes, et l'observation prudente de ce qui se passe en Irak.
- - les rapprochements avec l'Arménie.(billet)
- - un discours "modèle" à destination des autres pays arabes, prônant le modèle d'islamo-démocratie à la sauce AKP.
- - une relation polie avec l'Iran, l'autre grande puissance musulmane non arabe de la région.
3/ Patatras :
- - les relations avec l'Europe ne se sont pas améliorées, que ce soit au travers des négociations (billet) ou au sujet de Chypre, la Turquie n'hésitant pas à tenir des discours provocants à propos de la prochaine présidence chypriote de l'Union
- - il n'y a pas eu de vrai rabibochage avec les États-Unis
- - l'ouverture avec l’Arménie ne s'est pas concrétisée.
- - les révoltes arabes peuvent être lues comme la mise en place du modèle AKP : toutefois, ni les Égyptiens, ni les Tunisiens n'ont cherché à établir des relations suivies avec Ankara.
- - la Turquie a eu une ligne très opposée à l'intervention alliée en Libye au côté du CNT, ce qui l'a fait apparaître comme le soutien de Kadhafi et la place en mauvaise posture envers le nouveau régime.
- - en Syrie, après avoir temporisé le plus possible et essayé de trouver une solution apaisante, le maintien de la ligne dure par le régime de Damas amène la Turquie à durcir également le ton (difficultés Alexandrette (Iskenderun) et Lattaquié). (voir billet)
- -la relation avec Israël s'est profondément dégradée à la suite de l'assaut israélien contre un navire de la flottille humanitaire contre Gaza : d'ailleurs, avant la parution d'un rapport de l'ONU, la Turquie a renvoyé l'ambassadeur d’Israël (voir ici).
- - le fait kurde s'est durci aussi bien sur le plan intérieur (cf élections récentes, malgré l'affaire Ergenekon, cf billet récent) et surtout extérieur, avec des bombardements des positions kurdes dans le nord de l'Irak.
- - avec l'Iran, les relations perdurent même si l'évolution du régime à Téhéran reste compliquée. Toutefois, c'est probablement la relation la moins heurtée de la région. D’ailleurs, les Iraniens aussi ont bombardé les positions kurdes à leur frontière...
4/ Ainsi, l'AKP s'est renforcé sur le plan intérieur à la suite des dernières élections : mais sur le plan extérieur, sa politique est aujourd'hui bloquée. Faut-il s'attendre à une réouverture vers l'Europe et l'Occident ?
- Peut-être est-ce à cette lumière qu'il faut lire l'accord récent qui a été trouvé pour installer un radar de la DAMB en Turquie (voir ici).
- Or, au sommet de Lisbonne en novembre dernier, les Turcs avaient obtenu qu'on ne définisse pas la menace, et qu'on ne cite pas des Etats du Moyen-Orient.
- Accepter désormais un radar DAMB est peut-être le signe d'une subtil adaptation, sinon d'un revirement plus profond.
O. Kempf