Le Honduras prépare une « ville modèle », avec lois propres et régulation minimale, pour attirer les investisseurs dans le style de l’ancienne colonie britannique en Chine.
Par Daniel Luna
Une ville-État créée au milieu de nulle part. C’est ainsi que l’on peut résumer le projet que va mettre en marche le gouvernement du Honduras avec l’objectif de transformer le pays en une puissance économique mondiale.L’idée est simple : on prend une zone inhabitée, on lui octroi des lois propres, différentes du reste du pays, qui n’offrent pas d’obstacles à l’investissement ni à la création d’emploi, et on ouvre les portes à tous les investisseurs nationaux ou étrangers disposés à s’installer. Le résultat, à en juger par l’expérience de Singapour, Hong Kong ou d’autres villes asiatiques avec des législations de ce type, devrait être un développement spectaculaire.
Une telle chose est-elle possible ? Le président du Congrès du Honduras, Juan Orlando Hernández, croit que oui : « Sous ce régime légal spécial, le résultat immédiat serait une quantité massive d’emploi, celui nécessaire pour construire autoroutes, ports, aéroports et toute l’infrastructure des installations pour les entreprises à venir. »
La possibilité d’offrir des emplois à grande échelle serait particulièrement bénéfique pour un pays où le manque d’opportunités pousse à émigrer quelques 100.000 citoyens par an. La majorité d’entre eux partent vers les États-Unis et le font de manière illégale, à travers la frontière du Mexique, où neuf sur dix sont arrêtés et déportés.
« Nous avons reçu des offres [pour nous installer dans la future ville] de grandes entreprises qui assemblent des véhicules, du matériel électro-domestique et aussi des produits de haute technologie », ajoute Hernández. Parmi les sociétés, le gouvernement a expressément cité Goldman Sachs et la Fondation Abu Dhabi poiur le développement. « Ce système a donné des résultats dans d’autres pays du monde. Beaucoup pourraient dire qu’il est illusoire, mais celui qui ne rêve pas n’obtient rien, et au Honduras nous devons faire des choses différentes. »
Si le projet connaît le succès, pourraient fleurir plusieurs de ces villes, et le Honduras, le pays le plus pauvre d’Amérique après Haïti, deviendrait l’équivalent centre-américain des « tigres asiatiques ». En janvier, le congrès hondurien a modifié la constitution du pays pour abriter les dénommées Régions spéciales de développement (RED), nom officiel des cités-modèles, et il y a à peine un mois, à la fin juillet, a été approuvée la loi qui régulera ces nouvelles entités.
Quatre régions possibles
Dans cette loi, les RED sont définies comme des communautés urbaines orientées pour attirer un développement accéléré pour le pays grâce à un « environnement stable » et des « règles transparentes », qui sont capables de capter l’investissement national et étranger et créer des emplois.
Selon la loi, les RED appartiennent à l’État du Honduras mais sont régies par des normes propres, elles ont leur propre budget et jouissent d’une grande autonomie : elles collecteront et administreront leurs impôts, elles établiront les taxes qu’elles considèreront adéquates pour les services qu’elles fourniront et contracteront leurs propres dettes internes ou externes. Elles n’émettront pas de monnaie, mais pourront déterminer laquelle ou lesquelles circuleront sur leur territoire.
Elles pourront également avoir une police et un corps civil administratif propres, signer des traités commerciaux avec d’autres pays, établir leurs règles d’immigrations et adopter « les meilleures pratiques internationales avec l’objectif d’attirer l’investissement national et international ».
Le gouvernement analyse maintenant avec les investisseurs intéressés quatre régions du pays, chacune d’entre elles approximativement quelques 1.000 km², pour déterminer dans laquelle sera lancé le premier Hong Kong hondurien. On espère que les travaux d’infrastructures commencent au milieu de l’année prochaine, et que la ville fonctionne complètement en 2020.
La figure de Paul Romer
D’où le gouvernement du Honduras a-t-il sorti un projet aussi révolutionnaire ? De la tête d’un brillant économiste, Paul Romer, ancien professeur de l’université de Standford et entrepreneur heureux en affaires, maintenant reconverti en « prêcheur » des villes modèles (Charter Cities) comme meilleur moyen pour en finir avec la pauvreté dans le monde.
Romer a développé cette proposition à partir de l’idée que le développement dépend des normes qui régissent les relations économiques. Les pays pauvres le sont parce que leurs normes, déficientes, découragent l’investissement et la créativité des entrepreneurs.
Dans ses conférences, Romer cite le cas de la Guinée, où tous les adolescents ont accès à un téléphone mobile, mais beaucoup d’entre eux font leurs devoirs scolaires dans la rue, sous un lampadaire, parce qu’il n’y a pas de lumière dans leur maison.
Comment est-ce possible, puisque l’électricité est une technologie beaucoup plus ancienne et moins sophistiquée que la téléphonie mobile ? Simplement, les contrôles des prix sur l’électricité détruisent les incitants pour les entrepreneurs, qui n’investissent pas dans le réseau parce qu’ils perdent de l’argent à chaque nouvelle unité installée. Dans le secteur de la téléphonie n’existent pas ces restrictions et l’accès à ses services est universel.
La solution paraît évidente : éliminer les contrôles des prix. Cependant, les règles déjà existantes ne peuvent se changer aussi facilement, du fait de l’inertie et des intérêts créés. Quand le président de la Guinée tenta de le faire, les entrepreneurs des autres secteurs et les consommateurs protestèrent. Il dût faire marche arrière.
En Guinée, il n’est peut-être pas possible de changer les normes, mais dans une Charter City, créée là où il n’y avait rien avant, on peut partir de zéro avec des règles efficientes. De même manière, une norme qui favoriserait l’investissement et la créativité des entrepreneurs au Honduras rencontrerait sûrement une résistance si elle affecte tout le pays. Mais dans la ville modèle qui va être créée personne n’émettra d’objections puisque personne ne sera obligé de s’y installer.
Projet de Charter City pour Haïti.
L’année passée, à l’occasion d’un voyage officiel aux États-Unis, le président du Honduras, Porfirio Lobo Sosa, et celui du congrès, Juan Orlando Hernández, prirent connaissance du projet de Romer et revinrent dans leur pays décidés à le mettre en pratique. Ils invitèrent l’économiste à s’adresser au congrès de la nation, qui accueillit ses idées avec enthousiasme et les transforma en loi. Deux mois plus tard, une commission de 30 parlementaires voyagea à Singapour et en Corée pour négocier avec les constructeurs qui mettront sur pieds la nouvelle ville.
Romer pronostique que 10 ans après la création de la première RED, l’économie hondurienne croîtra à un rythme entre 7% et 8% annuel, et que dans 20 ans le revenu par habitant de ceux qui travailleront dans les RED pourrait atteindre les $32.000, quinze fois supérieur à l’actuel. Le Honduras atteindrait ainsi le plein emploi : « De manière directe ou indirecte, dans 10 ans, tout Hondurien qui voudra travailler le pourra », assurait Romer lors de sa dernière visite au pays centre-américain.
Durant les premières années, ces postes de travail offriront des opportunités aux personnes de basse qualification, comme ce fut le cas dans els villes modèles asiatiques. « Ces villes offrent des possibilités de travail à la main-d’œuvre peu qualifiée, qui s’instruit pendant qu’elle travaille et graduellement grimpe socialement jusqu’à faire partie de la classe moyenne et au-delà pour certains », dit le Ministre de la Présidence hondurien, Octavio Sánchez. « Dans les pays qui ont adopté des modèles de croissance rapide pareils à celui-ci, on peut le voir clairement. »
La majorité des entrepreneurs honduriens appuient le gouvernement. « Si le Honduras parvient à fonder des villes modèles, il se placera dans le concert des nations latino-américaines avec plus les plus rapides croissance économique et développement social », déclarait la présidente de la Chambre de commerce de Tegucigalpa, Aline Flores.
Les critiques du projet considèrent que l’on met entre parenthèses la souveraineté nationale en livrant à des investisseurs privés une partie du territoire, et qualifient les idées de Romer de « nouveau colonialisme ». Toutefois, la loi qui régule les RED établit dans son premier article que celles-ci sont « parties intégrantes de l’État du Honduras », qui maintient dans tous les cas sa souveraineté, de même que les compétences de défense et d’affaires étrangères. De plus, les RED seront soumises au code pénal hondurien et seront administrées par un gouverneur, de nationalité hondurienne, avec les compétences similaires à celle d’un maire, et les Honduriens pourront entrer et sortir librement du territoire.
« La souveraineté, logiquement, est nôtre, c’est un territoire hondurien », assurait le président Lobo Sosa lors d’une conférence de presse. « Sauf que dans cette portion de territoire, il y a des règles spéciales qui permettent que l’investissement parvienne sans restriction, qu’il y ait confiance et sécurité juridique, qu’il n y ait pas de délinquance et que les gens puissent vivre dignement,avec accès à l’enseignement et à la santé. »
« Quels problèmes pourraient-ils y avoir ? Nous avons un espace du territoire national où maintenant il n’y a rien? Là, on va construire des usines, des écoles, des hôpitaux, des universités, etc., et là, ils vont rester, parce que personne ne peut les emporter. »
Selon Paul Romer, « une ville satellite comme l’est Hong Kong au sein du territoire chinois peut faire que, comme cela s’est produit dans ce pays, tout le Honduras tire bénéfice de l’arrivée de capitaux étrangers, de l’embauche de main-d’œuvre et des développements technologiques.
Article publié originellement par Libre Mercado. Traduit de l’espagnol.
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